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Prendre deux aspirines en cas de douleur intense à la poitrine, boire de l'eau à des moments précis de la journée pour diminuer la tension artérielle ou éviter un accident cardiaque... Ces conseils émanant soi-disant d'un cardiologue ont été partagés des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux ces dernières années. Si certaines affirmations sont fondées, la plupart ne s'appuient toutefois sur aucune base scientifique, ont expliqué des néphrologues et des cardiologues à l'AFP.Une internaute suisse s'appuie dans cette publication, partagée 24 000 fois depuis juillet 2020, sur les prétendus conseils de son cardiologue, jamais nommé. Dans la première partie du texte, elle affirme que son cardiologue conseille de boire de l'eau à des moments précis de la journée: selon lui, boire deux verres après le réveil "active les organes internes", un verre avant un bain ou une douche "diminue la tension artérielle" et un verre avant de se coucher "évite un accident vasculaire cérébral ou cardiaque".Dans la deuxième partie, l'auteure de cette publication partage des conseils pour prévenir un infarctus: si l'on prend de l'aspirine, il faudrait plutôt la prendre le soir car "la plupart des crises cardiaques se passent au petit matin" et en cas de réveil avec une douleur intense dans la poitrine, il faudrait avaler "immédiatement deux aspirines avec un peu d'eau". Capture d'écran d'une publication Facebook faite le 30 septembre 2021Cette publication extrêmement virale circule en français sous une forme similaire depuis au moins 2013, notamment au Canada où elle a été partagée plus de 140 000 fois. Elle circule également en anglais et a été vérifiée par l'AFP en 2019. Les publications anglaises et certaines publications françaises mentionnent le nom d'un cardiologue, le docteur Virend Somers, cardiologue à la Mayo Clinic, dans le Minnesota aux Etats-Unis.En février 2020, le groupe de santé Mayo Clinic a publié un communiqué sur son site, déclarant que le Dr Somers n'avait rien à voir avec le contenu de ces publications, qui contiennent "des informations inexactes et potentiellement néfastes". Interrogés à propos de ces publications en septembre 2021, deux néphrologues et deux cardiologues ont indiqué à l'AFP que, si certaines affirmations sont vraies, la plupart de ces conseils ne se basent sur aucune donnée scientifique établie. Certains, comme celui de prendre deux aspirines en cas de douleurs intense à la poitrine, peuvent même s'avérer dangereux.L'aspirine peut prévenir les problèmes cardiaques, mais seulement dans certains casL'auteure de la publication partage des conseils pour prévenir et réagir en cas de crise cardiaque: "si vous prenez une aspirine tous les jours, le mieux c'est de la prendre le soir", écrit-elle, car "l'aspirine a une 'mi-durée' de vie de 24 heures. Donc: si la plupart des crises cardiaques se passent au petit matin, l'aspirine dans votre corps sera au plus fort".L'infarctus, communément appelé crise cardiaque, est causé lorsqu'une partie du muscle cardiaque n'est plus alimentée. Comme l'explique sur son site la Fondation suisse de cardiologie, "lors d’un infarctus du myocarde, une artère coronaire est partiellement ou entièrement obstruée, de sorte que certaines parties du muscle cardiaque, le myocarde, ne sont plus oxygénées", ce qui peut entraîner la mort. L'aspirine est prescrite, à petites doses, dans le traitement des personnes ayant déjà fait un infarctus. Elle empêche en effet les plaquettes sanguines de s'agglomérer, évitant la formation de caillots sanguins pouvant boucher les artères. Cependant, la prendre le soir ou le matin ne change rien, explique Dariouch Dolatabadi, cardiologue à l'hôpital universitaire de Charleroi, en Belgique: "L'aspirine a une durée d'efficacité de cinq jours. Il n'a jamais été prouvé qu'en prendre le soir améliore son efficacité", a-t-il indiqué à l'AFP le 28 septembre 2021. Le cardiologue alerte aussi sur la dangerosité de la publication, qui ne précise pas que seuls les patients ayant déjà fait un infarctus peuvent prendre de l'aspirine à titre préventif, sur prescription d'un médecin: "On ne peut pas donner des conseils généralisés à tout le monde", met-il en garde.La possibilité d'une prescription généralisée de l'aspirine afin de prévenir un infarctus a été étudiée, a expliqué à l'AFP Jean-Luc Vandenbossche, chef du service de cardiologie générale du CHU Saint-Pierre à Bruxelles: "On s'est rendu compte que, si on donnait de l'aspirine à tout le monde, on aurait peut-être un peu moins d'accidents cardiovasculaires, mais on augmenterait les cas de saignements potentiellement mortels".Ainsi une étude, publiée en octobre 2018 par la prestigieuse revue médicale américaine The New England Journal of Medicine et menée entre 2010 et 2014 sur plus de 19 000 personnes âgées, a conclu que "l'utilisation d'aspirine à faible dose comme stratégie de prévention primaire chez les personnes âgées a entraîné un risque significativement plus élevé d'hémorragie majeure et n'a pas entraîné un risque significativement plus faible de maladie cardiovasculaire." Des boîtes d'aspirines dans une pharmacie à Paris, le 8 septembre 2020 ( AFP / Martin BUREAU) "Lors d'une crise cardiaque il est possible que vous n'ayez AUCUNE douleur dans la poitrine", écrit aussi l'auteur de la publication, qui poursuit: "Si jamais vous vous réveillez à cause de douleurs intenses dans la poitrine, avalez immédiatement deux aspirines avec un peu d'eau". Il est en effet possible de faire un infarctus et de ne pas souffrir d'une douleur dans la poitrine. Ainsi, écrit la Fondation suisse de cardiologie sur son site, "chez les femmes, les diabétiques et les personnes âgées, il se peut que les symptômes suivants soient les seuls signaux d’alarme: difficultés respiratoires, nausée inexplicable et vomissement, sensation de pression dans la poitrine, le dos ou l’abdomen". En revanche, prendre deux aspirines en cas de douleurs intenses n'est pas un bon conseil, a expliqué à l'AFP Dariouch Dolatabadi. "Lors d'un infarctus, l'une des artères qui nourrit le muscle cardiaque se bouche. Une partie du muscle ne reçoit donc pas le sang qui lui est destiné. Il faut alors aller très vite. Si vous avalez de l'aspirine, le temps qu'elle arrive dans votre sang, cela prendra au moins une heure, donc ce ne sera pas très efficace", a-t-il expliqué. En cas d'infarctus, les deux premières heures sont cruciales, comme le rappelle le site de la Fédération française de cardiologie.De plus, d'autres pathologies peuvent être confondues avec la crise cardiaque: "si votre douleur thoracique est due à un ulcère perforé, mettre de l'aspirine est la pire chose que vous pouvez faire", a expliqué Dariouch Dolatabadi, "ça peut l'aggraver". "Il faut éviter de pousser la population générale à s'auto-médiquer en passant par-dessus un diagnostic médical posé", a ajouté le cardiologue. En cas de soupçon de crise cardiaque, il faut le plus rapidement possible "appeler les secours", a abondé Jean-Luc Vandenbossche: "Si l'interlocuteur juge que les symptômes sont compatibles avec une crise cardiaque, il envoie une ambulance avec au moins un infirmier spécialisé et souvent un médecin. Quand ils sont sur place, ils font un électrocardiogramme et s'ils constatent un infarctus, ils peuvent alors donner de l'aspirine", souvent en intraveineuse pour rendre son action plus rapide.En attendant les secours, rester assis plutôt qu'allongé peut améliorer la respiration, mais la position couchée "ne va pas aggraver le caillot sanguin" qui a provoqué l'infarctus, a expliqué Jean-Luc Vandenbossche, contrairement à ce que semble sous-entendre l'auteure de la publication que nous vérifions avec cette injonction: "SURTOUT !!! NE VOUS COUCHEZ PAS !".Boire de l'eau à certains moments de la journée n'améliore pas nécessairement l'efficacité dans le corpsLe "cardiologue" évoqué dans cette publication Facebook aurait conseillé de "boire de l'eau à des moments bien définis" de la journée, afin de maximiser "l'efficacité dans le corps". Ainsi, boire de l'eau avant de prendre un bain ou une douche diminuerait la tension artérielle, un verre d'eau avant de se coucher éviterait un accident vasculaire cérébral ou cardiaque..."Un verre d'eau avant se coucher n'évite pas l'accident cardiovasculaire", a déclaré à l'AFP Alain Le Moine, chef du service de néphrologie de l'hôpital Erasme, à Bruxelles, ajoutant "je ne vois pas l'intérêt de boire de l'eau à un moment précis de la journée. Ici, on n'est pas dans de la médecine basée sur des preuves, on rentre vraiment dans les remèdes de grand-mère". "Ce sont des affirmations dépourvues de sens scientifique", a abondé Jean-Marc Desmet, néphrologue au CHU de Charleroi et président du Groupement des Néphrologues Francophones de Belgique (GNFB)."Si vous faites des infections urinaires, c'est bien de boire un verre d'eau avant de se coucher. Autrement, boire de l'eau relève du bon sens. On dit aux gens de boire un litre à un litre et demi d'eau par jour, mais même ça, ça n'a jamais été scientifiquement démontré". "La déshydratation favorise les accidents cardiovasculaires, mais il n'existe aucune étude disant que boire un verre d'eau avant de se coucher les évite", a ajouté le cardiologue Dariouch Dolatabadi. En revanche, il est exact d'écrire que boire suffisamment d'eau peut limiter l'apparition de crampes.Quant à l'affirmation selon laquelle les gens urinent plus la nuit, elle peut concerner "des personnes âgées avec des problèmes d'œdème dans les membres inférieurs", a expliqué Alain Le Moine."Seuls les patients présentant une atteinte rénale avancée peuvent voir leur capacité de concentration des urines être défaillante", a ajouté Jean-Marc Desmet, précisant qu'il ne faut pas les "confondre avec des hommes qui se réveillent souvent pour uriner à cause de problèmes prostatiques". En règle générale, "Il faut écouter son corps", conseille Alain Le Moine, "boire quand on a soif, uriner lorsqu'on en a envie. C'est comme ça qu'on prévient beaucoup de maladies bénignes mais embêtantes".4 octobre 2021 Corrige au 3e paragraphe avant la fin une erreur d'attribution de la citation dans cette phrase: "Quant à l'affirmation selon laquelle les gens urinent plus la nuit, elle peut concerner 'des personnes âgées avec des problèmes d'œdème dans les membres inférieurs', a expliqué Alain Le Moine". Ajoute au 2e paragraphe avant la fin une citation de Jean-Marc Desmet: "'Seuls les patients présentant une atteinte rénale avancée peuvent voir leur capacité de concentration des urines être défaillante', a ajouté Jean-Marc Desmet, précisant qu'il ne faut pas les 'confondre avec des hommes qui se réveillent souvent pour uriner à cause de problèmes prostatiques'."
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