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Une étude, relayée notamment par Didier Raoult, viendrait montrer selon des internautes que les injections ne serviraient à rien en raison d'une absence de corrélation entre campagnes de vaccination et nouveaux cas de Covid. Ce n'est pourtant pas ce que dit la publication scientifique, qui confirme l'importance cruciale des vaccins. L'étude est par ailleurs de portée limitée, de par sa conception même, comme l'a expliqué son auteur à l'AFP. Enfin, de nombreuses études - plus vastes - confirment bien l'efficacité des campagnes de vaccination.Le 8 octobre, Didier Raoult a écrit sur Twitter :"L'European Journal of Epidemiology, dont je suis éditeur, est le journal le plus côté [sic] au monde en épidémiologie. Ici, il rapporte l'absence de corrélation entre politique vaccinale et nombre de cas", accompagnant son message d'un lien vers un article de cette revue scientifique, mise en ligne le 30 septembre. Le message (plus de 4.000 retweets et plus de 7.700 'likes') du scientifique est repris sur Facebook, notamment sur des groupes publics de soutien ici et là ou encore là.L'European Journal of Epidemiology, dont je suis éditeur, est le journal le plus côté au monde en épidémiologie. Ici, il rapporte l'absence de corrélation entre politique vaccinale et nombre de cas.https://t.co/p0K3p0lP9Y — Didier Raoult (@raoult_didier) October 8, 2021 Sur Facebook comme sur Twitter, l'article du European Journal of Epidemiology est largement interprété comme une preuve d'inefficacité des vaccins. Il est aussi utilisé aux Etats-Unis (ici par exemple), accompagné là encore d'une rhétorique remettant en cause l'efficacité des vaccins et les politiques de santé publique en la matière. On voit aussi dans des posts Facebook en français, comme celui-ci, l'étude relayée avec le même discours remettant en cause l'efficacité de la vaccination massive. L'homme politique français Nicolas Dupont-Aignan a aussi relayé l'étude sur sa page Facebook (4.000 partages depuis le 9 octobre), accompagné d'un message estimant que les campagnes massives de vaccination ne sont pas utiles. Capture d'écran de la page Facebook de Nicolas Dupont-Aignan faite le 14 octobre 2021Comme repéré par nos confrères de LCI, le chef du Parti conservateur du Québec Éric Duhaime a lui aussi diffusé cette étude sur Facebook le 4 octobre, et sur Twitter avec là encore l'idée que les campagnes de vaccination sont inutiles.D'où vient cette étude ? Il s'agit précisément d'une "Correspondence", une forme de publication courte qui peut présenter des résultats ou discuter d'un sujet mais qui "ne relève pas d'un article de recherche traditionnel", plus pointu et détaillé. Capture d'écran du site de l'European Journal of Epidemiology faite le 12 octobre 2021 ( Julie CHARPENTRAT)Elle est signée de deux auteurs : S. V. Subramanian, docteur en géographie et professeur en "Santé et géographie des populations" ("Professor of Population Health and Geography") à la prestigieuse université américaine d'Harvard. Son coauteur, Akhil Kumar, est présenté en tête d'article - où sont toujours déclinées les institutions auxquelles sont affiliés les auteurs - comme appartenant à un lycée dans la province de l'Ontario au Canada ("Turner Fenton Secondary School, Brampton, ON, Canada"). Contacté par l'AFP le 12 octobre, le lycée en question a confirmé par mail qu'il s'agissait bien d'un élève de l'établissement. "Akhil Kumar est lycéen et stagiaire à Harvard, au Centre d'analyse en géographie", a aussi confirmé S. V. Subramanian à l'AFP dans un mail le 14 octobre.Le rédacteur-en-chef de la revue, Albert Hofman, contacté par l'AFP le 12 octobre, a pour sa part indiqué que cette publication avait bien été relue par les pairs ("peer-reviewed"). Que dit-elle ? L'idée est "d'examiner le lien entre le pourcentage de population entièrement vaccinée et les nouveaux cas de Covid-19 dans 68 pays d'une part et 2.947 comtés aux Etats-Unis d'autre part", peut-on lire au début de l'article.Les données viennent de la base "Our World In Data", disponible sur internet et affiliée à l'université britannique d'Oxford au niveau des pays et d'une base de données de la Maison Blanche pour les comtés.Les pays inclus devaient remplir les critères suivants : "données disponibles sur la deuxième dose, données disponibles sur les cas de Covid, données de populations disponibles et les données devaient avoir été mises à jour au maximum 3 jours avant le 3 septembre". La liste figure dans cette annexe (voir captures d'écran plus bas).A noter qu'en vertu de ces critères, certains comme par exemple la France ou le Royaume-Uni sont exclus de l'étude. Interrogé sur ce point, l'auteur a expliqué qu'au 3 septembre les données sur les vaccins disponibles sur "Our World In data" n'étaient pas assez récentes pour ces deux pays.Conclusion de ces observations : "il n'apparaît pas de relation observable entre le pourcentage de population entièrement vaccinée et les nouveaux cas de Covid dans les 7 derniers jours", disent les auteurs, qui notent même "une association légèrement positive entre les pays qui ont les plus hauts pourcentages de personnes entièrement vaccinés et ayant des nombres élevés de nouveaux cas de Covid par million d'habitants".Observations à peu près similaires au niveau des comtés américains.En fin d'article, dans la partie "Interprétation", les auteurs écrivent que "se reposer uniquement sur la vaccination comme stratégie première pour limiter le Covid-19 et ses conséquences doit être réexaminé". "D'autres interventions pharmacologiques et non-pharmacologiques devraient sans doute être mises en place parallèlement à la vaccination", indiquent-ils aussi.En résumé, "même s'il faut continuer à encourager les populations à se faire vacciner, cela doit être fait avec humilité et respect", poursuivent les auteurs. Vaccination en Colombie le 11 octobre 2021 ( AFP / RAUL ARBOLEDA)Des conclusions qui d'une part réaffirment bien la nécessité de la vaccination, et d'autre part rejoignent ce que disent autorités et scientifiques depuis des mois, à savoir que la vaccination doit s'accompagner de la poursuite d'autres mesures, comme le respect des mesures barrière par exemple. Et ce, notamment parce que le virus circule encore et que toute la population n'est pas vaccinée mais aussi que les vaccins, bien que très efficaces, ne le sont pas à 100%."Il faut maintenir les gestes barrière, la vaccination est indispensable mais elle ne suffira pas", avait par exemple indiqué en juillet Rémi Salomon, le président de la commission médicale de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris dans un tweet.L'agence sanitaire américaine (CDC) rappelle ici par exemple la nécessité des autres mesures en plus de la vaccination comme on peut le lire dans cette présentation.Contacté par l'AFP, S.V. Subramanian a expliqué qu'en aucun cas son travail ne montrait que la vaccination était inefficace ou inutile, au contraire."Conclure de cette analyse que les vaccins sont inutiles est trompeur et inexact. En fait, l'analyse montre que quelque soit le niveau de vaccination, le nombre de cas par habitant peut être plus élevé ou moins élevé sans que l'on trouve un modèle récurrent clair. En conséquence, l'analyse soutient la vaccination comme une stratégie importante pour réduire infection et transmission, parallèlement au lavage des mains, au port du masque, à une bonne aération et à la distanciation physique", a écrit l'enseignant dans un mail le 14 octobre."D'autres études ont clairement et avec certitude établi que la vaccination réduit de façon importante le risque d'hospitalisation et de mortalité et elle constitue sans l'ombre d'un doute une part primordiale de notre stratégie contre le Covid", a-t-il insisté.Une étude de portée très limitée : beaucoup de variables non prises en compteOutre ces erreurs d'interprétation, cette étude a une portée extrêmement limitée, de par sa méthodologie, comme l'auteur lui-même le reconnaît.On observe par exemple que sont inclus dans l'étude les données de pays très différents: en superficie, en population, en densité, ou encore touchés à des degrés divers et des moments différents par le Covid: Etats-Unis, Trinidad-et-Tobago, Turquie, Népal, Somalie, Malawi, Brésil, Inde...A un degré moindre, les comtés américains sont aussi très différents en densité, en richesse, en climat, en dynamique épidémique etc.Certains pays sont dans l'hémisphère nord, d'autres dans l'hémisphère sud: au moment choisi par l'étude, c'était donc l'été dans certains, l'hiver dans d'autres, alors même que le facteur météo peut influer fortement sur la dynamique épidémique.On observe aussi que l'étude compare les données de pays qui n'ont pas du tout les mêmes capacités de collecte des données, tant les disparités économiques et/ou au niveau du système de soins sont énormes. On trouve ainsi des pays très riches, comme les Etats-Unis ou l'Islande mais aussi à l'inverse le Vietnam ou le Zimbabwe.Disparités aussi dans les taux de vaccination : le Kenya à 1,47% et les Emirats Arabes Unis à plus de 76%... Sans compter que les pays ont connu des campagnes de vaccination à des moments différents, avec des vaccins différents. Captures d'écran de l'annexe de l'étude, faites le 14 octobre 2021Autres disparités : certains ont connu des mesures (confinement, distanciation sociale, port du masque etc...) très strictes (Israël), d'autres moins (Inde, Brésil etc...) et à des moments épidémiques différents, autant de variables qui ont nécessairement un impact important sur le nombre de cas de Covid.Interrogé par l'AFP le 13 octobre, l'épidémiologiste Mahmoud Zureik, directeur de la structure Epi-Phare et auteur d'une étude sur l'efficacité des vaccins (voir plus bas), juge aussi "impensable de ne pas avoir pris en compte la circulation du virus", très variable d'un pays à l'autre.Interrogé sur ces nombreuses disparités, l'auteur a indiqué qu'en effet "nous faisons remarquer (dans l'article, NDLR) que c'est une limite". "C'est précisément la raison pour laquelle nous ne surinterprétons pas les résultats (...) et en restons principalement à des descriptions", a-t-il précisé.On ne peut pas vraiment tirer de conclusions de cette étude, a confirmé à l'AFP l'épidémiologiste Thibault Fiolet (Inserm/Institut Gustave Roussy)."Tout d'abord, c'est une étude de type écologique, qui fait une analyse au niveau d'une population agrégée (les pays et les comtés aux USA), ce n'est pas une analyse avec des données individuelles. Dans l'échelle du niveau de preuve des études épidémiologiques, c'est plus bas que les études sur données individuelles (essais cliniques, cohorte, études cas-témoin...)", explique-t-il.On peut trouver dans ce document de l'Inserm les définitions des différents types d'études épidémiologiques.Parmi les limites, "le point le plus problématique", c'est "le risque d'erreur écologique", c'est-à-dire quand "des conclusions sont indûment induites sur les individus à partir des résultats de données agrégées": autrement dit, on suppose à tort que l'observation faite dans une population s'applique à chaque individu qui la composent. Comme l'épidémiologiste l'avait expliqué en 2020 dans ce thread Twitter : c'est supposer "que les individus d'un groupe ont tous les caractéristiques moyennes du groupe dans son ensemble", alors que ce n'est pas nécessairement le cas."De ce type d'étude écologique, on ne peut pas déduire quoi que ce soit au niveau individuel : si le vaccin protège ou non de l'infection", poursuit Thibault Fiolet auprès de l'AFP, venant confirmer que l'on ne peut pas en conclure que les vaccins ne servent à rien."Ce type d'analyse simpliste n'est pas adéquat pour prendre en compte les facteurs de confusion" (les variables qui peuvent fausser le résultat) poursuit M. Fiolet, comme "par exemple, l'accès au soin, le fait d'avoir déjà été infecté une fois, un comportement plus précautionneux, la densité de population (être en ville/campagne), l'état de santé peuvent influencer le fait d'aller se faire vacciner et le fait d'être exposé au virus (cas de COVID-19). "Ces facteurs peuvent être pris en compte dans des analyses statistiques, ici ce n'est pas le cas", dit-il. Distribution de masques en Inde le 11 octobre 2021 ( AFP / DIBYANGSHU SARKAR)Le nombre de nouveaux cas: un indicateur de portée limitéeEn outre, la publication utilise le nombre de nouveaux cas de Covid alors que cet indicateur est notoirement dépendant de nombreux facteurs (accès aux tests, qualité et fiabilité des données...), ce qui rend les comparaisons internationales particulièrement hasardeuses.Outre la question de la détection, le nombre de nouveaux cas dépend du taux d'incidence du virus dans la population, des mesures en place, du respect des gestes barrière, des mouvements de population... Par ailleurs, comme expliqué par les scientifiques, autorités et fabricants depuis des mois, les vaccins sont d'abord surtout efficaces sur les formes graves et les décès, moins sur les formes symptomatiques et la transmission du virus.Isolé, le nombre de nouveaux cas n'est pas nécessairement l'indicateur le plus pertinent. Le nombre de nouveaux cas peut réaugmenter (comme c'est arrivé cet été dans des pays bien vaccinés, comme Israël) sans que cas graves et décès remontent dans les mêmes proportions.Une hausse de cas peut par ailleurs s'expliquer par bien d'autres facteurs qu'une supposée inutilité des vaccins : variant Delta, baisse de la protection chez certaines populations vaccinées tôt, levée des restrictions etc... Plusieurs études confirment l'efficacité des vaccins"Pour évaluer l'efficacité des vaccins, il faut des études observationnelles et des essais cliniques bien menés", rappelle Thibault Fiolet, et en l'espèce, "on voit que les vaccins marchent".Une vaste étude française est venue le 11 octobre confirmer ce que d'autres avaient déjà avancé : "tous les vaccins contre la Covid-19 sont hautement efficaces et ont un effet majeur sur la réduction des risques des formes graves de Covid-19 chez les personnes âgées de 50 ans et plus en France en vie réelle", indique la structure Epi-Phare.Rapports @EPIPHARE : réduction du risque de forme grave #Covid19 de plus de 90% jusqu’à au moins 5 mois après un schéma complet.Les suivi s'arrête au 20/07/2021, date des dernières données disponibles. L'étude continue pour un suivi allongé.https://t.co/VIgwkCWMpR — EPI-PHARE (@EPIPHARE) October 11, 2021 "Les personnes vaccinées ont 9 fois moins de risque d'être hospitalisées ou de décéder de la Covid-19 que les personnes non vaccinées", avait expliqué à l'AFP le 11 octobre l'épidémiologiste Mahmoud Zureik, directeur d'Epi-Phare.Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont comparé les données de 11 millions de personnes vaccinées de plus de 50 ans avec celles de 11 millions de personnes non-vaccinées dans la même tranche d'âge, sur une période allant du 27 décembre 2020 (début de la vaccination en France) au 20 juillet dernier, détaille cette dépêche de l'AFP.En outre, comme expliqué par autorités et scientifiques depuis des mois, il convient de mener des campagnes massives de vaccination pour contrer au maximum la pandémie. Des taux trop bas de vaccination dans la population laissent circuler activement le virus et favorisent l'émergence de variants potentiellement encore plus préoccupants. Cette infographie des Instituts de Recherche en santé du Canada explique le principe de l'immunité collective conférée par la vaccination. Capture d'écran faite le 14 octobre 2021Didier Raoult n'est plus éditeur de cette revue Comme c'est l'usage, la revue European Journal of Epidemiology fournit sur son site internet la composition de son équipe, dont la liste de ses "editors". Le nom de Didier Raoult ne s'y trouve pas.Interrogé par l'AFP le 12 octobre à ce sujet, le rédacteur-en-chef Albert Hofman a indiqué que le scientifique marseillais ne faisait plus partie de l'équipe d'"editors" depuis décembre 2020. La revue l'avait alors informé par écrit de son intention de le retirer de la liste des "associate editors" pour laisser place à de nouveaux noms.
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