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Une image de deux cours d’eau qui se rejoignent mais "ne se mélangent jamais" est largement partagée sur les réseaux sociaux depuis plus d’un an. Des internautes affirment qu’elle a été prise en République démocratique du Congo. C’est faux: ce bras de rivière aux eaux bicolores se trouve en Géorgie.Au pied d’une petite montagne, dans un paysage verdoyant, deux cours d’eau convergent dans le même lit. Mais leurs eaux, elles, s’écoulent en deux courants parallèles de couleur différentes, l’un gris clair, l’autre bleu sombre. "C’est au Congo, deux rivières qui ne se mélangent jamais", affirme une publication Facebook partagée plus de 1.200 fois depuis sa diffusion le 18 juillet. Capture d'écran Facebook réalisée le 27 juillet 2020Une recherche d’image inversée révèle que cette photo n’est pas nouvelle, elle est partagée des dizaines de milliers de fois sur Twitter (1, 2, 3) et Facebook (1, 2, 3, 4) depuis au moins 2019.Ces nombreuses publications affirment elles aussi qu’elle a été prise en RDC, et la situent même plus précisément."Voici les deux rivières au Congo RDC qui se croisent mais qui ne se mélangent pas. Kasai et Mayindombe" (sic), écrit ainsi une internaute sur une publication partagée plus de 4.000 fois depuis mai 2019. Capture d'écran Facebook réalisée le 27 juillet 2020La province du Maï-Ndombe est située au nord-est de la capitale Kinshasa.On y trouve un vaste lac du même nom, anciennement appelé lac Léopold II."Maï ndombe" signifie "eau noire" en langue lingala. Ses eaux sombres sont en effet chargées en humus.Pas de croisement entre Maï-Ndombe et KasaïSelon Pax Mbuyi Mucici, géographe à l’Institut géographique du Congo, il n’existe pas de rivière Maï-Ndombe (...) mais plutôt un lac".Les eaux du lac Maï-Ndombe rejoignent celles du fleuve Kasaï, mais de manière indirecte."Les eaux du lac Maï-Ndombe sont canalisées par la rivière Fimi, qui se croise avec la rivière Kasaï au niveau du territoire de Mushie", confirme M. Mbuyi Mucici.Comme le montre la carte ci-dessous, la rivière Fimi (flèches rouges) se déverse dans le Kasaï (flèches noires) à plus d’une centaine de kilomètres à l'ouest du lac Maï-Ndombe (rectangle bleu). Capture d'écran Google Maps réalisée le 29 juillet 2020Si aucune rivière Maï-Ndombe ne figure sur de nombreuses cartes en ligne, dont Google Maps, certaines cartographies font mention d'un cours d'eau de ce nom non loin de la capitale Kinshasa. Ce cours d'eau (en jaune sur la carte ci-dessous) se jette dans la Lufimi, affluent du Congo.Situé au sud-ouest du lac du même nom (rectangle bleu) et du fleuve Kasaï (en noir), cette rivière Maï-Ndoombe ne croise à aucun moment le Kasaï. Un paysage montagneux qui ne correspond pas Selon Léon Lundula, géographe de l'Université pédagogique nationale de Kinshasa, un élément visuel dément d'emblée ces publications: "le paysage"."Ces cours d'eau ne se trouvent pas en zone montagneuse", souligne-t-il, en référence au relief visible sur le cliché.Parmi les commentaires Facebook, certains internautes contestent eux aussi la localisation de cet endroit en RDC.L’un d’entre eux mentionne une rivière nommée Aragvi. Capture d’écran prise le 21 juillet 2020.Aragvi noir et Aragvi blanc En recherchant "Aragvi rivière" sur Google, on tombe notamment sur un article du site itinari.com, qui se présente comme "la plateforme de référence pour les voyageurs à la recherche des endroits secrets les mieux préservés".Cet article, intitulé "les fleuves les plus spectaculaires de Géorgie", mentionne notamment la rivière Aragvi. Capture d’écran du site itinari prise le 21 juillet 2020."Il existe deux types d'Aragvi: Noir et Blanc. Ils se rencontrent près du village de Pasanauri et vous pouvez voir clairement la différence dans les couleurs. Certaines personnes le comparent au yin et au yang", écrit l’auteure. "Après une certaine distance, la rivière se mélange progressivement les uns avec les autres et devient une couleur", ajoute-t-elle.On retrouve sur Google une commune géorgienne du nom de Pasanauri (retranscrit Passanaouri en français), située à 90 kilomètres au nord de la capitale géorgienne Tbilissi.Des images très similaires à celle que nous vérifions y sont associées (ci-dessous en rouge). Capture d'écran Google réalisée le 29 juillet 2020Sur Google Maps, on peut accéder à une vue du site datée de juin 2019. On y retrouve tous les éléments qui composent la photo que nous vérifions: la même colline enserrée par les deux bras de rivière qui se rejoignent en deux courants mitoyens de couleurs distinctes, la même végétation, une antenne avec des paraboles blanches sur la droite de la photo... Capture d'écran de la photo diffusée sur les réseaux sociaux Capture d'écran Google Street View réalisée le 30 juillet 2020 Sur la vue de Google, on voit également sur la gauche un minibus à l’arrêt.Le site est en effet régulièrement visité par des touristes, dont on retrouve des vidéos sur YouTube (1, 2, 3, 4).Eaux de densité différente "Ces eaux (de l’Aragvi, ndlr) ont une composition chimique et une densité différentes", explique l'auteure de l’article d’itinari.com Anano Chikhradze, contactée par l’AFP. Cette photo n’a donc pas été prise en RDC, même si ce phénomène naturel de deux eaux qui coulent sans se mélanger existe dans le pays."L’eau du fleuve Congo à l’embouchure de l’océan a une autre couleur, à cause de la différence de la densité due au taux de la salinité", souligne ainsi Pax Mbuyi Mucici."L'eau de l'océan est plus salée et plus dense que celle du fleuve, ce qui explique la différence de couleur", détaille-t-il.Ailleurs dans le pays, "certaines rivières qui traversent la forêt équatoriale sont de couleur noire, alors que les eaux qui traversent la savane ont des couleurs plus claires", relève également Leon Lundula. Ces eaux de couleurs différentes ne sont pas rares, souligne-t-il: "Ce n'est ni un phénomène rare, ni compliqué. C'est courant."Edit du 1er août 2020: ajoute carte faisant mention d'une rivière Maï-Ndombe
(fr)
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