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Une vidéo prétendant montrer l’ambassadeur de France en République démocratique du Congo (RDC) se faire chasser de l’enceinte de l’Assemblée nationale à Kinshasa, cumule des dizaines de milliers de vues sur les réseaux sociaux depuis début décembre. Des internautes, affichant ouvertement leur sentiment anti-français, se félicitent que le diplomate, qu’ils affirment avoir identifié sur la vidéo virale, soit aux prises avec la foule. Attention: il ne s’agit pas de l'ambassadeur français à Kinshasa, comme le montre une comparaison entre ses photos officielles et les images de la vidéo, corroborée par le Quai d'Orsay.La séquence d’une minute et 35 secondes laisse apparaître deux hommes blancs vigoureusement dirigés vers la sortie de l’Assemblée nationale à Kinshasa, sous les huées d'une foule visiblement hostile, et encadrés par des policiers. Capture d'écran d'une publication sur Facebook, réalisée le 9 décembre 2022Selon bon nombre d’internautes, la principale personne ainsi rabrouée est l’ambassadeur de France en RDC. "L'ambassadeur Français et sa délégation chassés du palais du peuple", se réjouit l’auteur d’une publication qui totalise plus de 120.000 vues depuis le 2 décembre. Le même message est partagé par de nombreux autres posts sur Facebook (1,2,3,4) Twitter, YouTube et sur des sites d’information en ligne (1). Il est diffusé dans un contexte sécuritaire très tendu dans l'est de la RDC, où la rébellion du M23 s'est emparée de larges portions du territoire ces dernières semaines. Par exemple, une partie de la population, en colère, s’en est prise récemment aux locaux et au matériel de la Mission des Nations unies (Monusco) qu’elle appelle à quitter le pays, jugée incapable de protéger les Congolais et de rétablir la paix dans cette région troublée. Toutefois, la vidéo virale ne montre pas Bruno Aubert, l’ambassadeur de France à Kinshasa. Les images officielles du diplomate ne présentent pas de similitude avec celles de l’homme qui apparaît sur cette vidéo. Comparaison de l'image virale du supposé ambassadeur français en RDC et celle prise sur le compte Twitter officiel du vrai ambassadeur de France en RDC, Bruno Aubert. Comparaison de l'image virale du supposé ambassadeur français en RDC et celle prise sur le compte Twitter officiel du vrai ambassadeur de France en RDC, Bruno Aubert. D’autre part, la cellule de presse de l’ambassade de France à Kinshasa est catégorique : "il ne s’agit en aucun cas de notre ambassadeur, ni même d’un diplomate français ou de quelqu’un de l’ambassade". Elle a également répondu à l’AFP qu’à sa connaissance, "ce n’est pas non plus un membre de la communauté française" expatriée en RDC.L’ambassadrice pour la Diplomatie publique française en Afrique a aussi réagi sur son compte Twitter officiel, alertant sur une "fake news" : "le monsieur sur la vidéo n’est pas notre ambassadeur en RDC", a écrit Anne-Sophie Avé le 5 décembre.Sur la vidéo virale, dont le contenu a été traduit du lingala, on voit les gens en colère demander aux "Mindele", les "Blancs", de sortir de l'enceinte du Palais du peuple, siège du Parlement, sans toutefois qu'aucune mention explicite à la France ni aucune autre nationalité ne soit audible.Au début de la vidéo, une voix crie : "Pas comme ça, pas comme ça". Un homme demande vigoureusement qu'on fasse sortir les "Mindele". D'autres voix s'élèvent dans la foule, ceux qui conduisent les deux hommes vers la sortie de l'enceinte ordonnent : "sortez, sortez", "Qu'ils sortent", "eux, il faut qu'il sortent, qu'ils partent, nous n'avons pas besoin d'eux, qu'ils sortent, qu'ils soient dehors".D'autres encore clament- "Nous, on meurt, eux, ils nous volent, qu'ils sortent, trop c'est trop"...Une source proche du Parlement a confirmé à l'AFP que l'incident s'était bien déroulé sur l'esplanade du palais du peuple. "Comme tout le monde, nous avons vu cette vidéo (...), où des hommes de peau blanche semblent être malmenés et chassés" de l'enceinte du Parlement, a affirmé cette source, sans pour autant pouvoir confirmer la date ni les circonstances exactes dans lesquelles a été filmée cette vidéo.Toutefois, sous certaines publications Twitter (ici par exemple), des internautes alertent sur le fait qu'il ne s'agit pas de l'ambassadeur français et identifient plutôt des citoyens turcs. Capture d'écran de commentaires sur Twitter, réalisée le 7 décembre 2022Des recherches plus poussées sur les réseaux sociaux nous ont permis d'identifier un homme dont les photos ressemblent fortement aux images virales devant le Parlement congolais. Il s'agit de Yusuf Biçer, attaché commercial de l'ambassade de Turquie en RDC. Comparaison de l'image virale du supposé ambassadeur français en RDC(à gauche et à droite) et celle prise sur le compte LinkedIn de Yusuf Bicer (au milieu), qui se présente comme attaché commercial de l'ambassade de Turquie en RDC.Contactée par l'AFP, l'ambassade de la Turquie à Kinshasa n'a pas donné suite à nos demandes. Quant au ministère des Affaires étrangères à Ankara, il a répondu "ne pas disposer d'informations relatives à cette question". Mais plusieurs expatriés membres de la communauté turque à Kinshasa ont confirmé sous couvert d'anonymat à l'AFP l'identité du diplomate, qui est bien l'homme apparaissant sous les huées.La vidéo virale n’a donc pas de lien avec la France ni l'ambassadeur de France à Kinshasa. Sentiment anti-françaisCette vidéo intervient dans un contexte de montée du sentiment anti-français et de rejet de la diplomatie de l'ex-puissance coloniale en Afrique francophone, surtout dans les pays du Sahel comme le Mali et le Burkina Faso. Ces derniers mois de nombreuses rumeurs ont inondé sur les réseaux sociaux en RDC, accusant les Occidentaux, à travers la force onusienne de maintien de la paix (Monusco), de collaborer avec le M23 dans l'est du pays, sur fond de combats meurtriers entre l'armée et les rebelles.Les Français ont même été accusés de soutenir et de ravitailler directement les rebelles du M23 en matériel militaire. Le 18 novembre, un message mensonger affirmait qu'un avion militaire français était tombé en panne à Kisangani, dans le nord de la RDC alors qu'il était en route pour livrer des armes aux rebelles .Le M23, pour "Mouvement du 23 mars", est une ancienne rébellion tutsi vaincue en 2013, qui a repris les armes fin 2021 en reprochant à Kinshasa de ne pas avoir respecté ses engagements sur la démobilisation et la réinsertion de ses combattants. En juin, ses combattants ont pris Bunagana, à la frontière ougandaise, puis, après une accalmie, sont repartis à l'offensive en octobre, s'emparant de larges pans de territoire au nord de Goma. Ce retour en force du M23 a provoqué un regain de tension entre la RDC et le Rwanda, alors que l'élection début 2019 de Félix Tshisekedi à Kinshasa avait réchauffé des relations historiquement compliquées. Kinshasa accuse Kigali de soutenir et d’armer ses assaillants, ce que nie le Rwanda. Les chefs des deux Etats se rejettent les torts à coups de discours et de déclarations fortement médiatisées. Dans cette joute diplomatique, le gouvernement congolais reproche par ailleurs à l’ONU de bloquer son ravitaillement en matériel militaire au nom d’un embargo. Une responsabilité que réfutent les Nations unies.
(fr)
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