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Deux fac-similés d’une lettre attribuée à Napoléon et adressée au préfet du Var le 21 août 1809 ont été partagés plus de 24 000 fois sur Facebook depuis le 21 juillet 2022, ainsi que sur Twitter. L’empereur y ordonnerait l’exécution d’incendiaires ayant allumé des feux de forêts. Certains internautes y voient la preuve que la justice d’antan était plus sévère. Mais les historiens interrogés par l’AFP assurent que ce courrier, dans ses deux versions, est un "faux grossier", qui circule depuis des décennies.Une photo d’un document qui se veut daté du Premier Empire, a ressurgi sur Facebook à l’occasion des feux de forêt qui font rage en France cet été 2022, en particulier en Gironde, où l'enquête sur l'origine de l'un des incendies, à Landiras, a privilégié la piste criminelle. Un autre incendie a ravagé des centaines d'hectares de végétation près de Montpellier. "Une enquête judiciaire a été ouverte sur une hypothèse criminelle", a précisé le procureur de Montpellier, Fabrice Bélargent.C'est dans ce contexte que ces lettes réapparaissent. On peut y lire :"Au Préfet du département du Var, Monsieur le Préfet, J’apprends que divers incendies ont éclaté dans les forêts du département dont je vous ai confié l’administration. Je vous ordonne de faire fusiller sur le lieu de leur forfait les individus convaincus de les avoir allumés. Au surplus, s’ils se renouvelaient, je veillerai à vous trouver un remplaçant.Fait à Schoenbrunn, le 21 août 1809; Napoléon Empereur""Il plaisantait pas NAPOLEON avec les Pyromanes", dit la légende du post, partagé plus de 23 000 fois. La même image circule aussi sur Twitter.Une autre version commence par "Message impérial à Monsieur le Préfet du Var", et se passe des formules introductives et ne mentionne pas de date et de lieu. Capture d'écran Facebook réalisée le 26 juillet 2022 Capture d'écran Facebook réalisée le 26 juillet 2022 Sur Facebook, plusieurs internautes y voient une preuve de la dureté napoléonienne en comparaison de la supposée permissivité de la justice moderne. "Excellente solution, on est trop laxistes de nos jours", écrit l’un d’entre eux. "Un peu différent des procédures actuelles", note un autre. "Il faudrait y réfléchir à nouveau", va jusqu’à conseiller un autre commentateur. Capture d'écran Facebook réalisée le 26 juillet 2022Mais ces deux fac-similés sont des faux, expliquent quatre historiens interrogés par l’AFP. Cette missive contrefaite est citée au moins depuis 1969."Un faux grossier""Tout est apocryphe : l’écriture, la signature, tout est grossièrement imité", assure à l’AFP l’historien du Consulat et du Premier Empire Pierre Branda, qui avait déjà contesté l’authenticité de la missive dans son livre Les Secrets de Napoléon, publié en 2014."Cette lettre, avec deux photos différentes qui circulent, est un faux grossier", renchérit auprès de l’AFP son confrère historien Thierry Lentz, qui dirige la Fondation Napoléon depuis 2000.Il énumère plusieurs détails qui laissent penser que le document est un faux: d’abord, "quand Napoléon écrit, il utilise un papier qui lui est personnel et qui n’a pas d’en-tête". La formule "Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français", devrait plutôt s'écrire "par la grâce de Dieu et des constitutions", poursuit-il. "Les courriers que Napoléon envoyait n’étaient absolument pas présentés comme ça : il n’y avait pas d’en-tête, détaille Thierry Lentz. Et il ne signait jamais 'Napoléon' de cette façon sur des documents courants, mais plus généralement 'Nap'."La présence d’un sceau sur la deuxième lettre n’est pas non plus gage d’authenticité. Au contraire, "il n’y en a jamais sur les lettres de Napoléon", affirme l'historien. Et de conclure : "Tout ceci est absolument farfelu."S’il ne s’agit visiblement pas de l’écriture de Napoléon, ce n’est pas en soi un signe définitif de contrefaçon, explique à l’AFP Jérémie Ferrer-Bartomeu, historien de l’Ecole nationale des Chartes qui s’intéresse notamment à la culture administrative des secrétaires."Napoléon écrivait beaucoup, mais dictait aussi énormément à ses secrétaires, qui ont une écriture très normée, qu’on connaît", détaille l’historien. Cependant, il note sur la première lettre une écriture "beaucoup trop ronde" qui ne correspond pas à celle des scribes de l’époque.Sur les deux missives, "l'écriture ne ressemble en rien à celle de Méneval, le secrétaire de Napoléon", renchérit le conservateur et historien Charles-Eloi Vial, auteur de Napoléon : la certitude et l'ambition (2020), interrogé par l’AFP. Une lettre écrite par Napoléon, exposée aux Invalides à Paris ( AFP / THOMAS COEX) Capture d'écran Twitter prise le 26/07/2022 Par ailleurs, selon Pierre Branda et Thierry Lentz, on ne retrouve pas ce courrier dans les 40 000 lettres de la Correspondance générale de l’empereur publiée par la fondation Napoléon, qui a notamment exploré le fonds des Archives nationales. Pas de trace non plus dans les archives du préfet du Var de l'époque, Pierre-Melchior d'Azémar, selon l’historien Charles-Eloi Vial, également archiviste paléographe.Le fait même pour Napoléon de s’adresser directement à un préfet est une bizarrerie notée par tous les historiens interrogés. "Napoléon n'écrivait jamais lui-même aux préfets, qui correspondaient avec le ministre de l'Intérieur en respectant la voie hiérarchique", poursuit Charles-Eloi Vial.En circulation depuis des décenniesCes deux missives apocryphes reviennent régulièrement lors d’épisodes de feux, comme en 2017 alors que des incendies sévissaient dans le sud-est de la France, ou en novembre 2019, après l’incendie volontaire de "L’Arche", un bâtiment célèbre de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines).On retrouve même une mention de ce message en 1979. Le 30 octobre, alors que des feux de forêt ravagent les Bouches-du-Rhône, le sénateur Francis Palmero, originaire de la région, lançait à Christian Bonnet, alors ministre de l’Intérieur : "Vous connaissez, monsieur le ministre, ce message de Napoléon Ier au préfet du Var lui ordonnant de faire fusiller sur les lieux de leur forfait les individus convaincus d'avoir allumé des feux de forêt, sous peine d'être immédiatement remplacé en cas de nouvel incendie". Avant d’ajouter : "Nous ne vous en demanderons pas tant."Nos confrères de Nice-Matin, du Monde, de Franceinfo et de 20 Minutes ont également consacré des articles à ces prétendues lettres.Le code pénal de l'époqueSur les réseaux sociaux, les commentaires utilisent aussi cette lettre comme un exemple de la dureté de la justice sous l’Empire napoléonien, en contrepoint du laxisme supposé de la nôtre. Capture d'écran de Facebook du 26 juillet 2022Or, explique Pierre Branda, "ce qui est écrit est une reprise d’un règlement royal que Louis XIV avait édicté dans ses propres domaines de chasse, mais qui n’avait plus court sous Napoléon"."Si des suspects incendiaires étaient arrêtés, ce qui a dû arriver, ils étaient déférés devant un juge d’instruction, mis en examen, et jugés", affirme l'historien.Bien que l'incendie volontaire soit effectivement puni de mort dans le Code pénal de 1791, ainsi que dans sa version réformée par Napoléon en 1810, "l'empereur n’intervient pas directement, ne condamne pas à mort quelqu’un sur une simple lettre", abonde son confrère Thierry Lentz."Un pyromane, même surpris en flagrant délit, aurait eu droit à un procès comme n'importe quel justiciable", renchérit Charles-Eloi Vial.Autre indice qui remet en doute l'authenticité de la lettre : l'absence apparente d’incendies qui auraient pu être remarqués par Napoléon à ce moment-là."Il n’y a aucune mention d’incendie dans le Bulletin de Police remis quotidiennement par le ministre de la Police (ici, le général Savary) pour tout le mois d’août 1809, affirme Thierry Lentz, après être allé vérifié lui-même - ce que confirme Pierre Branda. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’incendie mais que s’il y en a eu, ils n’étaient pas suffisamment importants pour figurer au Bulletin."En revanche, comme l'indique la fausse lettre, Napoléon se trouvait bien le 21 août 1809 au château de Schönbrunn à Vienne en Autriche, d’après historiens interrogés par l'AFP. Mais "il était occupé à négocier un traité de paix avec l'Autriche, après la victoire de Wagram", raconte Charles-Eloi Vial. Ce dernier mentionne cependant une lettre écrite ce jour-là à sa femme Joséphine, dans laquelle "il se plaint de la chaleur et ajoute : 'Malmaison (dans l'actuelle Ile-de-France, NDLR) doit être bien sec et brûlé par ce temps là".L’historien regrette une chose : que l'on parle de cette lettre plutôt que de la politique de Napoléon contre les incendies, notamment après celui "de l'ambassade d'Autriche dans la soirée du 1er juillet 1810". Selon lui Napoléon et l’impératrice Marie-Louise d’Autriche, avaient pu s'échapper de justesse mais on dénombra de très nombreuses victimes. "Il fit par la suite placer des escouades de pompiers et des pompes dans tous ses palais, et il a surtout créé le bataillon des sapeurs-pompiers de Paris par le décret du 18 septembre 1811, afin de protéger la capitale et ses habitants." Une réforme qui perdure encore aujourd'hui puisque les pompiers de la BSPP ont toujours le statut militaire. Photo d'une lettre signée par Napoleon en 1813 prise à la bibliothèque Fesch d'Ajaccio en Corse, le 18 avril 2018 ( AFP / PASCAL POCHARD-CASABIANCA)27 juillet 2022 Ajoute mention de l'incendie dans l'Hérault, republie l'image de tête
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