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Dans une vidéo partagée sur Facebook, Louis Fouché, médecin marseillais qui se veut apôtre de la "réinformation" sur le Covid-19 et est coutumier des allégations infondées sur les vaccins, affirme que les vaccins à ARN contre le Covid 19 font courir un risque d'infertilité aux vaccinés. Mais plusieurs scientifiques ont expliqué à l'AFP que cette hypothèse était à ce jour scientifiquement infondée et même quasiment impossible. On trouve cette vidéo d'un peu plus de deux minutes ici sur le site d'ODP news, qui se présente comme "un organe de presse citoyen indépendant situé à Bruxelles". Elle est accompagnée d'un article résumant les propos de Louis Fouché. Sur Facebook, la publication d'ODP news a été partagée près de 300 fois depuis le 5 janvier.Cette vidéo est un extrait d'une longue interview de Louis Fouché au magazine Nexus diffusée le 3 janvier sur Facebook, et qui cumule depuis plus de 5.200 partages et 151.000 vues. Nexus est un bimestriel largement consacré aux pseudosciences et prompt à relayer des allégations infondées, notamment sur les vaccins et leur lien erroné et maintes fois démystifié avec l'autisme. Capture d'écran d'ODP news faite le 7 janvier 2021Des experts avaient déjà démystifié dans un article de vérification de l'AFP des propos erronés sur les vaccins proférés par Louis Fouché, qui se présente comme un hérault de la "réinformation" sur le Covid. Il est très présent sur les réseaux sociaux et certains médias, comme Cnews ou ou Sud Radio, depuis plusieurs mois et il est devenu une des figures de proue des milieux complotistes et anti-vaccins.Dans l'extrait ci-dessus, Louis Fouché évoque notamment le risque de "devenir infertile" suite à l'injection d'un vaccin à ARN messager, comme ceux de Pfizer/BioNtech et Moderna. Une théorie erronée mais répandue, qui a déjà fait l'objet d'articles de vérification de l'AFP en français et en anglais.Cette technique vaccinale consiste à injecter de l'ARN de synthèse, qui va dire (d'où le terme d'ARN messager) à la cellule de l'organisme vacciné de fabriquer une protéine du virus, appelée "spike" (ou en français "spicule" ou protéine "de pointe").Reconnaissant cette protéine, l'organisme saura se défendre grâce à la production d'anticorps "anti-spike" s'il vient à être infecté par le Sars-Cov-2, virus responsable de la maladie Covid-19. Pour affirmer que ces vaccins présentent un "risque d'infertilité", Louis Fouché évoque ce qu'il appelle le "problème de la syncytine", une protéine nécessaire à la fabrication du placenta pendant la grossesse.La protéine '"spike' a beaucoup d’homologies de séquences (génétiques, NDLR) avec la syncytine justement" et donc, "si jamais vous faites des anticorps contre 'spike' [sic] et que vous faites au passage des anticorps contre la syncytine , vous risqueriez d’être infertile", continue le médecin.Comme il le dit lui-même, cette théorie vient d'un certain Wolfgang Wodarg, qui a co-écrit une lettre de 43 pages datée du 1er décembre 2020 et archivée ici. Elle est adressée à l'Agence européenne du médicament, l'AEM, et entend lister les incertitudes et dangers potentiels liés, selon ses auteurs, au vaccin de Pfizer/BioNTech.Dans le passage reproduit ci-dessous, est évoquée la question de la protéine syncytine-1. Capture d'écran de la lettre à l'AEM de Wolfgang WodargOn peut noter que le texte précise de lui-même qu'il "n'y a pas d'indication" allant dans le sens d'anticorps anti-protéine S "qui agirait aussi comme anticorps anti Syncytine-1".Il poursuit : "cependant, si cela devait être le cas, cela empêcherait aussi la formation d'un placenta, ce qui aurait pour résultat de rendre les femmes vaccinées infertiles".On voit donc, d'emblée, qu'il ne s'agit que d'une simple supposition.Une théorie que rien ne vient étayer à ce jour et qui est même plus qu'improbable tant le risque que l'organisme "se trompe" de cible est infinitésimal voire inexistant, ont expliqué plusieurs spécialistes à l'AFP dans cet article publié mi-décembre 2020."L'inquiétude sur la possibilité que les anticorps ciblant ces protéines [S, NDLR] puissent attaquer la protéine syncytine-1 du placenta, parce que la protéine de pointe du nouveau coronavirus partage avec elle une très courte séquence d'acides aminés, est très faible", expliquait alors Dansantila Golemi-Kotra. L'identification de la protéine S par l'organisme "est rarement cantonnée à une seule courte séquence d'acides aminés", poursuivait la scientifique.Sanjay Mishra, chargé d'étude à l'Université Vanderbilt de Nashville, aux Etats-Unis, abondait : "un grand nombre d'études ont montré qu'une infection au Sars-Cov-2 entraîne la production d'anticorps contre la protéine de pointe virale. Ainsi, on peut légitimement s'attendre à ce qu'une vaccination induisant la production de la protéine virale va également diriger les anticorps contre cette protéine de pointe virale et rien d'autre". Ce n'est pas tout, disait encore Frédéric Altare, spécialiste de l'immunité et directeur de recherche à l'Inserm, en France, dans un entretien téléphonique avec l'AFP le 14 décembre.Même si des séquences sont communes entre les deux protéines, "ces séquences se réorganisent dans les protéines (...) pour donner une sorte de forme en trois dimensions. C'est cette forme qui est reconnue par les anticorps"."Dans l’état actuel des connaissances, il n’ y a pas de ressemblance suffisante -et il y a très peu de chances qu’il y en ait une- entre la protéine syncytine-1 et la 'spike''', estimait encore M. Altare, qui note que les auteurs de cette théorie "n'avancent aucune démonstration qui montrerait que les anticorps anti-spike ciblent aussi la syncytine-1"."Quand bien même ce serait le cas, comme les anticorps ont une durée de vie limitée, toute action serait transitoire", excluant l'idée d'une infertilité durable, a fortiori de stérilité, insistait-il encore.Enfin, soulignait Annette Beck-Sickinger, professeur à l'Université de Leipzig en Allemagne, "si l'argument concernant la syncytine était vrai, chaque femme infectée par le virus serait par conséquent devenue stérile, mais ce n'est pas le cas".Les personnes infectées par le Sars-Cov-2 "ont toutes produit des anticorps anti-spike et il n'y a aucune remontée indiquant que ça ait empêché les femmes de tomber enceintes", abondait Frédéric Altare, or "si ca ne se produit pas naturellement avec le virus, il n'y a pas de raison que ça le fasse avec autre chose". Une infirmière reçoit le vaccin Pfizer/BioNtech à Vannes le 7 janvier 2021 (AFP / Loic Venance)Louis Fouché évoque aussi un risque d'infertilité pour les hommes, sans expliquer sur quoi il se fonde: "ça agit aussi sur le sperme masculin et la rencontre entre les gamètes", avance-t-il.Quoi qu'il en soit, comme expliqué dans cet article de vérification de l'AFP expliquant que les vaccins à ARN ne modifient pas les gènes des vaccinés, "le vaccin à ARN reste localement, il ne va pas se promener partout dans vos testicules, qui sont un sanctuaire immunologique. Et on n'a jamais vacciné quelqu'un dans les testicules...", selon l'immunologiste Jean-Daniel Lelièvre, membre de la Commission vaccination à la Haute autorité de santé.Quel recul sur les vaccins à ARN messager ?Louis Fouché affirme aussi qu'il "n'y aucun recul sur ces technologies".Si la rapidité de mise au point des vaccins (moins d'un an) et la relative nouveauté de la technologie ont pu susciter des interrogations, il est exagéré d'affirmer qu'il n'y a "aucun recul".Comme expliqué dans cette dépêche de l'AFP du 9 novembre 2020, aucun vaccin à ARN n'avait été, avant la pandémie, approuvé chez l'homme.Toutefois, les recherches scientifiques sur l'ARN messager avaient commencé il y a bien plus longtemps. Cette dépêche de l'AFP consacrée à la chercheuse Katalin Kariko rappelle que celle-ci avait par exemple publié des travaux scientiques sur l'ARN messager le sujet en 2005. La biochimiste pensait que l'ARN messager pourrait jouer un rôle clé dans le traitement de certaines maladies, par exemple en soignant les tissus du cerveau après un AVC. Quant à son utilisation dans des vaccins, l'Inserm explique ici que "bien que la technologie n’ait été médiatisée que récemment (...), elle ne date pas d’hier. Des chercheurs travaillent sur le sujet depuis plusieurs décennies. Ils faisaient néanmoins face à des obstacles techniques"."La taille des molécules d’ADN et d’ARN posait notamment problème, ce qui explique en partie pourquoi cette technologie vaccinale n’avait jusqu’à récemment atteint que les stades précliniques et cliniques précoces. Les molécules d’ARN sont par exemple dix fois plus grosses qu’un antigène sous forme de protéine directement injecté via un vaccin traditionnel", poursuit l'institut de recherche."Il fallait donc développer un système de transport de ces molécules au bon endroit, à l’intérieur des cellules d’intérêt. Or, c’est seulement récemment que des solutions ont pu être trouvées", écrit encore l'Inserm, notant que "Pfizer/BioNTech et Moderna utilisent par exemple des particules nanolipidiques pour transporter l’ARN vaccinal jusqu’aux cellules".L'Inserm souligne aussi que ces vaccins sont plus rapides et plus simples à produire que les vaccins traditionnels (contenant du virus tué ou inactivé).Quant aux inquiétudes sur la rapidité de mise au point de ces vaccins, l'Inserm souligne aussi que "la vitesse de circulation du virus dans la population (...) a permis d’obtenir plus rapidement des résultats d’efficacité lors des essais cliniques", ce qui contribue "à expliquer ce délai de mise au point extraordinairement court".Enfin, "jamais les fonds attribués à ce type de recherche vaccinale n’avaient été aussi élevés, et ces financements ont donné aux chercheurs des moyens qu’ils n’avaient pas jusqu’alors pour mener des essais cliniques aussi rapidement et efficacement", relève aussi l'Inserm. L'immunologiste Steve Pascolo, de l'université de Zurich et spécialiste de l'ARN messager, va même plus loin. "En réalité, on a des millions d'années d'expérience", explique le spécialiste. "Notre corps est affecté en permanence par des virus, des bactéries, et il y a de l'ARN messager partout dans ces virus. Ils infectent votre corps et vous donnent leur ARN. Cela n'affecte pas votre ADN pour autant", disait-il le 4 janvier 2021 dans un interview à France Inter.Enfin, les vaccins à ARN messager de Pfizer et Moderna ont subi ces derniers mois des tests cliniques sur quelque 70.000 personnes. Leur sûreté, leur efficacité et leurs possibles effets indésirables étant renseignés dans des documents rendus publics par l'agence américaine du médicament, la FDA, dans plusieurs documents.Et depuis début décembre, plusieurs millions de personnes dans le monde ont déjà été vaccinées avec le vaccin de Pfizer, selon les calculs de l'AFP.Vaccin H1N1 et narcolepsiePour appuyer son argumentation, Louis Fouché évoque l'exemple d'effets indésirables observés pour le vaccin contre la grippe A et selon lui observés tardivement."Pour le vaccin de la grippe H1N1, on a mis jusqu’à deux ans à voir certaines formes de narcolepsie", un trouble de sommeil qui se traduit par des accès de sommeil incontrôlables, dit-il.Suite à la campagne de vaccination contre cette grippe pandémique en 2009-2010, une hausse de cas de narcolepsie chez des sujets jeunes vaccinés par un des vaccins anti-grippe A, le Pandemrix, avait en effet été signalée.Comme expliqué par l'Agence européenne du médicament ici en 2011, le Pandemrix a été autorisé en septembre 2009 et sa relation possible avec la narcolepsie a fait l'objet d'un examen par l'agence le 27 août 2010 "après une hausse des signalements de cas de narcolepsie en Finlande et en Suède". L'AEM précisait alors que le vaccin avait été administré à "au moins 30,8 millions de personnes".Sur la base des études épidémiologiques réalisées en Finlande et en Suède, l'AEM avait estimé que "le vaccin (avait) vraisemblablement intéragi avec des facteurs génétiques ou environnementaux, qui peuvent augmenter le risque de narcolepsie, et que d'autres facteurs avaient pu contribuer aux résultats".L'Agence avait alors décidé de restreindre son usage : "chez les moins de 20 ans, le Pandemrix n'est à utiliser qu'en l'absence de vaccins [similaires], suite à de très rares cas de narcolepsie chez des jeunes. Le rapport bénéfice-risque global demeure positif", écrivait-elle.Plusieurs études (comme celle-ci par exemple 2013, portant sur 2.608 cas suspectés) ont par la suite confirmé un lien, sans pour autant que soit établi de façon certaine le mécanisme biologique qui l'expliquerait.Cette publication de l'Inserm de 2014 expose la complexité des mécanismes à l'oeuvre dans la narcolepsie.Les cas de narcolepsie soupçonnés d'être liés à ce vaccin restent en tout état de cause très limités par rapport au nombre de personnes vaccinées.Dans cette interview en 2018, le Pr Yves Dauvilliers (neurologue et spécialistes des troubles du sommeil au CHU de Montpellier), expliquait par exemple que sur 4 millions de vaccinés avec le Pandemrix, "on estime qu’en France, une bonne centaine de cas de cette maladie rare sont imputables au vaccin contre H1N1"."Aujourd’hui, le lien chronologique, épidémiologique est assez clair mais, être certain de l’imputabilité du vaccin pour un sujet donné est beaucoup plus compliqué", ajoutait-il.Da façon générale et comme pour les médicaments, les vaccins sont susceptibles d'entraîner des effets indésirables.Les professionnels de santé sont tenus de faire remonter des événements indésirables survenus chez des personnes vaccinées. Mais quelle que soit sa gravité, son lien causal avec la vaccination doit être médicalement établi et cela peut prendre du temps.Ce n'est qu'après un processus rigoureux que les scientifiques peuvent estimer s'il existe un lien et qu'il s'agit d'un effet possible du vaccin.Enfin, vaccins comme médicaments ou opérations chirurgicales par exemple sont tous soumis au principe de la balance bénéfice-risque, établissant clairement que les avantages du produit ou de l'intervention dépasse largement d'éventuels risques.Pour l'heure, une personne sur environ 100.000 a manifesté une réaction allergique grave après avoir reçu une dose du vaccin de Pfizer-BioNTech contre le Sars-CoV-2, ont annoncé le 6 janvier 2021 les autorités sanitaires américaines, soulignant que les bénéfices de la vaccination étaient bien supérieurs aux risques potentiels, comme rapporté dans cette dépêche AFP.
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