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Un montage partagé des milliers de fois sur Facebook et Twitter depuis le 16 juin 2022 compare deux cartes météo de la France. La première, beige orangée, serait tirée d'un bulletin météo de TF1 d'août 2017 et la seconde, rouge vif, de France 2 en juin 2022. Cette mise en parallèle de deux cartes aux températures similaires mais aux couleurs distinctes est censée montrer comment les chaînes de télévision "manipulent" l’opinion, en présentant un même phénomène de manière plus anxiogène aujourd’hui. Outre le fait que la deuxième carte émane en réalité de BFMTV, il n’est pas pertinent de comparer des bulletins météo à l’habillage graphique différent, et encore moins à des périodes distinctes de l’année, comme l’expliquent un spécialiste de Météo-France et les chefs des services météo de TF1 et BFMTV à l’AFP. Le contraste est saisissant : superposées dans un même visuel, deux cartes météo de la France affichent des températures très similaires, comprises entre 24 et 38 degrés, mais arborent pourtant des couleurs complètement différentes. A en croire leur légende respective, la première carte, majoritairement jaune teintée d'orange, aurait été diffusée au bulletin météo de TF1 le 22 août 2017. La seconde, entièrement rouge, émanerait quant à elle du bulletin météo de France 2 du 15 juin 2022. Capture d'écran prise sur Facebook le 22 juin 2022. Capture d'écran prise sur Facebook le 22 juin 2022. “Ceci n’est pas du tout de la manipulation”, ironise une phrase au bas de ce comparatif relayé des milliers de fois sur Facebook (1, 2) et sur Twitter (3) depuis le 16 juin. Parmi les internautes qui le partagent, l’un dénonce notamment "une carte rouge pour faire peur", en lien avec "le réchauffement climatique".Selon ces messages, la carte plus récente jouerait volontairement sur la perception du public en amplifiant de manière dramatique un phénomène qui était présenté de manière plus mesurée il y a cinq ans. Mais, outre le fait que la seconde carte n’émane pas de France 2 mais de BFMTV, un tel comparatif n’a pas grand sens car il compare des bulletins météo d’habillage graphique différent et, de surcroît, à des périodes distinctes de l’année, comme l’expliquent un spécialiste de Météo-France et les chefs des services météo de TF1 et BFMTV à l’AFP. France 2 et BFMTV diffusaient des cartes rouges dès 2017La première carte a bien été diffusée le 22 août 2017 sur TF1 : le replay de ce bulletin météo est disponible sur le site de la chaîne. Capture d'écran prise sur le site de TF1 le 21 juin 2022.En revanche, la seconde carte n’émane pas de France 2 mais de BFMTV, comme le montre une recherche d’images inversée. Ces prévisions du 16 juin 2022 ont en fait été diffusées le 15 juin sur la chaîne d'info en continu. Le même jour, elle avait relayé ce visuel dans un tweet, alors que la France traversait un pic de chaleur exceptionnel, avec des températures parfois supérieures à 40°C.Canicule en France ▶ Jusqu'à 36°C aujourd'hui▶ Jusqu'à 38°C demain▶ Jusqu'à 40°C vendredihttps://t.co/JOe3R1THuppic.twitter.com/6DpZ1VB3rP — BFMTV (@BFMTV) June 15, 2022 De plus, si le visuel compare les cartes de deux chaînes différentes diffusées à cinq ans d’intervalle, à la date du bulletin météo de TF1 pris en exemple (le 22 août 2017), France 2 comme BFMTV avaient diffusé une carte présentant les mêmes températures sur un fond complètement rouge. Cette façon de présenter des températures élevées sur certaines chaînes n’est donc pas nouvelle, comme on peut le voir sur les replays de leurs bulletins météo de l’époque (ici et là), dont sont tirées les captures d’écran ci-dessous. Capture d'écran prise sur le site de France Télévisions le 21 juin 2022. Capture d'écran prise sur le site de BFMTV le 21 juin 2022. Des chartes graphiques différentes"Cela n'a pas de sens de comparer les bulletins météo de deux chaînes différentes, déplore Emmanuel Bocrie, responsable de l'unité Média de Météo-France, interrogé par l’AFP. D'un côté, on a du TF1 en 2017 et du BFMTV en 2022. Il serait plus parlant de comparer du TF1 à du TF1."En pratique, toutes les informations fournies quotidiennement aux chaînes par Météo-France sont les mêmes : une liste des températures enregistrées, ainsi qu’une carte "nébule" de la France, divisée en plusieurs zones avec des pictogrammes facilement lisibles représentant les masses d’air et les phénomènes de grande ampleur."L'envoi des cartes ne suffit pas, il faut expliquer comment l'ensemble va vivre, avec les poussées froides, les poussées chaudes… Une partie de notre briefing mentionne aussi les valeurs remarquables", souligne Emmanuel Bocrie."Nous sommes en contact en permanence avec Météo-France", confirme à l’AFP Evelyne Dhéliat, cheffe du service météo de TF1, qui a par ailleurs récemment montré sur TikTok une partie des coulisses de la préparation d'un bulletin météo. @tf1info Répondre à @leandro.schz vous êtes nombreux à nous demander comment sont fabriquées les cartes #météo , Evelyne vous explique tout. #coulisses#tv#tiktokacademie#info♬ Hip-Hop Instrumental Beat - Avant_Beats Sur TF1, une palette de neuf couleurs en lien avec les moyennes de saisonUne fois ces informations en main, les services météo des chaînes donnent forme aux cartes de leur bulletin en suivant leurs propres chartes de couleurs, Météo-France n’ayant "aucune influence" sur ce choix éditorial, selon Emmanuel Bocrie. Sur TF1, l’accent est par exemple mis sur la lisibilité de la carte. "L'idée, c'est que le téléspectateur comprenne tout de suite s'il est dans une température normale, dans une température plus élevée ou dans une température plus froide que ce qu'il devrait normalement avoir pour la saison", explique Evelyne Dhéliat.Depuis "des décennies", le service météo de la chaîne recourt à une palette de neuf couleurs - quatre mauves, cinq beiges - pour faire ressortir l’écart éventuel de chaque température de la carte avec les moyennes de saison, mises à jour par Météo-France tous les dix jours (soit chaque décade)."Par exemple, la moyenne maximum de la dernière décade de ce mois-ci est de 23 degrés au nord et 26 au sud. Nous procédons deux par deux : entre 23 et 24 degrés, la carte est colorisée en beige, entre 24 et 25 avec un beige plus soutenu, et plus on descend en dessous de 23, plus la couleur est mauve, foncée vers le bleu", détaille Evelyne Dhéliat. C’est ce que l’on observe sur le bulletin météo du 22 août 2017 : le nord de la France apparaît d’un beige neutre - en conformité avec la moyenne de saison -, tandis que la partie centrale du pays devient de plus en plus jaune, jusqu’à atteindre le rouge dans le sud-ouest, où l’on retrouve un maximum de température à 37 degrés. Capture d'écran prise sur le site de TF1 le 21 juin 2022. ( Alexis ORSINI)Sur BFMTV, "plus on est haut par rapport à la normale, plus la carte vire au rouge"Alors, pourquoi certaines cartes météo de BFMTV sont-elles si rouges ? "C’est un choix éditorial", indique à l’AFP Christophe Person, chef du service météo de la chaîne d’info en continu, où la couleur de fond de carte varie en fonction des températures affichées depuis 2016."Plus on est haut par rapport à la normale, plus la carte vire au rouge, et plus on est en dessous, plus la carte vire au bleu, résume le présentateur météo de BFMTV. On peut avoir du rouge en décembre, quand on est au-dessus des moyennes." C'était par exemple le cas dans le bulletin météo diffusé par la chaîne le 22 décembre 2020. Capture d'écran réalisée sur le site de BFMTV le 22 juin 2022.Ainsi, la carte des prévisions du 16 juin 2022 témoignait d’une météo inhabituelle. "Là, on était quand même 12 à 14 degrés au-dessus des moyennes de saison par endroit, donc forcément ça tourne au rouge vif", explique Christophe Person."BFMTV règle toute sa gamme de températures de manière assez unie, commente Emmanuel Bocrie. Les cartes vont avoir un dégradé de couleurs pour les températures moyennes et quand on arrive aux extrêmes, elles restent dans la même couleur. On n'est quasiment que dans du rouge, on distingue mal la nuance entre le 28 et le 38."Des périodes difficilement comparablesSi confronter deux bulletins météo répondant à un habillage graphique différent n’a pas grand sens, mettre en parallèle deux périodes différentes de l’année s’avère également trompeur. "Ce visuel compare deux cartes qui n’ont rien à voir : on ne peut pas prendre des températures d’août, alors que fin juillet, début août est la période la plus chaude en France, et les comparer au 15 juin, qui est vraiment très tôt dans la saison", s’insurge Christophe Person. Un constat partagé par Evelyne Dhéliat : "On ne peut pas comparer ces deux cartes car tout est une question de relation des températures par rapport aux moyennes de saison : si on transposait la carte du mois d’août au mois de juin, presque toutes les températures apparaîtraient pratiquement en très chaud." La rivière de Salindres asséchée, le 17 juin 2022, en pleine période de canicule (archive). ( AFP / OLIVIER CHASSIGNOLE)Le défi de l’adaptation des cartes météo au réchauffement climatiqueFace à la multiplication des épisodes de chaleur anormaux, les chaînes de télévision doivent parfois ruser pour adapter les conventions de leur charte graphique.Sur TF1, en changeant de coloris tous les deux degrés, les cartes météo peuvent normalement afficher une amplitude de 18 degrés entre la couleur la plus froide et la plus chaude. Mais lorsque cette amplitude ne suffit plus, Evelyne Dhéliat peut décider d’alterner la couleur des plages de températures tous les trois degrés au lieu des deux en deux habituels. Grâce à ce stratagème, "on peut avoir 27 degrés d'écart entre le minima et le maxima représentés sur la carte", détaille la responsable du service météo de TF1, tout en soulignant que "de 30 à 35 degrés on sera dans la dernière couleur, la plus chaude, la plus forte". De son côté, BFMTV ne prévoit pas d’adaptation particulière de ses cartes dans les prochaines années."Les normales de saison sont recalculées tous les dix ans sur les 30 dernières années", précise Christophe Person. Ce qui signifie que le "nouveau normal" des cartes météo évolue progressivement, mais que les cartes météo de BFMTV ont des chances de rester écarlates en cas de forte chaleur à l’avenir."Si c’est pour l’atténuer, c’est un peu dommage, l’idée est quand même de montrer qu’il va faire chaud. 38 degrés en plein mois de juin en France, c’est extrêmement élevé", ajoute le météorologue.Pour sa part, Météo-France essaye autant que possible de souligner l’impact du réchauffement climatique sur certains phénomènes météorologiques. Une tâche compliquée, de l’aveu d’Emmanuel Bocrie : "Sur le dernier épisode de canicule, nous avons par exemple essayé d'indiquer le pourcentage qui est lié au réchauffement climatique lors du briefing oral aux chaînes, mais nous n'avons pas encore trouvé la bonne manière de le représenter visuellement." Capture d'écran prise sur Twitter le 22 juin 2022.Des comparatifs météo visant à minimiser l’impact du réchauffement climatiqueCe comparatif trompeur entre deux bulletins météo n’est pas le premier à circuler sur les réseaux sociaux : en 2019, des allégations similaires au sujet de cartes de l’Allemagne prétendument retouchées pour "créer un stress écolo" avaient connu un certain succès.Fin mai 2022, une mise en parallèle similaire entre deux cartes météo de la Suède avait également été relayée par certains internautes, ce qui avait là encore donné lieu à un article de vérification de l’AFP. Capture d'écran prise sur Twitter le 22 juin 2022.Les allégations visant à minimiser l’impact du réchauffement climatique ou la responsabilité de l'activité humaine dans le dérèglement du climat circulent quant à elles régulièrement sur les réseaux sociaux, en français comme en anglais.Le réchauffement climatique, une réalité reconnue par la communauté scientifiqueDans le troisième volet de son dernier rapport d’évaluation en date, publié le 4 avril 2022, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), considéré comme par la communauté scientifique internationale comme une source fiable et reconnue sur le réchauffement climatique, notait qu’il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres". Le GIEC alertait par la même occasion sur l’urgence de l’adoption de mesures contre ce phénomène, alors que, fin avril 2022, le service européen sur le changement climatique Copernicus (C3S) notait dans son rapport annuel que l'été 2021 a été le plus chaud de l'histoire de l'Europe, 1°C au dessus de la moyenne des 30 dernières années. Pour Christophe Person comme pour Evelyne Dhéliat, l’impact du réchauffement climatique est visible au quotidien. "Ca nous attriste parce que je vois le nombre de records qu’on bat. Tous les ans, l’hiver comme l’été on bat des records de température et on se dit que ce n’est que le début. Ca fait un peu peur, parce qu’on sait les conséquences qu’il peut y avoir derrière : les sécheresses, les canicules, des orages violents plus fréquents, le risque de grosses inondations…", souligne le chef du service météo de BFMTV."En 2014, j'avais présenté une météo fictive de la France en 2050, grâce à des prévisions faites par Météo-France. Je leur avais dit '40 degrés, mais ce n'est pas possible !' et puis on les a déjà largement dépassés en 2022. Le réchauffement climatique est là et bien là", conclut Evelyne Dhéliat.
(fr)
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