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Une vidéo partagée plus de 300 fois depuis le 26 mai sur Facebook montre des flammes s'élever à la surface de la mer, à proximité d'une plage. Une épaisse fumée noire se dégage de cet incendie. Selon les internautes qui les partagent, ces images montrent une "éruption volcanique sous-marine" à Mouanko, dans l'ouest du Cameroun. C’est faux: elles montrent en réalité un incendie près d’une plage nigériane, vraisemblablement provoqué par la présence d’hydrocarbures dans l’eau, selon plusieurs experts interrogés par l'AFP.Une langue de feu s'étend sur la mer, à quelques dizaines de mètres de la plage. Rapidement, d'épais nuages de fumée noirs s'élèvent dans le ciel, parfois accompagnés de grandes flammes brûlantes. Sur le sable, une dizaine de badauds observent la scène. Des cris de panique retentissent sur la plage au fur et à mesure que l'incendie s'étend.Cette scène d’allure surréaliste montre une "éruption volcanique sous-marine" à la "plage de Yoyo, à Mouanko", dans l'ouest du Cameroun, prétendent les internautes qui partagent cette vidéo sur Facebook (1, 2, 3, 4…). Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 1er juin 2021Un mystérieux incendie sur une plage au NigeriaUne recherche d'images inversée à partir de captures d'écran tirées de cette vidéo permettent de retrouver cette séquence sur plusieurs sites d'actualités nigérians (1, 2, 3, 4…). Elle a notamment été publiée sur la chaîne YouTube de Punch, l'un des médias nigérians les plus lus. Selon ces différents sites, la vidéo a été prise à Ilashe Beach, dans l'Etat de Lagos, dans le sud-ouest du pays.Dans les commentaires des publications virales sur Facebook, de fait, plusieurs internautes émettent l'hypothèse que cette vidéo ait été tournée sur "une plage de Badagry dans l'état de Lagos au Nigeria (Ilashe Beach)" plutôt qu'au Cameroun. Certains soulignent que les personnes dans la vidéo parlent yoruba, une langue surtout parlée au Nigeria. D'autres encore notent que la fumée "bien noire" qui se dégage de l'incendie pourrait plutôt indiquer qu'il s'agit là d'une "nappe de pétrole qui a pris feu". Capture d'écran de commentaires Facebook réalisée le 2 juin 2021Contactée par l'AFP, une journaliste travaillant au Nigeria a confirmé qu'un pipeline a en effet explosé récemment près de Badagry, une ville côtière située à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest de cette plage. L'équipe de gestion de crise de l'Etat de Lagos (LASEMA) a quant à elle précisé à l'AFP avoir été sollicitée au sujet de cet incident et envoyée à Ajah, à une cinquantaine de kilomètres à l'est de la plage cette fois, sans n'avoir rien constaté sur place.L'incendie n'a en tout cas pas fait l'objet d'une quelconque communication, que ce soit sur les différents comptes sur les réseaux sociaux du LASEMA (1, 2, 3) ou sur ceux du gouvernement de l'Etat de Lagos (1, 2, 3). Par contre, le cabinet du maire de la commune camerounaise de Mouanko a apporté sur Facebook un "démenti formel" à l’affirmation selon laquelle la scène se serait déroulée sur son territoire, par la voix de son porte-parole, Athanase Etaba Essomba."La localité de Mouanko ne connaît ni de près, ni de loin un tel phénomène dans sa zone maritime", a assuré sur Facebook M. Etaba Essomba, en précisant que "Mouanko se porte bien" et qu'un "communiqué officiel" démentant cette rumeur allait être "publié à cet effet". A date de publication de cet article, ce document n'avait pas encore été émis par la municipalité. Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 2 juin 2021L'hypothèse très improbable d'une éruption sous-marineS'il est impossible de répertorier toutes les éruptions volcaniques, d'autant plus lorsqu'elles se passent sous l'eau, un programme scientifique permet d'avoir une vision relativement exhaustive de l'activité volcanique à un endroit et à un moment donné: le Global Volcanism Program (GVP) de la Smithsonian Institution à Washington, qui publie chaque semaine un bulletin recensant l'ensemble des éruptions recensées à l'échelle planétaire.Les premières publications Facebook au sujet de cette prétendue éruption sont apparues le 26 mai, et évoquent une éruption "hier après-midi", soit le 25. Or, dans son dernier bulletin hebdomadaire qui couvre la semaine du 19 au 25 mai, le GVP ne note aucune nouvelle activité marquante au Cameroun.De plus, trois volcanologues et une spécialiste de la géophysique joints par l'AFP écartent l'hypothèse d'une éruption sous-marine, au vu des images qui leur ont été soumises. Ces spécialistes penchent tous l’hypothèse d’un incendie d'hydrocarbures, pour trois raisons principales.La première tient à la couleur de la fumée. "Une éruption à cet endroit provoquerait des explosions dues au contact entre la lave (1.200°C) et une faible couche d’eau (20 à 30°C) qui se transformerait instantanément en vapeur", détaille Benoît Smets, volcanologue au Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren, en Belgique. Dans ce cas, "la fumée devrait plutôt être blanchâtre, du moins en partie", explique-t-il."Un volcan sous-marin va faire plutôt évaporer l'eau de mer avec possiblement peu de cendres, donc des fumées plutôt blanchâtres, voire grises", abonde Mathilde Adelinet, enseignante-chercheure en géophysique, qui trouve "saugrenue" l'hypothèse d’une éruption volcanique sous-marine. En effet, l'épais panache de fumée qui est filmé a une couleur noire cendrée, ce qui n'est "pas du tout du tout caractéristique de ce qu'on voit d'habitude" lors d'éruptions sous-marines, souligne Corentin Caudron, chargé de recherches à l'Institut de Recherches pour le Développement (IRD) et affecté à l'ISTerre à Grenoble. Durant ces éruptions, "vous avez des matériaux volcaniques, de la cendre qui sort, cela monte beaucoup plus haut en altitude en général", poursuit ce spécialiste, qui prend pour exemple cette vidéo de Getty Images montrant une série d'éruptions volcaniques sous la mer.Deuxième indice: "l'absence d'une quelconque explosion (même petite)", qui prouve "qu'il s'agit de pétrole qui brûle à la surface de l'eau, ou en eaux peu profondes", selon Roberto Sulpizio, professeur au département des Sciences de la terre et du géo-environnement de l'université italienne de Bari et secrétaire général de l'Association internationale de volcanologie.Le troisième élément permettant d’écarter l’hypothèse d’une éruption sous-marine tient à la superficie et à l'apparence de l'incendie visible sur la vidéo virale. La "source de l'incendie est trop petite", indique le volcanologue italien. En outre, "la manière dont les flammes sont visibles en surface de l’eau sont typiques d’un carburant plus léger que l’eau en train de se consumer", complète Benoît Smets, du Musée royal d'Afrique centrale belge.Les images prises au Nigeria montrent donc bien plus probablement du pétrole en flammes, selon ces trois volcanologues. Sans pouvoir affirmer "avec certitude" la nature de ce feu, l'experte en géophysique Mathilde Adelinet note de son côté des "similitudes" entre cette vidéo virale et d'autres images de "nappes d'huiles enflammées". Une hypothèse confirmée par Patrick Allard, chercheur à l'Institut de physique du Globe de Paris et président de l'Association internationale de volcanologie, qui précise être tombé d'accord à ce sujet avec un collègue camerounais ayant pu visionner ces images. Cette vidéo virale montre donc très probablement du "pétrole ou de l'essence dense qui brûle au bord de l'eau", soulignent-ils de concert.03/06/2021 - 10h20 : Correction au 5e paragraphe de la qualité de la journaliste locale (qui n'est pas une journaliste de l'AFP contrairement à ce qui avait été précédemment publié).
(fr)
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