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Une vidéo partagée plus de 10.000 fois sur Facebook depuis le 9 juillet assure que les mercenaires arrêtés pour le meurtre du président haïtien Jovenel Moïse sont "en majorité des Français et des Américains" et ont l'habitude d"éliminer les dirigeants qui s’opposent à la pensée occidentale". Les images visibles dans ce "reportage" sont en partie authentiques, mais les propos tenus par la voix off sont faux: aucun Français ne figure dans la liste des 17 individus interpellés, composée de 15 Colombiens et de deux Américains. La police soupçonne un ressortissant haïtien de 63 ans d'être le cerveau de l'opération.Deux minutes et seize secondes d’images chaotiques, présentées comme un "reportage exclusif". Voici "l’arrestation des mercenaires ayant assassiné le président de la République" Jovenel Moïse, à “Haiti”, assure une bannière au bas de cette vidéo, diffusée sur une page au nom d'"Afrique media TV".Dans cette vidéo visiblement filmée au téléphone portable, une dizaine d’hommes sont assis à même le sol, surveillés par des individus armés et en treillis. L'un a le visage ensanglanté, un autre le torse découvert. Dans une pièce voisine, un homme est allongé au sol, apparemment ligoté.Une voix-off féminine commente ces images, sur un ton se voulant journalistique: les hommes visibles dans cette vidéo "sont en majorité des Français et des Américains", assure-t-elle. Avant de rajouter que "l’objectif principal pour ces professionnels du crime" est d'"éliminer les dirigeants qui s’opposent à la vision occidentale". Suivent une série de gros plans sur les visages de ces suspects, puis une série de photos, montées sous forme d'un diaporama, montrant successivement un passeport américain, des armes de guerres, des munitions et des plaques d’immatriculation haïtienne posées sur des tables. Capture d'écran Facebook, réalisée le 13 juillet 2021Cette publication, présentée comme un "reportage"sur la façon dont "les mercenaires ont assassiné le président d’Haiti", a connu un énorme succès sur Facebook, où elle a été partagée plus de 10.000 fois depuis le 9 juillet. Elle a également circulé sur Youtube et a suscité de nombreux commentaires sur les circonstances de cet assassinat.Aucun Français parmi les mercenaires arrêtésJovenel Moïse a été tué par une douzaine de balles chez lui, dans la nuit du 6 au 7 juillet. Son épouse Martine Moïse, gravement blessée et transportée en urgence dans un hôpital de Floride, a survécu à ses blessures. Le président Moïse dirigeait le pays depuis février 2017.Dès l’annonce de son assassinat, survenu dans un climat de tensions et de chaos dans cette île des Caraïbes, une traque a été lancée pour retrouver les responsables.Le Premier ministre Claude Joseph, qui a depuis cédé sa place de chef de gouvernement, a indiqué le 9 juillet que le commando impliqué dans cet assassinat se composait de 28 personnes, dont 26 colombiens et deux américains d’origine haïtienne.Le 11 juillet, la police haïtienne a annoncé avoir arrêté 21 personnes, dont 18 Colombiens et trois Haïtiens (deux d'entre eux ayant aussi la nationalité américaine).Contrairement à ce qu'assure la voix-off, aucun Français ne figure en revanche parmi les suspects identifiés par la police haïtienne. A aucun moment cette dernière n'a par ailleurs mentionné le fait que les membres de ce commando souhaitaient "éliminer les dirigeants opposés à la vision occidentale", comme l'affirme là encore la voix-off.Des images réelles de l’arrestation des mercenairesSi les propos tenus dans cette vidéo sont erronés, les images sont de leur côté en partie authentiques.Grâce à une recherche d’image inversée via l’outil de vérification Invid, l'AFP a retrouvé certaines séquences de cette vidéo, notamment dans des reportages télévisés colombiens. Ces reportages ont été publiés entre le 8 et le 9 juillet. Or à cette date, seuls 17 Colombiens et deux Américains d'origine haïtienne avaient été arrêtés, comme le précisent ces deux vidéos de Noticias Caracol et Radio Jamaica News. Capture d'écran du site Noticias Caracol, réalisée le 13 juillet 2021 Capture d'écran du site Radio Jamaica News, réalisée le 13 juillet 2021 L’AFP n’a pas été en mesure de retrouver l’intégralité de la vidéo. Cependant, plusieurs éléments de la vidéo correspondent aux photos prises par les photographes de l'Agence France Presse lors des arrestations à Port-au-Prince.Premièrement, les couleurs bleu et blanc des murs visibles dans cette vidéo correspondent bien aux couleurs du commissariat où ont été transférés les suspects après leur arrestation. Une foule devant le commissariat de Petionville, à Port-au-Prince le 8 juillet 2021. A l'intérieur se trouvent les mercenaires impliqués dans la mort du président haïtien. ( AFP / VALERIE BAERISWYL)Deuxièmement, en regardant attentivement les visages des hommes visibles sur la vidéo, il est possible de reconnaître ceux des suspects photographiés par l’AFP. Nous les avons numérotés de 1 à 5. Capture d'écran Facebook avec une numérotation ajoutée avec Screenpresso, réalisée le 14 juillet 20211.Il pourrait s’agir de l’homme qui a du sang sur le visage, au vu de la forme de ses cheveux au niveau du front. Un des mercenaires d'origine colombienne impliqué dans l'assassinat du président haïtien Jovenel Moise. ( AFP / STR)2. Il pourrait s’agir de l’homme qui est torse nu, au vu de la forme de son nez et de sa coiffure. Un des mercenaires d'origine colombienne impliqué dans l'assassinat du président haïtien Jovenel Moise. ( AFP / STR)3. Il pourrait s’agir de l’homme qui met les mains sur la tête, au vu de sa coupe de cheveux et de sa barbe. Un des mercenaires d'origine colombienne impliqué dans l'assassinat du président haïtien Jovenel Moise. ( AFP / STR) Sur la photo ci-dessous, on reconnaît l’inscription "ARMY" sur le t-shirt de l’homme à droite (numéro 4). L’homme au centre de la photo, qui porte une moustache, semble correspondre à l'individu numéro 5. Les mercenaires arrêtés à Haïti, le 8 juillet, et accusés d'être responsables de l'assassinat de la mort du président haïtien Jovenel Moise. ( AFP / STR)Des images détournéesToutes les images visibles dans cette vidéo Facebook ne sont cependant pas liées à l'assassinat de Jovenel Moïse.Vers la fin de ce "reportage" (1'33), on aperçoit ainsi une photo d'un passeport américain. Quelques secondes plus tard (1'39), six armes de guerre apparaissent, puis un couteau et des talkies-walkies (1'49), des munitions (1'59) et de nouveau des armes (2'15).Ces cinq images sont en réalité liées à l'arrestation de cinq Américains, accusés notamment de détention d'armes illégale, lors d’une opération policière à Haïti en 2019. Lorsqu'on recherche sur Google le patronyme visible sur le passeport, portant le nom de Kent Leland Kroeker, on retrouve en effet une série de tweets publiés en février 2019. Leur auteur relaye la photo de cette pièce d'identité ainsi qu'un article du quotidien Miami Herald, mentionnant l'arrestation de ce ressortissant américain. Capture d'écran d'une vidéo Facebook, réalisée le 13 juillet 2021Un article du média d'investigation états-unien The Intercept, publié à la même époque, décrit cet homme comme "un ancien pilote des avions de transport tactique C-130 des Marines américains, âgé de 52 ans". La date de naissance inscrite sur le passeport correspond bien à cette description. On retrouve par ailleurs la trace de l'ex-Marine sur le site d'une société spécialisée dans la sécurité qui porte son nom, Kroeker Partners. Capture d'écran du site de Kroeker Partners, réalisée le 13 juillet 2021L'AFP n'a pas été en mesure de confirmer l'identité des Américains suspectés d'avoir participé à l'assassinat du président haïtien: impossible donc de savoir si M. Kroeker, interpellé en 2019, fait partie du commando mis en cause pour l'assassinat de M. Moïse. La deuxième photo, montrant des armes et une carte posées sur une table, figure également dans l'article du Miami Herald publié en 2019, qui précise que cet armement a été "trouvé dans des voitures circulant à Port-au-Prince". Elle n'a donc rien à voir avec l'assassinat de Jovenel Moïse début juillet 2021. Capture d'écran Facebook, réalisée le 13 juillet 2021 Capture d'écran du site du Miami Herald, réalisée le 13 juillet 2021 Des recherches inversées sur Google et TinEye avec la troisième photo, montrant des couteaux de combat et des talkies-walkies, permettent d'arriver à un article abordant la même arrestation des cinq Américains à Haïti mentionnée précédemment. Capture d'écran Facebook, réalisée le 13 juillet 2021 Capture d'écran du site The Canada-Haiti Information Project, réalisée le 13 juillet 2021 La quatrième image se retrouve sur Twitter grâce à une recherche inversée sur le moteur de recherches TinEye. Elle a été publiée par le journaliste Frantz Duval, rédacteur en chef du magazine suisse Le Nouvelliste, qui avait relaté sur Twitter l'arrestation des cinq ressortissants américains en 2019. Capture d'écran Facebook, réalisée le 13 juillet 20218 hommes lourdement armés- 7 étrangers et un Haïtiens- ont été arrêtés ce dimanche 17 février par la PNH. Leurs armes automatiques, leurs moyens de communication et leurs véhicules ont été saisis. Pour le moment ils sont au Commissariat de Port-au-Prince à appris Le Nouvelliste pic.twitter.com/YKRoqLKPY4 — Frantz Duval (@Frantzduval) February 18, 2019 La toute dernière photo figure dans un article du média américain CNN. Elle montre selon ce dernier "l'arsenal supposé des détenus" américains arrêtés en février 2019. CNN indique dans le coin supérieur droit de la photo qu'elle proviendrait de la radio haïtienne Radio Sans Fin. Capture d'écran du site de CNN, réalisée le 13 juillet 202 Enquête en coursUne semaine après les faits, la confusion règne toujours sur les circonstances et les raisons de l'assassinat de Jovenel Moïse, même si l'attention de la police haïtienne se porte sur un ressortissant haïtien ayant des "objectifs politiques", arrêté dimanche et accusé d'avoir recruté le commando qui a assassiné le président Jovenel Moïse.Christian Emmanuel Sanon, homme de 63 ans de nationalité haïtienne basé en Floride, serait arrivé dans le pays en juin "à bord d'un avion privé" accompagné de ressortissants colombiens, a indiqué le directeur de la police nationale haïtienne, Léon Charles. Selon lui, il avait pour but initial de "procéder à l'arrestation du président de la République". Le directeur de la police nationale haïtienne Léon Charles lors d'une conférence de presse à Port-au-Prince, le 11 juillet 2021 ( AFP / VALERIE BAERISWYL)Peu d'informations ont filtré sur le profil du suspect, présenté comme un "docteur" qui "joue un rôle de leader pour Haïti à travers une vie d'action positive et d'intégrité absolue" par un compte Twitter portant son nom. Les Colombiens, eux, étaient chargés d'assurer la sécurité de M. Sanon, mais "la mission a ensuite changé", selon M. Charles. Bogota a de son côté confirmé qu'une grande partie des hommes arrêtés étaient des ex-membres de son armée. Les anciens militaires colombiens, forts de leur expérience de plusieurs décennies de lutte contre les guérillas et le narcotrafic, sont des mercenaires très prisés. L'assassinat de Jovenel Moïse - survenu deux jours après la nomination d'un nouveau Premier ministre, Ariel Henry, en remplacement du chef de gouvernement par intérim Claude Joseph - a plongé Haïti dans une grave crise politique, économique et sécuritaire.Quelques heures après la mort du président, Claude Joseph a déclaré avoir la charge des affaires courantes. Mais le Premier ministre sortant a vu sa légitimité rapidement remise en cause. Huit des dix sénateurs encore en fonction ont signé le 9 juillet une résolution offrant à Joseph Lambert, président du Sénat, le titre de président provisoire de la République. La prestation de serment de M. Lambert a toutefois été reportée sine die.
(fr)
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