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Des publications, partagées au moins une dizaine de milliers de fois en l'espace de trois semaines, sous-entendent qu'un décret réserve aux hôpitaux militaires et aux traitements de politiques, la possibilité de recourir à de l'hydroxychloroquine pour des patients atteints de Covid-19. Mais si l'accès à cette molécule est encadré, elle fait partie des traitements utilisés dans les hôpitaux civils, notamment dans le cadre des essais thérapeutiques pour lutter contre la pandémie."L'hydroxychloroquine interdite pour guérir les Français du Covid19 car "dangereuse"+ inefficace, est DÉJÀ autorisée PAR DECRET à l'armée française et À TOUS LES HOMMES POLITIQUES ayant un accès PRIORITAIRE aux hôpitaux militaires!!", affirment ces publications, diffusées un mois après la parution d'un décret sur l'hydroxychloroquine. Capture d'écran Facebook, prise le 11/05/2020En effet, le 23 mars, le ministre de la Santé Olivier Véran annonçait que l'hydroxychloroquine pourrait être administrée aux malades souffrant de "formes graves" du coronavirus, mais ne devait pas être utilisée pour des formes "moins sévères". Cette molécule, contenue notamment dans le médicament Plaquénil, n'est donc pas "interdite" en France, même si sa délivrance est désormais encadrée. "Le Haut conseil recommande de ne pas utiliser ce traitement en l'absence de recommandation, à l'exception de formes graves, hospitalières, sur décision collégiale des médecins et sous surveillance stricte", avait alors précisé le ministre, annonçant alors la parution imminente d'un décret pour encadrer ces prescriptions.C'est justement une capture d'écran de ce décret, paru le 23 mars (et complété le 25, puis le 26), qui est utilisée pour illustrer les publications Facebook qui nous intéressent. Notons que le décret a été republié au Journal officiel le 11 mai à l'occasion de la prolongation de l'Etat d'urgence sanitaire. Il précise bien que "l'hydroxychloroquine et l'association lopinavir/ ritonavir peuvent être prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d'un médecin aux patients atteints par le covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, (et) si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe". Il détaille également que "pour l'application du présent article sont considérés comme établissements de santé les hôpitaux des armées, l'Institution nationale des Invalides et les structures médicales opérationnelles relevant du ministre de la défense déployées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire", mais ceci ne signifie pas que les prescriptions d'hydroxychloroquine sont réservées aux seuls hôpitaux militaires comme le laissent entendre certaines publications Facebook. Et pour cause, de nombreux hôpitaux ont lancé ou rejoint des essais thérapeutiques qui reposent sur l'hydroxychloroquine ou l'incluent dans un panel de traitements testés contre le Covid-19.Hydroxychloroquine et essais thérapeutiquesAu 1er mai, au moins 17 études thérapeutiques avaient inclus de l'hydroxychloquorine, associée ou non à un autre traitement, dans leurs essais (la 18e, ImmuNONcovid, inclut un analogue de l'hydroxychloroquine). DisCoVeRy (Inserm), ONCOVID (Gustave Roussy), COVIDAXIS (CHU Saint-Etienne), HYCOVID (CHU d'Angers), PREAVIS (CHU Saint-Etienne), EFC16855 (Sanofi), EFC16858 (Sanofi), ImmuNONcovid (Centre Léon Bérard), COVIDOC (CHU Montpellier), PREPCOVID (AP-HP), Covid Aging (Hôpitaux universitaires de Strasbourg), Coverage (Bordeaux), DHYSCO et OUTCOV (GH Paris Saint-Joseph), GROCO (APHM), Résistance covid19 (IHU Marseille), COVCALL (Hôpital Fondation A. de Rothschild), Chloro-VID (CHU de Toulouse).Attention toutefois, tous ces essais thérapeutiques ne suivent pas le même protocole (posologie, combinaison de médicaments, choix des patients, etc...). Certains utilisent par exemple une combinaison d'hydroxychloroquine et d'azythromycine. L'AP-HP a notamment lancé mi-avril une étude pour savoir si cette combinaison était efficace pour empêcher d'attraper le Covid-19. Vous pouvez retrouver plus de détails sur ces différents essais et leurs paramètres sur le site du ministère de la Santé ici.Par ailleurs, un essai clinique ne veut pas dire un seul centre hospitalier. Discovery par exemple, est un programme lancé le 22 mars qui teste plusieurs traitements dont l'hydroxychloroquine, et lors d'un point le 7 avril, la professeure Florence Ader, qui pilote l'étude, expliquait que 25 centres français y participaient. L'essai qui devait impliquer des malades issus de plusieurs pays européens s'est cependant heurté à des difficulté pour enrôler des patients, et à une coopération européenne compliquée, comme l'expliquait l'AFP dans cette dépêche le 7 mai. Les résultats pourraient ne pas arriver avant plusieurs semaines.Il n'existe pas nécessairement de liste détaillée des différents hôpitaux qui choisissent de participer à un essai clinique : "la réglementation ne prévoit pas que l’Agence régionale de santé intervienne dans la mise en place des essais cliniques ni qu’elle soit informée de la participation des établissements", explique par exemple l'ARS des Hauts-de-France, contactée par l'AFP le 12 mai. Ce sont parfois les CHU eux-mêmes qui annoncent le lancement ou une participation à un essai clinique, comme l'ont fait par exemple le CHU d'Angers pour Hycovid (qui selon le CHU va faire collaborer 36 hôpitaux français) ou ceux de Toulouse et Besançon pour Discovery (le CHU de Lille y participe également, ainsi que le CHR Metz-Thionville).Toujours est-il que l'utilisation d'hydroxychloroquine chez des patients atteints de Covid-19 est possible à retracer au sein de ces essais cliniques. "Dans le cadre de la recherche clinique les patients sont informés et un suivi est organisé toutes les données sont disponible dans les différents essais", explique la Direction générale de la Santé, contactée par l'AFP. Il est plus difficile d'estimer en revanche dans quelle mesure la molécule est prescrite hors étude thérapeutique.L'hydroxychloroquine hors essai clinique La délivrance de Plaquénil en pharmacie est d'abord toujours possible pour traiter les pathologies qu'elle visait avant l'épidémie de Covid-19 (le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde, et en prévention des allergies au soleil par exemple), mais seulement dans le cas d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin, ou d'une "prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie". Pour le traitement d'un patient Covid-19, la prescription est donc encadrée par le décret de mars, devenu de facto le décret du 11 mai, et elle est bien possible en-dehors d'un essai clinique comme indiqué sur un document de l'Agence nationale de sécurité et du médicament (ANSM), qui avertit cependant que le médicament ne doit être pris "ni en automédication, ni sur prescription d’un médecin de ville, ni en auto-prescription d’un médecin pour lui-même". L'interdiction de l'auto-prescription dernier point a notamment fait l'objet de critiques d'un collectif de médecins. Capture d'écran d'une note d'information aux patients de l'ANSM (30/03/2020)Contacté par l'AFP, le CHR de Metz-Thionville explique par exemple que de l'hydroxychloroquine a été prescrite à des patients "dans le cadre de l'étude clinique Discovery à laquelle participe le CHR Metz-Thionville, mais aussi hors étude". Le CHR précise que dans ce cas, la prescription se fait après une "réunion pluridisplinaire définissant les conditions de prescription en lien avec l'arrêté du 23 mars et les recommandations du Haut Conseil de la Santé publique", et qu'une "ordonnance spécifique" est réalisée, "traçant les éléments retenus".Dans un entretien à France 24, le Dr Christian Perrone de Garches évoquait par exemple son utilisation. Mais "il n’y a pas de registre ou de déclaration obligatoire pour cette molécule, il n’y a donc pas de suivi spécifique", explique la DGS à l'AFP.Même explication du côté de l'ARS des Hauts-de-France : "l’ARS n’intervient pas et n’est pas informée des prescriptions médicales dans les établissements".Il est donc difficile en l'état d'estimer dans quelle mesure l'hydroxychloroquine, ou d'autres traitements qui font l'objet d'essais thérapeutiques, sont prescrites hors études. Selon un rapport de l'EPI-PHARE, groupement d'expertise publique en épidémiologie des produits de santé, constitué par l’ANSM et la Caisse nationale d'assurance-maladie, publié le 4 mai et téléchargeable ici, "un pic de délivrance sur ordonnance a été atteint le 18 mars avec près de 5 000 personnes avec délivrance d’hydroxychloroquine le même jour pour le seul régime général". Le rapport estime à "environ 41 000 le nombre de personnes supplémentaires ayant acquis sur ordonnance un traitement d‘hydroxychloroquine (ou plus rarement de chloroquine) sur les semaines 12 à 16 (de l'année) par rapport à l’attendu".Quant à l’association hydroxychloroquine-azithromycine, "qui n’était qu’exceptionnellement utilisée avant l’épidémie de Covid-19", selon ce même rapport, elle a "bondi de 7 000 % en semaine 13". Au total durant les 5 semaines de confinement le surplus de personnes concernées par cette association était de l’ordre de 10 000 patients pour la France entière Capture d'écran du rapport publié par l'ANSM et la CNAM, le 04/05/2020 Capture d'écran du rapport publié par l'ANSM et la CNAM, le 04/05/2020Les recherches sur l'hydroxychloroquineLa chloroquine et son dérivé l'hydroxychloroquine ont une action in vitro sur de nombreux virus, dont le Sars-CoV-2 (nom scientifique du nouveau coronavirus): ils créent un milieu hostile pour le virus en augmentant le pH de la cellule qu'il cherche à infecter.Mais leur efficacité en conditions réelles fait débat entre scientifiques.Certains chercheurs et dirigeants vantent cette molécule, parfois associée à un antibiotique, comme une solution possible à la pandémie de Covid-19, mais les études publiées jusqu'à présent ne permettent pas de le conclure.L'IHU Méditerranée Infection du Pr Didier Raoult à Marseille, qui plaide pour traiter les formes "modérées, moyennes ou qui commencent à s'aggraver", avait notamment publié en avril une étude, expliquant qu'après 10 jours de traitement de patients par une combinaison d'hydroxychloroquine et d'azithromycine, plus de neuf sur dix (91,7%) avaient une charge virale nulle, c'est-à-dire qu'on ne trouvait plus de coronavirus dans leurs prélèvements, et que cinq personnes (0,5%) étaient décédées, des patients de 74 à 95 ans. Plusieurs scientifiques avaient alors critiqué ces résultats, faisant valoir qu'en raison de la manière dont l'étude est élaborée, rien ne permet d'en conclure que le traitement "évite l'aggravation des symptômes et empêche la persistance du virus et la contagiosité dans la plupart des cas", comme l'affirmaient les conclusions.Le 5 mai l'IHU évoquait de nouveaux résultats concluant à un taux de mortalité faible, avec huit décès sur un millier de patients (contre cinq dans un résumé de l'étude début avril). Mais ce niveau est comparable à celui observé en cas d'évolution naturelle de la maladie.Une étude réalisée dans des hôpitaux new-yorkais et publiée dans la revue américaine NEJM conclue de son côté que l'hydroxychloroquine n'a ni amélioré ni détérioré de manière significative l'état de patients en état grave. D'autres études sont en cours dans plusieurs pays.Des spécialistes en pharmacologie estiment quant à eux que pour qu'elle agisse, il faudrait l'administrer à des doses extrêmement élevées, qui seraient toxiques voire mortelles. Selon l'ANSM, "au 22 avril 2020, 321 cas d’effets indésirables ont été déclarés en lien avec une infection à Covid-19, dont 80% de cas graves". Elle avait annoncé une centaine de cas le 10 avril. Dans les deux tiers des cas (soit 215 personnes), l'enquête de pharmacovigilance a pu conclure à un lien probable entre l'effet observé et le médicament administré au patient atteint de Covid-19.Parmi ceux-ci, plus de la moitié concernent des patients atteints du coronavirus traités par hydroxychloroquine (23%) ou par ce médicament associé à l'antibiotique azithromycine (31%), tandis que 42% portent sur le Kaletra (un antiretroviral combinant lopinavir et ritonavir).Vous pouvez trouver plus de détails sur des traitements testés à travers le monde dans cette dépêche AFP.Edit du 13 Mai : Ajoute informations du CHR Metz-Thionville
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