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  • 2023-01-06 (xsd:date)
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  • Non, la chargée des droits humains en Ukraine n'a pas avoué avoir menti sur les viols d'enfants par les Russes (fr)
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  • Après la découverte du massacre de Boutcha en avril, Lioudmyla Denissova, à l'époque commissaire aux droits humains du Parlement ukrainien, a dénoncé plusieurs cas de viols. Depuis juin 2022, des publications sur les réseaux sociaux, qui ressurgissent depuis fin décembre, affirment qu'elle a avoué, dans une interview, "avoir menti sur les viols d'enfants par les Russes". Mais ses propos ont été sortis de leur contexte, elle a au contraire réitéré ces accusations dans ladite interview. La commission d'enquête internationale indépendante sur l'Ukraine a d'ailleurs déclaré avoir vérifié "plus d'une centaine de cas" de viols et agressions sexuelles dans le pays depuis le début de la guerre, et précisé que l'âge des victimes s'étend "de 4 ans à 82 ans". L'ONU a aussi documenté des cas de viols d'enfants."Lyudmila Denisova, médiatrice pour les droits de l'homme en Ukraine, avoue avoir menti sur les viols d'enfants par les Russes", affirment plusieurs internautes dans des publications partagées plus de 8.000 fois sur Twitter (1, 2, 3) et Facebook (1, 2).Cette affirmation, qui ressurgit depuis le 30 décembre 2022, était déjà partagée en juin 2022 sur les réseaux sociaux (1, 2, 3) et notamment par Jean-Michel Cadenas, délégué départemental du Rassemblement National de la Mayenne (ici). Capture d'écran de Facebook faite le 5 janvier Tous citent comme source le blog "Media en 4-4-2" - un site qui relaie régulièrement des allégations trompeuses que l'AFP a déjà vérifiées ici ou ici.Des propos tronqués"La propagande ukrainienne vient de passer une étape vers l’horreur la plus abjecte. La médiatrice pour les droits de l’homme en Ukraine, Lyudmila Denisova, avait rapporté qu’à Bucha [Boutcha, NDLR], 25 filles et femmes âgées de 14 à 24 ans ont été retenues captives dans un sous-sol par des soldats russes et agressées à plusieurs reprises, et que nombre d’entre elles sont enceintes. [...] Mais voilà, la médiatrice pour les droits de l’homme en Ukraine, Lyudmila Denisova, est passée aux aveux", écrit le blog.Il cite ensuite un passage d'une interview de Lioudmyla Denissova pour le média ukrainien LB.ua, réalisée le 3 juin 2022 : "Lorsque j’ai pris la parole au Parlement italien, à la Commission des affaires internationales, j’ai entendu et vu une telle lassitude de l’Ukraine, vous comprenez ? J’ai parlé de choses terribles afin de les pousser d’une manière ou d’une autre, afin qu’ils prennent des décisions dont l’Ukraine et le peuple ukrainien ont besoin. Peut-être que j’y suis allé trop fort. Mais j’essayais d’atteindre l’objectif de convaincre le monde de fournir des armes et de faire pression sur la Russie."Ces publications laissent clairement entendre que la responsable aurait reconnu avoir menti sur le fond et aurait inventé ces viols. Mais, comme nous allons le voir, Lioudmyla Denissova a simplement indiqué que le vocabulaire qu'elle avait employé pour décrire les viols était "dur" et "cruel", un choix de vocabulaire qui lui a d'ailleurs été reproché dans son propre pays car jugé irrespectueux pour les victimes.Le terme "exagéré" porte donc sur le vocabulaire et non sur le fond. D'ailleurs, dans cette même interview, elle renouvelé les accusations de viols d'enfants par des Russes. L'auteur de l'article de blog a en effet tronqué les propos de Lyudmila Denisova en coupant plusieurs phrases dans sa déclaration que nous retranscrivons ci-dessous en gras : "J'ai expliqué - et les médias étaient d'accord avec moi - pourquoi il est nécessaire de parler de crimes de guerre. Parce que lorsque, par exemple, j'ai pris la parole au Parlement italien à la Commission des affaires internationales, j'ai entendu et vu une telle lassitude de l'Ukraine, vous-comprenez ? J'ai parlé de choses terribles afin de les pousser d'une manière ou d'une autre à prendre des décisions dont l'Ukraine et le peuple ukrainien ont besoin. Là-bas [en Italie NDLR], il y a un parti "Cinq Etoiles", qui était contre la fourniture d'armes, mais après mon discours, l'un des leaders du parti a exprimé son soutien à l'Ukraine, a dit qu'ils soutiendraient la fourniture d'armes. J'ai dit mot pour mot aux médias ce que m'ont dit les psychologues qui travaillaient sur la ligne de soutien psychologique de l'UNICEF, qui avait déjà terminé son travail - le 15 mai était le dernier jour. J'ai transmis tout ce que les plaignants voulaient dire à la société et au monde ; à savoir que les ennemis, la Fédération de Russie, devaient être punis. Oui, à cette époque ce vocabulaire était très cruel, on en a discuté [avec les médias, NDLR], j'ai dit qu'en effet, j'ai peut-être exagéré. Mais j'essayais d'atteindre l'objectif de persuader le monde de fournir des armes et de faire pression [sur la Russie, NDLR]. J'ai rencontré Pramila Patten, qui est la représentante spéciale du Secrétaire général de l'ONU sur la violence sexuelle dans les conflits. Nous travaillons selon les protocoles de l'ONU et clairement selon les résolutions de l'APCE [l'Assemblée parlementaire du Conseil de l''Europe, NDLR], le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, qui énoncent clairement ce qu'est ce qu'est la violence sexuelle."Ainsi complétée, sa déclaration n'a plus le même sens et va à l'encontre des affirmations que nous étudions.Un peu plus loin, elle précise une nouvelle fois ces propos : "Je reconnais que le langage était parfois très dur, mais je l'ai utilisé tel que suggéré par les victimes elles-mêmes. Ce qui est fait est fait. Tout est dans les résolutions. Il est confirmé qu'il y a des violences sexuelles, maintenant les enquêteurs doivent le prouver."AVERTISSEMENT SUR CONTENUAfficher Le prêtre orthodoxe Andriy Golovin récite une prière devant les tombes de civils non-identifiés dans le cimetière de Bucha, en Ukraine, le 11 août 2022 ( AFP / SERGEI SUPINSKY)MasquerLioudmyla Denissova renvoyée du Parlement faute de résultatsLe 31 mai, Lioudmyla Denissova -membre du parti d'opposition "Front populaire"- a été renvoyé par le parlement ukrainien, le parti présidentiel lui reprochant de n'avoir rien fait pour organiser des évacuations de civils et des échanges de prisonniers, comme nous l'expliquions dans cette dépêche.Pavlo Frolov, député du parti du président Volodymyr Zelensky, l'a ainsi accusé de passer beaucoup de temps en Europe occidentale depuis l'invasion russe et "non en Russie ou au Bélarus" où "son statut aurait pu aider" les prisonniers de guerre, les personnes "déportées" ou encore celles se trouvant dans les territoires occupés.Le député lui avait également reproché de publier "de nombreux détails sur des crimes sexuels et viols d'enfants" sur les territoires occupés qu'elle ne "pouvait pas prouver" ce qui, selon lui, détournerait l'attention des médias internationaux des "vrais besoins" de l'Ukraine. Peu avant son renvoi, "des journalistes et des activistes ukrainiens avaient exprimé des inquiétudes quant à ses rapports sur les viols commis par des soldats russes, qui ont parfois été considérés comme insensibles ou irrespectueux envers les survivants", écrit ainsi le Kyiv Independant.Après la découverte samedi 2 avril du massacre de Boutcha, de nombreux témoignages de viols commis par des soldats russes ont été relayés dans les médias, comme sur France Info ou sur TF1 Info.A la mi-avril, le président Volodymyr Zelensky dénonçait lui aussi "des centaines de cas de viols" dans les zones tout juste libérées, "y compris de jeunes filles mineures et de tout petits enfants. Même d'un bébé ! Cela fait peur rien que d’en parler". Le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev, le 3 novembre 2022 ( AFP / GENYA SAVILOV)A l'époque, Lioudmyla Denissova avait documenté sur ses réseaux sociaux les cas de 25 femmes, âgées de 14 à 24 ans, maintenues dans une cave et violées à Boutcha. Elle avait également publié l'histoire d'une fillette violée "avec une petite cuillère", d'enfants violés "par voie orale et anale", ou d'un bébé de neuf mois "violé avec une bougie".Un langage "contraire à l'éthique lorsqu'il décrit des crimes terribles des occupants", avaient dénoncé le 25 mai des journalistes ukrainiennes dans une lettre ouverte, signée par 82 personnes.Ces journalistes déclaraient également regretter de ne pas pouvoir être en mesure de vérifier les informations qu'elle partage : "Le Bureau du Médiateur est une source d'information officielle, et par conséquent, tout ce qui est publié au nom du Médiateur acquiert le statut de 'faits confirmés'", écrivent-elles demandant à Lioudmyla Denissova de "ne publier que des faits vérifiés".C'est dans ce contexte que Lioudmyla Denissova était d'ailleurs interrogée dans l'interview utilisée dans les publications que nous étudions. Concernant les accusations qui lui sont portées de ne pas pouvoir prouver les agressions sexuelles qu'elle évoque, LLioudmyla Denissova répond : "Mon mandat dit que je dois informer sur les cas de violations des droits de l'homme à la fois dans notre pays et dans les organisations internationales des droits de l'homme. Il [le président du parlement ukrainien, NDLR] a répondu que j'aurais diffusé des informations sur les crimes de l'armée russe, qui ne sont pas étayées par des organes d'enquête. Mais, selon mon mandat, je n'ai pas le droit de mener des actions d'investigation ! Je m'occupe des victimes, c'est-à-dire que je protège les citoyens et j'en informe les autorités." Des militants protestent contre le viol pendant la guerre et soutiennent l'Ukraine devant le consulat russe à New York le 28 mai 2022 ( AFP / KENA BETANCUR)Contactées par l'AFP le 5 janvier 2023, les Nations Unies confirment être "au courant des allégations sexuelles liées au conflit à Boutcha" : "Cependant, à ce jour, nous n'avons pas été en mesure de les corroborer." Les Nations Unies précisent tout de même que depuis le 24 février 2022, la Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations Unies en Ukraine, "a documenté trois cas de violence sexuelle contre des enfants, dont l'un a été détaillé dans notre rapport", disponible ici.Dans ce rapport, ils expliquent d'ailleurs que "les cas de violence sexuelle restent sous-déclarés, notamment en raison de la stigmatisation et de l'accès limité aux services en raison de la situation sécuritaire actuelle".La commission d'enquête indépendante de l'ONU rapporte des viols d'enfantsDès le début de l'invasion russe en Ukraine, le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a créé une commission d'enquête internationale et indépendante sur l'Ukraine pour enquêter sur toutes les allégations de violations et d'abus des droits de l'homme, de violations du droit international humanitaire et de crimes connexes qui auraient été commis dans le cadre de l'invasion russe de l'Ukraine.Cette commission doit présenter ses conclusions et recommandations au Conseil des droits de l'homme des Nations unies en mars 2023.Le 23 septembre, ces enquêteurs de l'ONU ont accusé Moscou d'avoir commis un "nombre considérable" de crimes de guerre dans quatre régions ukrainiennes dans les premières semaines suivant l'invasion russe, comme l'AFP l'a décrit dans cette dépêche. Le président des membres experts en droits de l'homme de la Commission d'enquête internationale indépendante sur l'Ukraine, Erik Mose, lors de la présentation du rapport à Genève, le 23 septembre 2022 ( AFP / FABRICE COFFRINI)Selon Pramila Patten, représentante spéciale de l'ONU, les viols et agressions sexuelles attribués aux forces russes en Ukraine constituent clairement "une stratégie militaire" et "une tactique délibérée pour déshumaniser les victimes"."Quand des femmes et des filles sont séquestrées pendant des jours et violées, quand vous commencez à violer des petits garçons et des hommes, quand on voit une série de cas de mutilations d'organes génitaux, quand vous entendez les témoignages de femmes évoquant des soldats russes équipés de viagra, c'est clairement une stratégie militaire. Et quand les victimes évoquent ce qui a été dit pendant les viols, il est clair que c'est une tactique délibérée pour déshumaniser les victimes", détaille l'avocate dans un entretien à l'AFP (ici).Elle relève que les premiers cas de violences sexuelles ont fait surface "trois jours après le début de l'invasion de l'Ukraine", le 24 février dernier.L'ONU a vérifié "plus d'une centaine de cas" de viols et agressions sexuelles en Ukraine depuis le début de la guerre, mais "ce n'est pas une question de chiffres", insiste Pramila Patten."Il est très compliqué d'avoir des statistiques fiables pendant un conflit actif, et les chiffres ne vont jamais refléter la réalité, parce que les violences sexuelles sont un crime silencieux, le moins signalé et le moins condamné", souligne-t-elle, évoquant la peur des représailles et de la stigmatisation. "Les cas signalés ne représentent que le sommet de l'iceberg".Les victimes sont prioritairement des femmes et des filles, mais aussi des garçons et des hommes, indique la responsable onusienne. "Selon des témoignages recueillis, l'âge des victimes de violences sexuelles varie de 4 ans à 82 ans. Il y a beaucoup de cas de violences sexuelles sur des enfants, qui sont violés, torturés et séquestrés", souligne-t-elle. Brigitte Macron (à droite) et Pramila Patten (à gauche), représentante spéciale de l'ONU, en visite à l'Elysée le 1er juillet 2021 ( AFP / LUDOVIC MARIN)Les victimes de viols pas encore prêtes à sortir du silenceElus, associations, mais aussi simples voisins : en Ukraine, tout le monde accuse les soldats russes de violences sexuelles, sauf leurs victimes qui restent généralement murées dans le silence, explique l'AFP dans cette dépêche.En Ukraine, "il y a encore d'énormes stéréotypes autour du viol", note Ioulia Sporych, fondatrice de l'organisation "Divtchata" (filles). Selon elle, "le soupçon que les victimes ont peut-être provoqué leur agresseur" n'a pas entièrement disparu, si bien qu'elles restent souvent muettes.Pour la psychologue militaire Natalia Zaratska, il est trop tôt pour recueillir les témoignages des victimes. "Ce sera plus réaliste de leur parler dans six mois, elles" contrôleront mieux leur mémoire", dit-elle. "Pour une enquête criminelle, il faut de l'information, pas de l'émotion."Il faut aussi, selon la psychologue, que les victimes soient sûres que leurs confidences ne seront pas divulguées. Pour elle, les détails rapportés par Lioudmyla Denissova sont ainsi "totalement contraire à l'éthique". "Ça peut créer un deuxième traumatisme" chez les victimes, explique-t-elle. Une femme drapée du drapeau ukrainien se redresse alors que des militants pro-ukrainiens organisent un "Die-in" lors d'une manifestation sous le slogan "Arrêtez de promettre, commencez à agir!" pour appeler à un embargo immédiat sur les importations de pétrole, de gaz et de charbon en provenance de Russie devant le Bundestag (chambre basse du parlement) à Berlin le 6 avril 2022, où s'est tenu un débat portant sur les civils retrouvés morts dans la ville ukrainienne de Bucha . ( AFP / JOHN MACDOUGALL)De son côté, la Russie nie systématiquement toutes les exactions dont ses troupes sont accusées : bombardements de civils, exécutions sommaires, viols. Et elle accuse en retour l'Ukraine de crimes de guerre. Deux soldats russes ont été condamnés en mai 2022 à 11 ans et demi de prison par un tribunal ukrainien pour avoir bombardé des zones civiles, tandis qu'un autre a été emprisonné à perpétuité au début du mois de juillet 2022 pour le meurtre d'un civil. (fr)
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