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Dans une vidéo partagée plus de 10.000 fois sur les réseaux sociaux, le microbiologiste retraité Sucharit Bhakdi affirme, citant des "publications scientifiques qui viennent de paraître", que l'immunité collective est déjà atteinte et que les vaccins sont ainsi inutiles et dangereux. Mais la vidéo contient au moins cinq affirmations fausses ou trompeuses, ont expliqué à l'AFP plusieurs spécialistes, dont les co-auteurs de deux publications citées par M. Bhakdi."Preuve qui met fin au récit sur le SARS-CoV-2" : c'est ainsi qu'"Oracle Films", qui se présente comme une "équipe de réalisateurs qui se bat pour des débats ouverts et la liberté d'informer", a intitulé son interview du professeur germano-thaïlandais Sucharit Bhakdi publiée début juillet.La vidéo de 17 minutes est d'abord publiée en anglais le 8 juillet sur la chaîne Odysee d'Oracle Films, puis le lendemain sur Youtube, avant d'être retirée par cette plateforme car elle n'en respectait pas les directives liées à la "désinformation médicale", selon un message posté sur Telegram par Oracle Films.L'interview est ensuite postée sur d'autres plateformes, et traduite en plusieurs langues dont l'allemand et le finnois. En France, elle cumule des centaines de partages sur Twitter et des milliers sur Facebook. Sur la plateforme de vidéos Rumble, la vidéo traduite en français a été visionnée plus de 50.000 fois, et partagée plus de 5.000 fois selon l'outil de mesure d'audience des réseaux sociaux Crowdtangle. Capture d'écran post Facebook, réalisée le 19.07.2021 Capture d'écran post Twitter, réalisée le 19.07.2021 Qui est Sucharit Bhakdi ?Sucharit Bhakdi est un microbiologiste retraité et ancien professeur de l'université Johannes Gutenberg de Mayence en Allemagne, où il a travaillé au sein du département de microbiologie et d'hygiène médicale.Plusieurs de ses propos sur la pandémie et les vaccins ont déjà fait l'objet de vérifications par le média américain USA Today, le site de fact-checking italien Facta ou encore l'AFP.En octobre 2020, le département de microbiologie et d'hygiène médicale de l'université Johannes Gutenberg a annoncé dans un communiqué"prendre ses distances avec les positions adoptées par M. Bhakdi" au sujet de la pandémie, qu'il considère comme "trompeuses ou fausses".Le 15 juillet, Goldegg Verlag, la maison d'édition avec laquelle il avait publié un livre sur la pandémie intitulé "Corona unmasked", a elle aussi pris ses distances avec Sucharit Bhakdi, en réaction à des propos antisémites tenus par ce dernier.Dans la vidéo publiée début juillet, Sucharit Bhakdi affirme que l'immunité collective est déjà atteinte et que les vaccins sont inutiles et dangereux. Revenons sur ses différentes affirmations.Des nouvelles publications scientifiques changent la donne sur ce que l'on sait sur le Covid - Faux"La bonne nouvelle aujourd'hui c'est que des publications [qui] viennent juste de paraitre (...) mettent un terme à tout le narratif" sur le Covid, lance Sucharit Bhakdi au début de son intervention. S'il ne cite pas lui-même les noms des quatre publications auxquelles il fait référence, celles-ci sont présentées dans la description accompagnant la vidéo.Trois d'entre elles s'intéressent à la présence d'anticorps chez des personnes vaccinées avec des vaccins à ARNm. Il s'agit d'études américaines, publiées dans les revues à comités de lecture indépendants Cell, Clinical Infectious Diseases et PLOS One entre fin mai et fin juin 2021.La quatrième étude a été publiée dans la revue de recherche biomédicale EBioMedicine. Elle a été rédigée par des scientifiques ayant étudié la réponse immunitaire de patients danois en fonction de la gravité de leur infection au SARS-CoV-2.Si ces recherches ont donc fait l'objet de publications récentes dans des revues reconnues et ont été validées par des pairs, rien ne permet cependant d'affirmer qu'elles changent drastiquement la donne sur ce que l'on sait. Comme détaillé dans cet article de l'AFP proposant des pistes pour mieux comprendre le fonctionnement des études scientifiques, "c'est un faisceau d'études allant dans le même sens qui va éventuellement permettre de valider des hypothèses et de dégager un consensus scientifique. Cela peut être très long et parfois, aucun consensus clair ne se dégage malgré des années de recherches"."Il y a constamment des nouvelles publications qui viennent étayer les connaissances qu’on a sur le Covid, [mais] aucune qui ne remet complètement en cause ce que l’on sait", a indiqué vendredi 16 juillet à l'AFP Frédéric Altare, directeur de recherche à l'Inserm.Santé Publique France met ainsi très régulièrement à jour sa liste des publications détaillant les "connaissances actuelles sur la Covid-19".Dans sa vidéo, Sucharit Bhakdi propose en outre des interprétations personnelles des études auxquelles il fait référence, qui diffèrent de celles figurant dans les publications, ont affirmé les co-auteurs de trois d'entre elles à l'AFP. "Bhakdi a fait de fausses déclarations sur le SARS-CoV-2 dès le début de la pandémie et est l'un des principaux moteurs du mouvement antivax et négationniste du Covid dans les pays germanophones", a affirmé à l'AFP Florian Krammer, professeur de microbiologie à l'école de médecine Icahn de l'hôpital Mont Sinai à New York, co-auteur de l'étude publiée dans la revue Cell. Le SARS-CoV-2 est similaire aux coronavirus, et donc pas plus dangereux - TrompeurL'une de ces interprétations concerne l'immunité face au Covid. Selon Sucharit Bhakdi, le SARS-CoV-2 n'étant pas très différent des autres coronavirus, notre système immunitaire pourra répondre à une infection : "ce qu’on nous a fait croire, c’est que le virus du Sars-CoV-2 est si nouveau que le système immunitaire ne répondra pas à temps avec une production d’anticorps pour nous sauver la vie".Le Covid-19 fait en effet partie des coronavirus, et il a donc de fait des points communs avec les autres virus de cette famille, dont les virus du rhume. "Ce n’est pas faux d'affirmer que le SARS-CoV-2 est si différent, si on l’a classifié dans cette famille c’est qu’il a des similarités", admet Frédéric Altare, spécialiste de l'immunité à l'Inserm. Mais selon le chercheur, cela ne suffit pas à affirmer que notre système immunitaire répond de la même façon à une infection au SARS-CoV-2 qu'à tout autre coronavirus : "pour les virus de rhume classiques, effectivement on peut très bien s'en remettre sans aller à l'hôpital. Mais il y a une limite, le SARS-COV-2 est très différent pour sa dangerosité, c'est assez clair au vu du nombre d'hospitalisations". Toute personne est "immunisé[e] naturellement" contre le virus - TrompeurC'est à partir de ce raisonnement que Sucharit Bhakdi explique, s'appuyant sur les trois études américaines, que notre système immunitaire est une meilleure solution contre le Covid qu'un vaccin ne peut l'être. Toute personne est "immunisé[e] naturellement" contre le virus ou les variants, avance-t-il. Il s'agit d'une interprétation personnelle des études, qui diffère de celle de leurs auteurs. "Le Dr Bhakdi a raison de dire que notre corps peut produire des anticorps qui permettent aux personnes infectées d'acquérir une immunité, mais c'est au prix de maladies graves chez de nombreuses personnes infectées, voire de la mort", a expliqué à l'AFP David R. Walt, enseignant-chercheur du département de pathologie de l'école de médicine de l'université d'Harvard, qui a participé à l'étude publiée dans la revue Clinical Infectious Disease."Ce qu'il propose, c'est de laisser tout le monde être infecté, ce qui entraînera des millions de morts et de souffrances supplémentaires. Nos recherches ne soutiennent pas une telle proposition. On sait que les vaccins produisent une réponse immunitaire beaucoup plus forte et offrent une protection beaucoup plus durable que l'infection", abonde le chercheur américain.Frédéric Altare de l'Inserm confirme : "le système immunitaire est notre meilleure arme : à ce jour aucun antiviral connu ne peut mieux lutter contre le virus". Mais pour lui, comparer l'immunité acquise naturellement et la protection d'un vaccin n'est pas pertinent car cela revient à "comparer deux choses qui ne sont pas comparables" puisque "le vaccin n’est pas là pour lutter contre le virus, mais pour éduquer le corps à réagir contre le virus.""L'immunité de groupe est déjà présente" - FauxConsidérant que le système immunitaire est la meilleure arme contre le virus, Sucharit Bhakdi affirme aussi que "l’immunité de groupe est déjà présente, gardée sous clé comme un trésor mais qu’elle peut être mobilisée à tout instant". Il explique que "les données montrent que 99% des gens autour de nous ont ce trésor dans un coffre" et pourraient ainsi être immunisés en cas d'infection, créant une immunité collective suffisante. Stine Frank Nielsen, chercheuse de l'unité de recherche sur les maladies infectieuses de l'université d'Aarhus (Danemark) qui a participé aux recherches publiées dans la revue EBioMedicine, réfute cette interprétation auprès de l'AFP. "Dans notre étude, nous montrons que les participants ont des anticorps et une réponse des lymphocytes T CD8, après s'être remis d'une infection par le SARS-CoV-2. Cependant, ces données ne nous permettent pas de dire quoi que ce soit sur les propriétés protectrices de cette réponse, à ce moment-là ou à long terme. C'est donc une interprétation erronée que d'insinuer que la réponse immunitaire décrite dans notre article équivaut à une immunité au sein de la population." L'affirmation de Sucharit Bhakdi correspond à un "abus de langage" pour Frédéric Altare, spécialiste de l'immunité à l'Inserm. Selon le chercheur, ces 99% équivalent "justeà la population qui a la capacité de fabriquer des anticorps si elle est infectée, soit toute la population en bonne santé", pas aux personnes d'ores et déjà immunisées."On est tous, sauf les personnes immunodéprimées, capables de créer ces anticorps en petite quantité, pour commencer à lutter contre le virus. Parfois, ça peut suffire, mais pour les cas graves ce n'est pas suffisant. D'où l'importance d'entraîner son système immunitaire avec le vaccin", détaille-t-il.L'Institut Pasteur définit en effet l'immunité collective comme le "pourcentage d’une population donnée qui est immunisée/protégée contre une infection à partir duquel un sujet infecté introduit dans cette population va transmettre le pathogène à moins d’une personne en moyenne, amenant de fait l’épidémie à l’extinction, car le pathogène rencontre trop de sujets protégés. Cette immunité de groupe, ou collective, peut être obtenue par l’infection naturelle ou par la vaccination". "Vos lymphocytes tueurs vont essayer de vous tuer" après la vaccination - FauxSelon Sucharit Bhakdi, puisque les vaccins à ARNm doivent entraîner les cellules de notre corps à produire des anticorps capables de détruire les cellules infectées par le virus, cela peut induire que ces anticorps vont se retourner contre nos propres cellules qui vont produire les protéines du virus. Ainsi, "vos lymphocytes tueurs vont essayer de vous tuer", avance le microbiologiste retraité.Cette explication est "fausse, même si ça part d’une base de vérité", décrypte Frédéric Altare. En effet, si une cellule de notre corps se met à produire une protéine qu’elle ne devrait pas produire, notre système immunitaire va l'attaquer, détaille le chercheur. "C’est comme ça que cela fonctionne pour le cancer : on détruit les cellules du cancer, que notre corps ne devrait pas produire."Cependant, le principe même de l'ARNm est d'être transitoire : le vaccin ne reste pas dans le corps plus de quelques heures, comme l'ont déjà expliqué plusieurs spécialistes à l'AFP. "Le seul qui produit la protéine, c’est le virus, c'est donc lui le seul contre qui notre système immunitaire va se retourner", ajoute Frédéric Altare. Présentation de la technologie des vaccins à ARN messager David R. Walt, co-auteur de l'une des études citées par Sucharit Bhakdi, explique à l'AFP que les vaccins sont fiables et efficaces contre le Covid. "Faites-vous vacciner. Les personnes vaccinées sont protégées contre les maladies graves et la mort."En France, au 18 juillet, près de 65.000.000 injections ont été réalisées selon le ministère des Solidarités et de la Santé, et plus de 30.000.000 de personnes étaient entièrement vaccinées.23 juillet 2021 Ajoute déclarations de Stine Frank Nielsen, chercheuse de l'unité de recherche sur les maladies infectieuses de l'université d'Aarhus Corrige le nom de l'université aux 4e et 6e paragraphes (université Johannes Gutenberg et non Jan Gutenberg)19 juillet 2021 Corrige chiffre au dernier paragraphe : 65.000.000 d'injections et non de personnes
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