?:reviewBody
|
-
Tentant de démontrer la proximité entre le Rassemblement national et la France insoumise, le patron des Républicains Christian Jacob affirme que les programmes économiques des deux partis sont "rigoureusement identiques". C'est toutefois infondé : excepté de rares points de convergence, les deux formations ont défendu des solutions radicalement différentes lors des dernières élections, que ce soit sur la hausse du smic, la fiscalité ou le développement du nucléaire. L'idée également défendue par M. Jacob selon laquelle les électeurs insoumis se seraient davantage que les autres reportés vers le RN est peu étayée par les enquêtes d'opinion. Essorés lors de la présidentielle, les Républicains ont limité la casse aux législatives. Et reviennent même au coeur du jeu au moment où le camp d'Emmanuel Macron se cherche de nouveaux alliés à l'Assemblée pour atteindre le Graal de la majorité absolue.Rejetant tout rôle de "roue de secours", leur patron Christian Jacob a défendu, le 21 juin, une "opposition constructive" à la majorité présidentielle et renvoyé dos-à-dos le Rassemblement national (RN) et la France insoumise (LFI), deux partis qui ont surclassé LR lors des législatives et de la présidentielle."Si vous regardez le programme économique de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon, c’est rigoureusement le même", a asséné M. Jacob, assurant que cette similarité expliquait pourquoi beaucoup d'électeurs insoumis auraient reporté leurs voix vers l'extrême droite -- et inversement -- au cours des derniers scrutins. "Ce qui s’est passé aussi beaucoup, au-delà de ce que peuvent dire les leaders, mais on le voit électoralement, (ce sont, NDLR) les transferts des électeurs de l’extrême gauche vers l’extrême droite et inversement", a déclaré au micro de France inter celui qui va bientôt quitter son poste à la tête du parti de droite. En réalité, lors de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont défendu des programmes économiques radicalement différents, que ce soit sur la hausse du smic, le développement du nucléaire ou la fiscalité, même s'ils se rejoignaient sur de très rares thèmes. Les enquêtes d'opinion menées lors des législatives et de la présidentielle ne démontrent par ailleurs pas clairement de porosité particulière entre l'électorat insoumis et celui du RN.Des programmes radicalement différentsContrairement à ce qu'affirme M. Jacob, l'étude comparée des solutions économiques prônées par Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon fait apparaître de profondes lignes de fracture et des philosophies assez éloignées."On est sur des lignes très différentes", résume pour l'AFP Lisa Thomas-Darbois, chargée de mission à l'Institut Montaigne, un think tank d'inspiration libérale qui a procédé à l'analyse détaillée des programmes au moment de la présidentielle."Jean-Luc Mélenchon mise sur une logique très keynésienne, fondée sur la demande et qui consiste à dire : plus on donne du pouvoir d’achat, plus les gens consommeront ce qui donnera du travail aux entreprises et créera de la croissance. Il n'y a quasiment rien à destination des entreprises", détaille la chercheuse."Marine Le Pen a, elle aussi, une politique de la demande, mais elle mise beaucoup sur une politique de l'offre et sur l’idée qu’il faut permettre aux entreprises de payer moins de taxes, ce qui permettrait d’embaucher davantage et d’augmenter les salaires", poursuit-elle. "L'autre grande différence c'est qu'elle fonde l’intégralité du financement de son programme sur des mesures visant à réduire l’immigration et à lutter contre le versement des aides aux étrangers". Sur le pouvoir d'achat, Jean-Luc Mélenchon défend une hausse immédiate du Smic à 1.500 € alors que le Rassemblement national ne plaide pour aucune hausse du salaire minimum. Dans son programme présidentiel, Marine Le Pen avait préféré s'engager à exonérer de cotisations patronales les hausses de salaires de 10% qui seraient accordées à l'ensemble des salariés gagnant jusqu'à trois fois le smic.L'autre idée phare de Jean-Luc Mélenchon sur ce thème consiste à plaider pour un blocage des prix sur une liste de produits de première nécessité -- sur le modèle de ce qui s'applique à la Réunion -- et sur les produits énergétiques. Le RN défend, là aussi, une autre voie : baisser la TVA à 0% sur les produits de première nécessité et à 5,5% pour les carburants même si cette mesure risquerait de contrevenir au droit européen.Le parti insoumis veut par ailleurs mettre en place une allocation d'autonomie pour les étudiants et lycéens professionnels, tandis que le RN voulait rendre les transports ferroviaires gratuits aux heures creuses pour les 18-25 ans. Dans le nord de la France, lors de la campagne présidentielle 2017. ( AFP / PHILIPPE HUGUEN)Sur la fiscalité, les divergences sont flagrantes. Le parti insoumis veut instaurer quatorze tranches d'impôt sur le revenu -- contre cinq aujourd'hui -- pour le rendre plus progressif et alléger la facture des classes moyennes, tout en portant le taux marginal de 45 à 65%. Le RN proposait, lui, d'exonérer tous les jeunes de moins de 30 ans de l'impôt sur le revenu, qui est acquitté actuellement par moins d'un foyer fiscal sur deux.Le parti insoumis veut par ailleurs instaurer un impôt universel pour les multinationales, alors que le RN souhaite au contraire alléger la fiscalité sur les entreprises notamment en baissant les impôts de production et en supprimant la cotisation foncière des entreprises.S'agissant de la fiscalité du patrimoine, Jean-Luc Mélenchon souhaitait plafonner les successions à 12 millions d'euros, l'Etat récupérant tous les legs au-delà de ce plafond. Le RN voulait, lui, au contraire, supprimer les droits de succession sur les biens immobiliers jusqu'à 300.000 euros. Sur l'énergie, le fossé est tout aussi profond. Marine Le Pen souhaite lancer la construction de vingt nouveaux réacteurs EPR, dont le premier n'a toujours pas été mis en service en France, et freiner le développement des éoliennes tandis que Jean-Luc Mélenchon entend, au contraire, amorcer une sortie du nucléaire et promouvoir toutes les énergies renouvelables.Sur le dossier des retraites, les deux formations sont toutes deux opposées au relèvement de l'âge de départ à 64 ou 65 ans défendu par Emmanuel Macron pendant sa campagne, mais leurs solutions alternatives diffèrent là aussi sensiblement.Les insoumis veulent fixer la durée de cotisation pour une retraite complète à quarante ans et ramener l'âge légal de départ à 60 ans. Marine Le Pen ne souhaite plus modifier l'âge de départ, mais veut permettre à ceux qui ont commencé à travailler avec 20 de partir à la retraite à 60 ans. Autre point de divergence, LFI veut aligner le minimum vieillesse sur le smic alors que le RN appelle à une revalorisation beaucoup plus modeste, à 1.000 euros.Les insoumis veulent par ailleurs établir la durée hebdomadaire de travail à 32 heures et généraliser une sixième semaine de congés payés, deux propositions qui ne figurent pas dans le programme du RN.Il existe bien quelques points de convergence,mais ils sont très rares : les deux partis sont ainsi d'accord pour renationaliser les autoroutes et pour rétablir une forme d'impôt sur la fortune, avec des modalités toutefois différentes.Selon Lisa Thomas-Darbois, le véritable point commun de ces deux programmes résiderait dans leur coût. "Ils sont très dépensiers et extrêmement déficitaires", affirme-t-elle. L'Institut Montaigne avait respectivement chiffré à 101,8 et 2018,9 milliards d'euros l'écart entre les économies et dépenses prévues par les programmes de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, des estimations toutefois contestées par les deux candidats. Des reports de voix RN-LFI très relatifs Selon M. Jacob, la proximité supposée des programmes expliquerait notamment la porosité entre les électorats des deux partis, mais, là encore, les données disponibles -- qui ne reposent que sur des sondages -- dessinent un paysage plus contrasté.Au 2e tour de la présidentielle, selon un sondage Elabe, seuls 18% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon avaient voté pour Marine Le Pen face à Emmanuel Macron, une proportion certes plus forte que pour l'électorat de Yannick Jadot (8%), mais qui est toutefois moins importante que les reports de LR vers l'extrême droite : 22% des électeurs de Valérie Pécresse avaient ainsi choisi la candidate d'extrême droite au second tour. Pour les dernières législatives, lorsqu'ils devaient arbitrer un duel Ensemble!/RN, les électeurs de la Nupes ont par ailleurs davantage choisi la majorité présidentielle que la formation d'extrême droite (31% contre 24%), selon une étude Harris interactive.Inversement, les électeurs du RN auraient davantage voté pour Ensemble! que pour la Nupes en cas de duel entre la coalition présidentielle et celle des partis de gauche (25% contre 18%).Une étude Ipsos parvient toutefois à des conclusions inverses avec 30% de report de voix du RN vers la Nupes contre 18% vers Ensemble!. Son directeur général délégué, Brice Teinturier, y voyait toutefois davantage le signe d'un rejet d'Emmanuel Macron qu'une adhésion au programme de la gauche. "Une partie des électeurs du RN ont voulu, j'ai envie de dire, se payer Emmanuel Macron et ses candidats en allant voter beaucoup plus pour Nupes", disait-il sur France 2 au soir du 2e tour.
(fr)
|