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Un visuel, partagé 5.500 fois sur Facebook depuis le 11 février mais qui circule depuis 2018, prétend dresser la liste d’une série de privatisations qui auraient été actées sous la présidence d’Emmanuel Macron. Mais si l'actuel chef de l’État a bien entrepris des privatisations depuis le début de son mandat, celles qui apparaissent comme vendues sur l'affiche ont été privatisées avant son arrivée au pouvoir, en mai 2017. Ce visuel, partagé 5.500 fois sur Facebook depuis le 11 février, reprend une publication de janvier 2019, qui circulait déjà en 2018. Il se présente sous la forme d’une affiche qui énumère plusieurs entreprises et institutions françaises affichant un tampon "vendu" ou "à saisir". Autoroutes, France Télécom, La Poste, EDF-GDF, Saint-Gobain, Banque de France, Air France, EADS et Alstom sont tamponnés comme "vendu". Hôpitaux, SNCF, universités, Française des jeux, sécurité sociale et aéroports, eux, affichent "à saisir". Cette publication laisse entendre que ces sociétés ou institutions auraient été privatisées lors du mandat d'Emmanuel Macron ou seraient en train de l'être, alors que le président apparaît dessiné sous les traits de l’agent immobilier Stéphane Plaza. Capture d'écran de la publication Facebook (prise le 19/02/2021).Privatiser une entreprise renvoie à l'action de vendre à des intérêts privés ce qui appartenait à l'État, parfois à travers une introduction en bourse. Il existe des privatisations complètes, dans lesquelles l'État ne conserve aucune participation au capital de l’entreprise cédée, mais il en existe aussi des "partielles, lorsque l'État possède encore des parts, même s’il n’est plus majoritaire", a expliqué à l'AFP, François Ecalle, président de l'association "Finances publiques et économie" (Fipeco), interrogé le 18 février.Depuis les années 1980, la France a engagé une politique de privatisations qu'elle a justifiée par le respect des règles de concurrence européenne, la volonté de désendetter, et celle de réinvestir dans des secteurs plus stratégiques. Sur ce visuel, "il y a confusion entre des vagues successives de privatisations, parfois anciennes (Saint-Gobain, France Télécom, Autoroutes), d'autres plus récentes, et d'autres non existantes (Banque de France)", analyse Laurent Warlouzet, historien de l’économie à l’université de La Sorbonne, contacté par l'AFP le 18 février.Des privatisations anciennesLa privatisation des sociétés d’autoroutes, par exemple, est bien antérieure au début du mandat d’Emmanuel Macron, élu en 2017, contrairement à ce que prétend ce visuel.En 2006, le Premier ministre Dominique de Villepin a cédé les parts de l’État à trois grands groupes (Vinci, Eiffage et Abertis), une décision très controversée comme l'analysait récemment France Culture."Les seules autoroutes publiques qui restent sont celles liées à un tunnel : Mont-Banc et Fréjus", mais Emmanuel Macron n'a pas entrepris de les privatiser, explique M. Ecalle.Pour l’opérateur de télécommunications France Télécom, devenu Orange, l’ouverture du capital s’est faite en 1997. Mais en 2004, le gouvernement a cédé de nouvelles parts de l’entreprise, passant sous la barre symbolique des 50%. L’État reste aujourd'hui le premier actionnaire du groupe avec 13,39% du capital, il s’agit donc d’une privatisation partielle. Capture d'écran de la composition du capital d'Orange sur Boursorama.com (prise le 19/02/2021).Le groupe d'électricité et de gaz EDF-GDF, lui aussi tamponné "vendu" sur le visuel, a été scindée en deux en 2007 avec l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence.EDF (Electricité de France) se consacre uniquement à la production et fourniture d’électricité. Une partie de son capital a été côtée en bourse dès 2005, mais il reste contrôlé en grande majorité (83,6%) par l’État. "Là où il y a encore peut-être une confusion c'est qu’il y a un projet de restructuration d'EDF ; mais il n’y a pas de projet de privatisation [complète] d'EDF", poursuit le spécialiste des finances publiques François Ecalle.GDF, ancien Gaz de France, a été rebaptisé Engie en 2015. Le 22 juillet 2004, le Parlement avait adopté une loi pour l'ouverture du capital de Gaz de France (GDF), prévoyant que la participation de l'État ne pouvait pas descendre en-dessous de 70%. En 2008, GDF fusionne avec le groupe Suez pour faire face à une menace de prise de contrôle par l’italien Enel, ce qui fera passer la part de l’Etat sous les 50%.Elle est tombée aujourd’hui à 23,64% d'Engie. "C’est vrai qu'il a été question, au début du quinquennat de Macron, de réduire la part de l’État dans Engie, mais ça n'a pas été fait", pointe M. Ecalle.Le groupe industriel Saint-Gobain fait partie, avec BNP Paribas et les assurances AGF, des toutes premières entreprises privatisées, entre novembre 1986 et février 1987. Le groupe a été cédé sous la présidence de François Mitterrand pour 8,4 milliards de francs (environ 1,2 milliard d’euros). La compagnie aérienne Air France a, quant à elle, été introduite en bourse en 1999. Il s'agissait d’une privatisation partielle dans laquelle l'État français prévoyait de réduire progressivement sa participation à près de 55%. En septembre 2003, Air France annonce le rachat de la compagnie néerlandaise KLM. En mai 2004, la fusion entre KLM et Air France pour former le premier groupe européen de transport aérien fait baisser la participation de l’Etat à 44,1%. Aujourd'hui, l'État français (avec 14,3%) et les Pays-Bas (avec 14%) sont les plus gros actionnaires du groupe. Capture d'écran de la composition du capital d'Air France sur Boursorama.com (prise le 19/02/2021).Le constructeur aéronautique EADS est devenu en 2014 la société privée Airbus Group, sous le gouvernement de François Hollande, mais le capital du groupe européen reste contrôlé, grâce à un pacte d’actionnaires, par les Etats français (à travers la Sogepa), allemand (via le GZBV) et espagnol (Sepi), qui détiennent respectivement 11%, 10,9% et 4,1% du capital.La multinationale des transports Alstom n'a, pour sa part, "jamais été proprement nationalisée [par la France] mais est effectivement détenue par une compagnie d'État", détaille Éric Monnet, professeur d’histoire économique à la Paris School of Economics et l’EHESS. "Elle a été, après la guerre, majoritairement détenue par la Compagnie générale d'électricité, alors publique, mais ensuite privatisée lors de la vague de privatisation de 1986-1987. On peut donc considérer qu'Alstom est privatisée en 1987", estime le spécialiste. Lors du quinquennat de Hollande (2012-2017), le ministre de l’Economie Arnaud Montebourg a voulu nationaliser Alstom. Son projet n’a pas abouti mais l’Etat a acquis 20% du capital. En 2014, la branche énergie d'Alstom est vendue au géant General Electric, suscitant la controverse. "C'est une histoire très connue que la presse a largement couverte, et dans laquelle Emmanuel Macron a effectivement joué un rôle", poursuit M. Monnet. Emmanuel Macron était à l’époque secrétaire général adjoint de l'Élysée en charge de l’économie. Capture d'écran de la composition du capital d'Alstom sur Boursorama.com (prise le 19/02/2021).Les structures toujours publiquesLa Poste n’a pas non été "vendu(e)", contrairement à ce prétend le visuel relayé sur Facebook. Des propos circulaient quant à sa privatisation pendant le confinement, mais il s’agissait d’une rumeur, comme l’expliquaient à l’époque nos confrères de 20 Minutes. "La Poste est toujours une entreprise publique. Là où il y a peut-être une confusion c’est que l’État a transféré une partie du capital de la Poste à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en mars 2020, mais la CDC est aussi l’État (...) donc ça n’a rien à voir avec une privatisation", explique François Ecalle. Il s’agit donc toujours d’une institution publique, une "société anonyme à capitaux 100% publics", selon leur page de présentation."La Banque de France est une institution de la République", ajoute le président de Fipeco. Elle fait partie de l’Eurosystème, qui regroupe la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des pays ayant adopté l’euro pour monnaie. L'institution est une personne morale publique sui generis, régie par les dispositions du Code monétaire et financier. Elle ne peut donc pas être privatisée. Les projets de privatisations d'Emmanuel Macron"Emmanuel Macron a poursuivi une dynamique de privatisation et de libéralisation engagée depuis 1986 et poursuivie par presque tous les gouvernements depuis", affirme Laurent Warlouzet.Le chef de l'État a pour sa part entrepris deux projets de privatisation: l’ouverture du capital de la Française des jeux (FDJ), qui a abouti, et la cession presque complète du gestionnaire Aéroports de Paris (ADP). "Aujourd’hui, l’État a 51% d’ADP, donc il est majoritaire et il était prévu qu’ils vendent l’essentiel de cette participation pour devenir très minoritaires. Le projet a été arrêté avec la crise l'année dernière", atteste M. Ecalle."La SNCF est 100% publique : elle a changé de statut l’année dernière passant d’établissement public à société par actions. Mais l'actionnaire de la SNCF est à 100% l'État, ça n'a rien à voir avec une privatisation", ajoute-t-il.EDIT : article mis à jour le 19/02 avec modification au 15e paragraphe ("sous la présidence de François Mitterrand" et non "sous la présidence de Jacques Chirac")
(fr)
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