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Des publications partagées sur les réseaux sociaux depuis début janvier assurent que le complément alimentaire Nattokinase pourrait "neutraliser" le vaccin anticovid, que ces publications jugent dangereux. Elles citent pour cela une étude japonaise de 2022, qui "suggère" que le produit dégraderait la protéine spike, comme celle du Sars-Cov-2, virus à l'origine du Covid. Comme les vaccins anticovid induisent la production de cette protéine spike dans l'organisme pour créer une réponse immunitaire, les milieux anti-vaccins en déduisent qu'ingérer de la Nattokinase permet de "neutraliser le vaccin". Il est pourtant impossible de tirer cette conclusion de cette étude, par ailleurs de portée très limitée, ont pointé quatre scientifiques interrogés par l'AFP. "Pour les vaccinés qui me suivent... Rien que pour vous, une étude japonaise révèle qu'une enzyme, la Nattokinase, casse le poison de la protéine de pointe des vaccins (...) Vous la trouverez facilement en vente sur le Net", affirme Silvano Trotta dans un thread publié sur Twitter le 10 janvier. Capture d'écran prise sur Twitter le 17/01/2023 Capture d'écran prise sur Twitter le 17/01/2023 Le compte Twitter de cette figure de proue du mouvement anti-vaccins contre le Covid-19 en France avait été suspendu en mars 2021 après la mise en place de nouvelles règles sur les informations liées à la vaccination anti-Covid.Mais il a été restauré -comme près de 27.000 autres comptes suspendus pour désinformation, harcèlement ou manifestations de haine- après l'acquisition du réseau social par le milliardaire Elon Musk fin 2022."Si l'on se fie à cette étude, ceux qui ont reçu des 'vaccins'-COVID à ARNm devraient considérer la Nattokinase pour inhiber l'effet des protéines spike contre le corps", soutient de la même façon un article de blog, tandis qu'un internaute partage une photo du complément alimentaire sur le réseau social VK en expliquant que l'"on s'inquiète tous, vaccinés ou pas de savoir comment détruire la protéine de pointe des vaccins". "Les 'grands médias' font exprès de ne rien dire à propos de l'effet de la Nattokinase qui dégrade la protéine spike", conclut un second article de blog. Capture d'écran prise le 18/01/2023 Capture d'écran prise le 18/01/2023 Que dit réellement cette étude ?La Nattokinase est une enzyme issue du natto, un aliment japonais traditionnel à base de graines de soja fermentées.Elle a été utilisée dans l'étude citée par les publications virales, "Degradative Effect of Nattokinase on Spike Protein of SARS-CoV-2", publiée le 24 août 2022 par MDPI, un éditeur de revues scientifiques en libre accès. "Le Sars-Cov-2 possède une protéine de pointe (protéine spike), et le clivage [zone jugée déterminante pour l'entrée du virus dans la cellule, NDLR] de la protéine est essentiel à l'entrée du virus (...) dans cette étude, nous avons examiné l'effet de la Nattokinase sur la protéine spike du Sars-Cov-2 ", expliquent les auteurs de l'étude dans son résumé ("abstract" en anglais). Contactés par l'AFP, les auteurs de l'étude n'avaient pas donné suite à la date de publication de cet article.Dans la version de l'étude publiée sur le site PubMed apparaît un onglet "affiliation", c'est-à-dire les organisations qui déclarent être affiliées avec les auteurs (universités ou hôpitaux par exemple).Plusieurs auteurs sont "affiliés" à des fabricants de Nattokinase, comme Contek Life Science Co ou CellMark Japan. Capture d'écran prise sur le site PubMed le 17/01/2023"Cette étude vise à décrire les effets de cette molécule, vendue comme complément alimentaire, pour montrer qu'elle pourrait dégrader de la protéine spike en laboratoire. Or, sans la protéine spike, le virus ne peut plus infecter une cellule, donc les chercheurs japonais espèrent que cela soit le premier pas du développement d'un antiviral [molécule qui empêche le virus de se multiplier dans l'organisme, NDLR] contre le Sars-Cov-2 ", a détaillé le 16 janvier à l'AFP Frédéric Altare, directeur du département d'Immunologie au Centre de recherche en cancérologie et immunologie Nantes-Angers (CRCINA) et directeur de recherche à l'Inserm, après avoir lu ces travaux.Comme nous allons le voir plus bas, on ne peut pas conclure de ces travaux menés en laboratoire que le complément alimentaire permettrait de lutter contre le Sars-Cov-2 chez l'être humain.Quoiqu'il en soit, de cette possible activité de la Nattokinase sur la protéine de pointe, des internautes -comme , Silvano Trotta- en tirent la conclusion qu'elle pourrait servir à annuler les effets d'une vaccination anti-Covid, car ces vaccins suscitent la production par l'organisme de la protéine spike. En effet, les vaccins à ARN messager (Pfizer/BioNTech et Moderna) utilisent une technologie originale. Au lieu de confronter le système immunitaire à une partie d'un virus affaibli ou d'une forme inactivée du virus pour susciter des anticorps, ces vaccins donnent aux cellules un mode d'emploi génétique indiquant au corps comment produire -sur une durée limitée- une partie du virus : la protéine spike, celle qui sert de "clé" pour entrer dans la cellule humaine. Cette réaction immunitaire permet à l'organisme d'être entraîné afin de pouvoir combattre efficacement et immédiatement le Sars-Cov-2 en cas d'infection. Les vaccins ne contiennent donc pas la protéine elle-même, mais ils transmettent des instructions contenues dans l'ARN messager pour produire la protéine spike. A noter que la spike à elle seule n'est pas pathogène, d'autant moins qu'elle disparaît très vite de l'organisme. Malgré cela, comme expliqué de très nombreuses fois par des scientifiques du monde entier depuis le début de la vaccination Covid, la rhétorique anti-vaccinale continue d'affirmer que la spike induite par les vaccins est dangereuse et qu'il faut s'en débarrasser. Suivant cette logique, la Nattokinase pourrait servir à détruire la protéine spike générée par la vaccination anti-Covid, selon Silvano Trotta. Outre, comme on l'a vu, le fait qu'il n'y a pas de sens scientifique à vouloir détruire la spike induite par les vaccins, conclure de cette étude que la Nattokinase pourrait la détruire, est une "surinterprétation", ont regretté les experts interrogés en expliquant que ce raisonnement ne tient pas.Une étude avec des limitesPremier point, cette étude a été réalisée "in vitro", c'est-à-dire en laboratoire en dehors d'un organisme vivant. "Les auteurs utilisent dans leurs tubes à essai de fortes concentrations de Nattokinase avec des temps d'incubation longs et concluent eux-mêmes que leurs résultats 'suggèrent' un effet sur la protéine spike. On est loin de la démonstration ! En l'absence d’une étude, même partielle, chez l'homme il est totalement impossible de se prononcer sur le bien fondé ou non" de la molécule contre le Sars-Cov-2, a mis en garde le 16 janvier Bernard Bégaud professeur émérite de Pharmacologie à l'Université de Bordeaux.Ce n'est pas parce qu'un traitement montre des résultats encourageants "in vitro" qu'il fonctionne "in vivo", dans un organisme vivant, notamment parce que le dosage efficace ne peut parfois pas être utilisé chez l'homme.Cela a été le cas par exemple pour l'hydroxychloroquine, qui montrait des résultats encourageants sur le Sars-CoV-2 in vitro à forte de dose mais n'a pas pu démontrer son efficacité contre le Covid-19 chez l'humain."L'eau de Javel doit aussi très bien marcher 'in vitro' contre certaines protéines par exemple", a pointé le 16 janvier auprès de l'AFP Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie au CHU de Bordeaux.De plus," les chercheurs japonais utilisent des cellules qui produisent la spike elles-mêmes mais n'ont pas fait d'expérience montrant que ça joue sur le virus à l'origine du Covid lui-même", a poursuivi le 16 janvier auprès de l'AFP Olivier Schwartz, directeur de l'unité Virus et Immunité de l'Institut Pasteur. "A partir du moment où on mélange une protéase [enzyme présente dans les sucs digestifs, NDLR] et une protéine, la protéase, en l'occurrence ici la Nattokinase, va pouvoir dégrader ou couper la protéine. C'est un phénomène non spécifique connu depuis déjà très longtemps qui ne s'applique pas que pour la spike mais pour toutes les protéines en général", a poursuivi le scientifique."Dans notre organisme, on a déjà beaucoup de protéases, c'est le principe même de la digestion : tout ce qu'on ingère est dégradé par des enzymes qui vont dégrader les sucres, les protéines, ou les lipides. Donc la proposition de manger de la Nattokinase pour avoir de nouvelles protéases ne va rien changer du tout ", poursuit Olivier Schwartz.Un raisonnement qui ne tient pasD'autant plus que les protéases ingérées par le biais des gélules de Nakkotinase arriveraient dans l'estomac, où elles seraient digérées, et ne pourraient donc pas rencontrer et agir sur le vaccin, qui est injecté localement dans le muscle du bras, soulignent les scientifiques interrogés."Le discours anti-vaccins serait de penser que la spike reste dans le sang et qu'on pourrait de fait se 'dévacciner' en enlevant la spike. Mais c'est faux car quand la spike est produite à partir des instructions délivrées par l'ARN messager, elle disparaît rapidement ensuite", souligne Mathieu Molimard."Quand on se vaccine, on fait produire de la spike au niveau musculaire et c'est capturé par les cellules du système immunitaire. Manger une enzyme qui va rester dans la voie digestive n'aura aucun effet sur le vaccin ni sur le système immunitaire", abonde Olivier Schwartz.Il explique qu'il faudrait imaginer théoriquement s'injecter la molécule en même temps que la vaccination pour que la spike soit encore présente dans l'organisme, mais en expliquant que la Nattokinase serait alors susceptible de "détruire localement des tissus"."Si les gens prenaient de fortes doses en espérant se débarrasser de leur vaccin, cela pourrait avoir des conséquences néfastes pour la santé car une attention est portée sur ce produit après des avis d'alerte émis concernant sa consommation pour des suspicions de fluidification du sang, qui pourrait conduire à des hémorragies ou des chutes de tensions, même si cela n'est pas avéré", met également en garde Frédéric Altare. "Respecter les gestes de prévention vaut certainement 10 tonnes de Nattokinase. D'autant plus que l'on ne connaît pas les effets de l’utilisation à forte dose et de manière prolongée de ce composé", souligne le pharmacologue Bernard Bégaud.Une vaccination anti-Covid ne peut pas être "annulée" L'AFP a déjà publié des articles de vérification sur plusieurs allégations assurant qu'il serait possible de "neutraliser" une vaccination anti-Covid, à l'aide d'une pompe à venin, ou d'un cocktail composé d'argile, chlorure de magnésium ou pépins de pamplemousse.Mais les scientifiques interrogés soulignent qu'il est impossible de supprimer les effets d'une vaccination anti-Covid qui a déjà donné les instructions à l'organisme pour se défendre en cas d'infection au Sars-Cov-2."Une fois que la vaccination est faite, les cellules du système immunitaire ont appris à reconnaître un antigène et ensuite elles se multiplient et restent. La seule façon que l'on aurait d'annihiler une vaccination ce serait de démolir toutes les cellules immunitaires d'un individu et de les remplacer par des toutes neuves", pointe Frédéric Altare. "Surtout, se 'dévacciner' ne serait pas souhaitable car le vaccin a démontré son efficacité contre les formes graves de la maladie", conclut Mathieu Molimard, citant une étude parue en juin 2022 dans la revue The Lancet Infectious Diseases estimant que la vaccination anti-Covid aurait permis de sauver 19,8 millions de vie lors de la première année suivant l'introduction des vaccins.
(fr)
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