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Emmanuel Macron serait "le premier président français rappelé à l'ordre par l'ONU", affirme une publication virale sur les réseaux sociaux depuis mi-février. C'est trompeur : des experts des Nations unies ont effectivement émis des recommandations visant la France au cours du quinquennat du président de la République, mais ces propos, qui n'ont aucune valeur coercitive, ne visaient pas directement Emmanuel Macron, ont précisé l'organisation internationale et plusieurs spécialistes auprès de l'AFP. De plus, la France avait déjà fait l'objet de critiques -parfois bien plus dures- par des organes de l'ONU avant 2017."Emmanuel Macron entre dans l'Histoire comme le 1er président français rappelé à l'ordre par l'ONU pour atteinte aux droits de l'homme", prétend une publication Facebook partagée près de 3.000 fois depuis le 15 février. Capture d'écran Facebook, prise le 22/02/2022La même affirmation avait été relayée massivement en mars 2019 sur Twitter. Pourtant, elle était déjà trompeuse : la responsabilité individuelle d'Emmanuel Macron concernant de potentielles "atteintes aux droits de l'Homme" n'a pas été visée par l'Organisation des Nations unies (ONU). La France avait par ailleurs déjà été rappelée à l'ordre avant 2017, ont indiqué l'ONU et cinq spécialistes des relations internationales et du droit public international à l'AFP. Quels "rappels à l'ordre de l'ONU" ? Les publications font référence à un rappel à l'ordre de "l'ONU" pour "atteinte aux droits de l'Homme". Cette organisation, qui regroupe 193 états membres, est composée de plusieurs types d'organes et agences, aux prérogatives et missions spécifiques. Nombre d'entre eux émettent régulièrement des recommandations à l'égard des Etats, en lien avec les thèmes qu'ils traitent.Les organes principaux de l'ONU incluent notamment l'Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Conseil économique et social ou encore le Secrétariat. Chaque instance a ses représentants et porte-paroles, qui font figure de "voix" de l'ONU pour le grand public et dans les médias. En plus de ces organes majeurs, l'ONU est composée d'agences spécialisées, dont le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme (HCDH), chargé de veiller sur le respect des droits de l'Homme. Il est représenté par la Haute-Commissaire aux droits de l'Homme, fonction occupée depuis 2018 par Michelle Bachelet. La Haute-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU, Michelle Bachelet, le 23 septembre 2021 lors d'une session du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU à Genève en Suisse. ( AFP / Fabrice COFFRINI)Enfin, au sein de cette agence, des groupes d'experts indépendants, appelés rapporteurs spéciaux, peuvent être mobilisés dans le cadre de procédures spéciales. Ils peuvent être envoyés dans certains pays pour décrire la situation et faire part de leurs "préoccupations au sujet de violations présumées des droits de l'Homme", dans le but "d'entamer un dialogue avec un gouvernement - ou d'autres parties telles que des entreprises", comme l'a précisé une porte-parole de l'ONU à l'AFP le 18 février.La France régulièrement mentionnée dans des rapports émis par des organes de l'ONUDe fait, la France a été citée à de nombreuses reprises dans des communications et des déclarations publiques émanant de procédures spéciales, comme en témoigne la page du site du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme qui les répertorie. "La France reçoit plusieurs communications presque chaque année, depuis de nombreuses années maintenant", abonde la porte-parole de l'ONU.Parmi une soixantaine de rapports répertoriés depuis 2010 (l'outil ne permet pas de recherches antérieures), on retrouve des recommandations liées notamment aux thèmes généraux du traitement des migrants et des minorités, aux conditions d'emprisonnement ou au racisme. Les rapporteurs font généralement part de "préoccupations", ou de "propositions" et "commentaires" et "rappellent" aux Etats l'existence de traités internationaux, se montrant plus ou moins fermes dans ces recommandations. Capture d'écran du résultat de la recherche des communications visant la France, prise le 23/02/2022 Capture d'écran du résultat de la recherche des communications visant la France, prise le 23/02/2022Près de la moitié de ces rapports est antérieure au 7 mai 2017, date de l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence française. L'expulsion de migrants du campement de Calais avait par exemple fait l'objet d'inquiétudes de rapporteurs en janvier 2017, tout comme l'évacuation et l'expulsion de Roms, en 2012 puis à nouveau en 2014. La France n'est par ailleurs pas la seule à faire régulièrement l'objet de procédures spéciales, comme l'expliquent auprès de l'AFP les spécialistes des relations internationales Romuald Sciora et Philippe Moreau Defarges, chercheur honoraire à l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI). "La France est nettement moins rappelée à l'ordre que la Russie ou les Etats-Unis", estime Romuald Sciora. Ces derniers ont en effet été mentionnés dans 247 rapports depuis 2010, et la Russie dans 129 autres. Capture d'écran du résultat de la recherche des communications sur les Etats-Unis, prise le 23/02/2022 Capture d'écran du résultat de la recherche des communications sur la Russie, prise le 23/02/2022 En effectuant la même recherche pour le Royaume-Uni, on trouve 78 communications issues de procédures spéciales depuis 2010, soit un peu plus que les 61 de la France. L'Espagne a quant à elle été citée 59 fois, contre 38 mentions pour l'Italie et 20 pour l'Allemagne.Inquiétudes fin 2020 autour de la loi "Sécurité globale"Au cours du quinquennat d'Emmanuel Macron, un document adressé à la France en novembre 2020 par plusieurs rapporteurs, consacré à des "commentaires et suggestions à propos de la proposition de loi n° 3452 relative à la sécurité globale datant du 20 octobre 2020" avait particulièrement fait parler de lui. Fionnuala Ní Aoláin, la rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Irene Khan, la rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression et Clement Nyaletsossi Voule, le rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d'association avaient eu des mots particulièrement forts dans leur rapport, indiquant notamment "craindre" que "l'adoption et l'application de cette proposition de loi puissent entraîner des atteintes importantes aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée".Cet avis des rapporteurs de l'ONU avait aussi été remis en lumière quelques jours plus tard, lorsque la Haute-Commissaire aux droits de l'Homme avait appelé, lors d'une conférence de presse, la France à "réviser" l'article 24 du projet de loi, qui visait à interdire la diffusion d'images montrant des membres des forces de l'ordre dans certaines situations. Ce dernier avait finalement fini par être retoqué par le Conseil Constitutionnel dans la version finale de la loi en mai 2021.Michelle Bachelet avait par ailleurs déjà adressé des recommandations aux autorités françaises en mars 2019, lors cette fois d'un discours devant le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, à Genève. A propos des manifestations des "gilets jaunes", elle avait "encouragé" le gouvernement français à "poursuivre le dialogue" et "incité fortement à ce que tous les cas signalés de recours excessif à la force fassent l'objet d'une enquête approfondie". Des "Gilets jaunes" manifestent le 14 novembre 2020 ) Colmar, près du rond-point sur lequel figure une réplique de la statue de la liberté. ( AFP / SEBASTIEN BOZON)Un nombre de mentions difficile à comptabiliserOutre ces rapports issus des procédures spéciales, "la France (comme tous les États membres) a ratifié un certain nombre de traités internationaux relatifs aux droits de l'Homme, en vertu desquels elle est soumise à des examens réguliers par des comités d'experts", précise la porte-parole de l'ONU. On peut retrouver la liste de tous ces traités, et les pays qui les ont ratifiés, sur le site de l'organisation. Dans ce cadre, la France remet régulièrement des rapports, notamment liés au respect des droits de l'Homme dans le pays, qui sont examinés par des experts de l'ONU. Ces mécanismes existaient eux aussi avant le quinquennat du président actuel, soulignent les spécialistes interrogés par l'AFP.Il est cependant difficile d'obtenir une vision globale du nombre total de ces recommandations adressées à la France, les données en ligne disponibles sur le site de l'agence de l'ONU n'incluant pas les années antérieures à 2009. "La plupart des préoccupations et des recommandations formulées par les organes des Nations unies veillant sur les droits de l'Homme peuvent être recherchées dans les bases de données en ligne. Cependant, d'autres peuvent avoir figuré dans des rapports thématiques, qui seront plus difficiles à trouver", précise ainsi la porte-parole de l'ONU à l'AFP.La France avait pourtant déjà reçu des "rappels à l'ordre" bien antérieurs à 2009, notamment par des organes principaux de l'ONU, notamment au sujet de la guerre d'Algérie, comme le mentionnait déjà cet article de l'AFP. Des résolutions des Nations unies votées alors en faveur de l'autodétermination du peuple algérien, allaient clairement à l'encontre des politiques françaises. "La France a été mise en cause bien plus durement dans le cadre de la guerre d'Algérie, notamment par l'Assemblée générale, ce qui avait bien plus de poids alors que les paroles de Michelle Bachelet", analyse Philippe Moreau Defarges, chercheur honoraire à l'IFRI.Des recommandations principalement symboliquesEn effet, "il n'est absolument pas exceptionnel qu'un pays puisse être rappelé à l'ordre par une des agences de l'ONU", assure Sébastien Touzé, professeur de droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas. "Toutes les agences peuvent proposer des recommandations, ou 'rappeler à l'ordre' des Etats", confirme Romuald Sciora, essayiste et chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).Ces déclarations émanant des différentes composantes de l'ONU sont avant tout symboliques, explique Sébastien Touzé : "plus que des 'rappels à l'ordre', ce sont des recommandations qui visent à ouvrir un dialogue avec les autorités nationales"."Michelle Bachelet est une personnalité publique : ses déclarations ont donc une valeur avant tout politique. Les rapporteurs spéciaux, eux, constatent des faits dans leurs rapports. Enfin, les organes qui s'assurent que les traités signés par des Etats sont respectés, étudient régulièrement les pratiques nationales des Etats et suggèrent des solutions pour améliorer les pratiques", abonde le professeur spécialisé dans le droit international public et le droit international et européen des droits de l’homme. Le chercheur en relations internationales Romuald Sciora ajoute : "C'est malheureux à dire, mais dans les faits, ces rappels à l'ordre ne changent pas grand chose pour les grandes puissances. S'ils n'émanent pas du Conseil de Sécurité de l'ONU, ils n'ont aucun impact punitif, aucun impact autre que symbolique. Pour un petit pays, cela peut avoir un impact en matière de crédibilité internationale, mais pour la France, l'impact est faible".La France visée, plutôt qu'"Emmanuel Macron" Ces déclarations et rappels à l'ordre émis par l'ONU visent par ailleurs des Etats, et non des personnalités comme Emmanuel Macron, à l'inverse de ce que sous-entend la publication partagée sur les réseaux sociaux. "Dans les observations finales d'un comité sur la France, le texte se réfère principalement à l'Etat, et non à des individus nommés, car c'est l'Etat qui a ratifié le traité", explicite ainsi la porte-parole de l'ONU auprès de l'AFP. Les deux recommandations réalisées pendant le mandat d'Emmanuel Macron mentionnées plus haut "étaient adressées au gouvernement et non au président Macron personnellement. Il s'agit d'un élément important : en général, les recommandations et les préoccupations sont généralement adressées au gouvernement, à moins qu'il n'y ait une raison de viser une personne en particulier", abonde encore la porte-parole de l'organisation internationale. "Dans le cas d'Emmanuel Macron, ce n'est pas sa responsabilité individuelle qui est mise en avant. C'est faux, hors de propos, et absolument pas rigoureux de dire qu'il serait rentré dans l'Histoire comme le premier président français rappelé à l'ordre pour atteinte aux droits de l'Homme", confirme le professeur de droit public Sébastien Touzé.Romuald Sciora note tout de même que "lorsque Michelle Bachelet vise la France, elle vise aussi indirectement la politique de son président (...), et il n'y a rien de surprenant à cela : un certain nombre de personnes à l'ONU n'apprécient pas Emmanuel Macron, et ont d'ailleurs été particulièrement été agacés qu'il ne vienne pas à l'Assemblée générale de l'ONU en septembre 2021". Le chercheur et essayiste, qui a publié en octobre 2021 un article d'analyse sur la relation du président français avec l'ONU, résume : "dans ce cas, ce sont des propos politiques". Le drapeau des Nations Unies devant le "Palais des Nations" à Genève, le 29 septembre 2021 ( AFP / Fabrice COFFRINI)Cela ne signifie pas que les représentants de l'ONU ne citent jamais des chefs d'Etat. "Normalement, quand une agence de l'ONU émet un rappel à l'ordre, il n'est pas nominatif. Mais cela peut quand même être le cas pour une dictature établie. Par exemple, Saddam Hussein ou Bachar Al-Assad ont pu être visés plus directement", ajoute le chercheur Romuald Sciora. Deux autres spécialistes en droit public international interrogés par l'AFP ont confirmé qu'il existe des situations dans lesquelles l'ONU peut directement mettre en cause un chef d'Etat. Des représentants de l'ONU peuvent commenter des propos, estimés inacceptables, tenus par une personnalité politique. Par exemple, un rapporteur spécial travaillant sur le racisme peut relever des "discours de haine" de politiciens, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition.La porte-parole de l'ONU mentionne aussi le cas du président philippin Rodrigo Duterte, qui, après avoir ouvertement insulté des rapporteurs des Nations unies en 2018, avait été vertement repris par le Haut-Commissaire des droits de l'Homme de l'époque, Zeid Ra'ad Al Hussein, qui avait indiqué qu'il aurait besoin d'un "examen psychiatrique".Ce même Haut-Commissaire des droits de l'Homme avait aussi, en 2016, tenu un discours dans lequel il a mis en garde "contre les populistes et les démagogues en Europe et aux Etats-Unis", en citant explicitement plusieurs personnalités politiques, dont "M. Trump", ou "Mme Le Pen". En revanche, ce n'est pas leur responsabilité à l'égard d'une potentielle violation des droits de l'Homme qui était visée.Au cours de son quinquennat, Emmanuel Macron a ainsi été mentionné par une rapporteuse de l'ONU sur l'élimination de la discrimination à l'égard des personnes touchées par la lèpre et des membres de leur famille, qui l'a "invité à mettre fin à l'utilisation abusive du terme 'lèpre' dans les échanges politiques", alors qu'il avait, selon elle, utilisé une comparaison avec la lèpre pour décrire la montée du nationalisme. Mais encore une fois, la responsabilité d'Emmanuel Macron en matière d'abus de droits de l'Homme n'a pas été mise en cause avec cette interpellation, ont souligné les professeurs de droit public sollicités par l'AFP.Les experts interrogés par l'AFP et la porte-parole de l'ONU ont indiqué ne pas avoir connaissance d'autres mentions par l'ONU ou ses organes, mettant personnellement en cause Emmanuel Macron pour de potentielles violations des droits de l'Homme.
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