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Des "drones militaires (...) repérés aux mains du M23", le mouvement rebelle contre lequel se battent les forces armées de la République démocratique du Congo dans l'est du pays ? C'est ce qu'affirment plusieurs internautes et pages sur Facebook, images à l'appui. Attention : ces photos, partagées plusieurs centaines de fois depuis mi-novembre, montrent en réalité des drones taïwanais, iranien et français. Par ailleurs, selon un rapport de l'Onu et un expert consulté par l'AFP, le M23 ne possède pas de moyens aériens."Deux drones militaires viennent d'être repérés aux mains des rebelles du M23 à Pena/Rutshuru", dans l'est de la République démocratique du Congo, affirment plusieurs internautes et pages Facebook en partageant différentes photos de drones en plein vol. Ces publications partagées plusieurs centaines de fois depuis mi-novembre (1, 2, 3...) circulent dans un contexte de hautes tensions dans les régions orientales congolaises, où le M23 a lancé une vaste offensive ces dernières semaines. Capture d'écran de publications Facebook, réalisée le 12 décembre 2022Les habitants du territoire de Rutshuru (mentionné par les internautes dans leurs publications) se sont enfuis par dizaines de milliers vers Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, fuyant l'avancée du M23. Ce mouvement rebelle majoritairement tutsi, vaincu en 2013, a repris les armes fin 2021. En juin, il a pris Bunagana, à la frontière ougandaise, puis, après une accalmie, est reparti à l'offensive en octobre, s'emparant de larges pans de territoire au nord de Goma.Photos décontextualiséesAttention cependant : aucune des photos brandies par les internautes comme la preuve que le mouvement rebelle possède des drones n'a de lien avec la République démocratique du Congo. Tous ces appareils ont été pris en photo dans d'autres pays. La plus partagée des trois images virales, celle montrant un drone gris survolant une forêt, se retrouve - grâce à une recherche d'image inversée via Google - sur le site Air & Cosmos, un site francophone d'actualité aéronautique et spatiale, dans un article publié le 1er août. Consacré au "'Teng Yun 2', drone indigène de l'armée taïwanaise", il décrit le vol d'essai de ce nouveau drone taïwanais dont le nom signifie "cavalier des nuages". Capture d'écran du site Air et Cosmos, réalisée le 12 décembre 2022"Après avoir décollé de la base de Chiashan, à l’ouest de Taïwan, l’appareil a effectué une circumnavigation autour de l’île par le nord, longeant la ligne médiane dans le détroit et retraçant ainsi le contour de la zone d'identification de défense aérienne (ADIZ) taïwanaise", précisait l'article.Toujours selon Air & Cosmos, cet engin est le premier drone de combat "entièrement développé" par une entreprise taïwanaise et il s'agissait pour ce modèle d'un vol de test avant qu'il ne soit produit en série - impossible donc qu'une de ces machines se soit retrouvée dans l'est de la République démocratique du Congo. Dans son article au sujet de ce vol test, le quotidien taïwanais Taipei Times publie d'ailleurs une photo du même drone, identifiable grâce à son numéro de série, identique à celui qu'on devine dans la photo virale (MU1812). Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 12 décembre 2022 Capture d'écran du site du Taipei Times, réalisée le 12 décembre 2022 La deuxième image souvent partagée par les internautes montre un autre drone, blanc cette fois-ci, sur le point d'atterrir dans un paysage désertique et montagneux. Une autre recherche d'image inversée toujours via Google nous dirige de nouveau sur le site d'Air & Cosmos, cette fois-ci vers un article publié le 16 août 2019 utilisant la photo virale et portant sur "l'entrée en service du drone Mohajer 6 au sein de l'armée iranienne". Capture d'écran du site Air et Cosmos, réalisée le 12 décembre 2022Selon la légende, elle a été prise par l'Agence de presse de la République Islamique d'Iran (Irna). En cherchant le nom du drone en farsi accompagné de cet acronyme sur Google (پهپاد مهاجر-6 irna), on retrouve la même photo que celle partagée par les internautes sur le site de l'Irna, publiée le 26 juillet 2018. Capture d'écran du site de l'Agence de presse de la République islamique, réalisée le 12 décembre 2022La dernière photo montre, elle, un drone utilisé par l'armée française au Sahel. Une recherche d'images inversée sur Google conduit à un article de Laurent Lagneau, fondateur du site Zone Militaire spécialisé dans l'actualité de la défense et de la sécurité, publié en mai 2021. L'image figure en tête de cette page qui revient sur le "premier vol opérationnel [du] drone Reaper Block 5 de l'armée de l'Air et de l'Espace". Capture d'écran du site Zone Militaire, réalisée le 13 décembre 2022Contacté par l'AFP le 12 décembre, Laurent Lagneau a confirmé qu'"il [s'agissait] bien d'un drone MALE MQ-9 Reaper block 5" et que l'image d'en-tête avait été "fournie par l'État-major des armées" à ce lien. Son URL contient en effet plusieurs éléments permettant de confirmer ces informations. D'abord, le nom de domaine "defense.gouv.fr", caractéristique des pages officielles du gouvernement relatives à la défense et la sécurité. Mais aussi une date, le 20 mai 2021, qui est également la date de publication de l'article sur Zone Militaire. Moyens "sophistiqués" mais "pas aériens"Si ces photos sont sorties de leur contexte, peut-on pour autant supposer que le M23 possède des drones militaires ? "Nous n'avons jamais eu d'informations allant dans ce sens", répond Pierre Boisselet, responsable des recherches sur la violence pour Ebuteli, l'Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence basé à Kinshasa, contacté par l'AFP le 6 décembre. Le M23 est "essentiellement un groupe rebelle d'infanterie" qui n'a ni chars d'assaut, ni "moyens aériens", assure cet expert. "Au niveau aérien, il n'y a que l'armée congolaise et la mission de l'Onu en RDC - ou des armées alliées, mais pas dans cette zone - qui ont [des moyens] à disposition."Le groupe rebelle possède en revanche des armes automatiques, des gilets pare-balles, des casques, des équipements de communication et des véhicules leur permettant de se déplacer, selon Pierre Boisselet. Ainsi que "des équipements qui [leur] permettent d'attaquer notamment des hélicoptères", précise-t-il, comme des systèmes portatif de défense aérienne (Manpads).La possibilité que le M23 détienne des missiles sol-air, un armement particulièrement sophistiqué, reste un sujet sensible. Un rapport confidentiel du groupe d'experts de l'Onu sur la RDC daté de juillet que l'AFP a pu se procurer assure que "la présence de systèmes anti-aériens n'a pas (encore) été documentée dans l'arsenal du M23/ARC". Mais le site congolais Actualites.cd citait, toujours en juillet, le représentant spécial adjoint pour la protection et les opérations au sein de la Monusco, Khassim Diagne, qui affirmait alors que le M23 détenait bien "des missiles sol-air". Le président congolais Félix Tshisekedi avait d'ailleurs accusé"le M23, avec le soutien de l'armée rwandaise", d'avoir "abattu" en mars un hélicoptère de la mission de l'Onu dans le pays (Monusco), tuant huit Casques bleus et "commettant ainsi un crime de guerre". Un crash imputé à "un tir direct venant d'une colline sous contrôle du M23/de l'ARC [Armée révolutionnaire du Congo, la branche armée du M23, ndlr]" selon le rapport du groupe d'experts des Nations unies. Le niveau avancé des équipements militaires détenus pas le M23 a d'ailleurs été relevé par Bintou Keita, la représentante spéciale de l'Onu en RDC et cheffe de la Monusco, citée dans ce même rapport. "Le M23 se comporte de plus en plus comme une armée conventionnelle plutôt que comme un groupe armé" disposant d’une puissance de feu et d’équipements de plus en plus sophistiqués, avait-t-elle déclaré fin juin devant le Conseil de sécurité. Soutien rwandaisOr, il est "difficile d'imaginer [que les rebelles] aient pu recruter, former aussi facilement sans qu'à minima les pays voisins à partir desquels ils recrutent principalement ferment les yeux", analyse Pierre Boisselet, de l'institut Ebuteli. Parmi ces pays, le Rwanda est tout particulièrement accusé par Kinshasa de soutenir le M23, ce que Kigali dément.Des soupçons que le rapport de l'Onu accrédite, évoquant des "preuves solides de la présence et des opérations militaires menées par des membres des Forces rwandaises de défense (FDR) dans le territoire de Rutshuru, où des membres des FDR ont [...] fourni leur assistance aux opérations du M23/ARC". "D'après les informations que nous avons et qui sont contenues dans ce rapport, l'armée rwandaise intervient directement en soutien de cette rébellion", abonde Pierre Boisselet. Ce document cite plusieurs exemples de ce soutien des FDR au M23. Lors de l'attaque du camp des Forces armées congolaises (FARDC) à Rumangabo en mai, "les combattants rebelles ont reçu un soutien important de la part des RDF sur le champ de bataille, dont ont attesté des membres des FARDC présents dans le camp, des autorités locales et trois chefs de groupes armés ainsi que des preuves matérielles abandonnées sur place", notent les experts de l'Onu. Des gens tentent de traverser la frontière entre la République démocratique du Congo et l'Ouganda avec leurs affaires après des affrontements entre les Forces armées congolaises et le M23 à Bunagana, à 100 kilomètres de la ville de Goma dans l'est de la RDC, le 2 avril 2022. ( AFP / GUERCHOM NDEBO)En juin, alors que le M23 venait d'attaquer et d'occuper à la frontière ougandaise la ville de Bunagana, "des images [consultées par l'Onu] montrent des hommes en uniforme transportant du matériel militaire connu pour être utilisé par les RDF comme des casques balistiques composites avec supports de visée, des fusils d'assaut type 81-1, des grenades à fusil antipersonnel type 90 et des gilets pare-balles", précise le rapport onusien, qui en tire deux conclusions possibles ; soit des militaires des RDF étaient présents à Bunagana en appui au M23, soit l'équipement des soldats des RDF a été transféré aux combattants du M23 déployés dans cette ville. Après une accalmie suivant la prise de Bunagana, les combattants du M23 sont repartis à l'offensive en octobre, s'emparant de larges pans de territoire au nord de Goma. Cette expansion n'a pas été ralentie par les FARDC, gangrénées par des problèmes d'organisation, de logistique et de "népotisme" qui "empêchent cette armée de contrôler efficacement son territoire", analyse Pierre Boisselet de l'institut Ebuteli.Tensions diplomatiquesCe retour en force du M23 a provoqué un regain de tension entre la RDC et le Rwanda, alors que l'arrivée au pouvoir début 2019 de Félix Tshisekedi à Kinshasa avait réchauffé des relations historiquement compliquées. Kigali dément fermement soutenir le groupe rebelle, malgré les accusations de Kinshasa et les déclarations onusiennes. Les chefs des deux Etats se rejettent les torts à coups de discours et de déclarations fortement médiatisées.Un bras de fer dans lequel le rapport des experts de l'Onu, accablant pour le Rwanda, n'a pas pesé jusque-là, selon Pierre Boisselet, car il "a réussi à se rendre indispensable à beaucoup de pays notamment occidentaux en intervenant dans différents endroits pour lutter contre des groupes terroristes qui sont vus [par ces mêmes pays] comme une menace prioritaire", poursuit cet expert.Parmi les différentes initiatives diplomatiques lancées pour tenter de résoudre cette crise, un sommet organisé le 23 novembre à Luanda avait décidé d'un cessez-le-feu le 25 au soir, suivi deux jours plus tard d'un retrait du M23 des zones conquises. Faute de quoi, la force régionale est-africaine en cours de déploiement dans le Nord-Kivu interviendrait pour déloger les rebelles. Mais jusqu'à présent, les rebelles gardent les positions conquises.
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