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"Les 47 juges de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) ont établi qu'il n'y a pas de droit au mariage homosexuel" en Europe en se basant sur "l'ordre naturel", affirment des publications partagées depuis début octobre et citant un article de 2016. Mais il s'agit d'une interprétation erronée d'une décision de 2016 dans laquelle la CEDH réaffirme qu'il appartient à chaque Etat signataire de la Convention européenne des droits de l'Homme de décider de reconnaître juridiquement ou non le mariage pour les personnes de même sexe en s'appuyant sur des arguments culturels et non anthropologiques, et à partir du moment où il existe une autre possibilité d'union civile pour ces couples, comme le PACS, ont expliqué trois juristes à l'AFP."MARIAGE HOMOSEXUEL - JUGEMENT DE LA COUR DES DROITS DE L'HOMME DE STRASBOURG - FRANCE (...) à l'unanimité, les 47 juges ont approuvé la décision selon laquelle il n'y a pas de droit au mariage homosexuel', affirme un texte relayé plusieurs centaine de fois depuis le début du mois d'octobre 2022 en français (1, 2), espagnol, portugais ou anglais ."La phrase était basée sur une myriade de considérations philosophiques et anthropologiques basées sur l'ordre naturel, le bon sens, les rapports scientifiques et, bien sûr, le droit positif", poursuit le texte.Il cite comme source un article publié en 2016 et titré "La Cour Européenne des Droits de l'Homme confirme à l'unanimité l'absence de droit au mariage homosexuel". Capture d'écran prise le 28/10/2022 sur Facebook Capture d'écran prise le 28/10/2022 sur Facebook Capture d'écran prise le 28/10/2022 sur Facebook Capture d'écran prise le 28/10/2022 sur Facebook L'article en question mentionne une décision de justice rendue en 2016 dans l'affaire "Chapin et Charpentier c. France".Qu'est-ce que cette affaire ?Le 5 juin 2004, Noël Mamère, le maire de la commune de Bègles, dans le sud-ouest, célèbre pour la première fois en France le mariage d'un couple homosexuel entre Stéphane Chapin et Bertrand Charpentier. Bertrand Charpentier et Stéphane Chapin arrivent au tribunal de grande instance de Bordeaux le 29 septembre 2006 ( AFP / JEAN-PIERRE MULLER)Mais l'union, enregistrée à l'état civil en mairie, est annulée en appel, puis en cassation en 2007, poussant le couple à saisir la Cour européenne des droits de l'Homme pour contester cette décision. La Cour européenne des droits de l'Homme est une juridiction du Conseil de l'Europe dont le rôle est de veiller au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales par les 47 États qui l'ont ratifiée.Ce document, plus connu sous le nom de Convention européenne des droits de l'Homme a été ouvert à la signature à Rome en 1950 et est entré en vigueur en 1953. La Convention a été le premier instrument rendant contraignants certains droits énoncés dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.Pour Stéphane Chapin et Bertrand Charpentier, il était demandé à la CEDH d'estimer si l'annulation de leur union civile par la France était contraire aux droits garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme. La décision de la CEDH sur l'affaire "Chapin et Charpentier c. France" est rendue le 9 juin 2016, et confirme l'annulation de l'union civile entre les deux hommes. La Cour européenne des droits de l'Homme explique que "si, à l'époque des faits, le mariage n'était pas ouvert en droit français aux requérants, ils pouvaient néanmoins conclure un pacte civil de solidarité" (Pacs).La CEDH réaffirme surtout que "les États demeurent libres (...) de n'ouvrir le mariage qu'aux couples hétérosexuels, et qu'ils bénéficient d'une certaine marge d'appréciation pour décider de la nature exacte du statut conféré par les autres modes de reconnaissance juridique". Capture d'écran prise le 27/10/2022 de la décision de la CEDH prise sur le site Dalloz-actualitéElle note enfin qu'entre l'année où elle a été saisie par le couple, en 2007, et l'année où elle rend sa décision, en 2016, le mariage aux couples de même sexe a été légalisé par la loi du 17 mai 2013 en France et que les requérants sont "désormais libres de se marier". Vincent Autin and Bruno Boileau s'enlacent lors de leur mariage, le premier officiellement célèbré pour les personnes de même sexe après l'adoption de la loi du 17 mai 2013 ( AFP / GERARD JULIEN)Interpréter cette décision comme une annulation du droit pour les personnes de même sexe à se marier en Europe est donc une erreur, ont confirmé trois juristes à l'AFP. "La Cour européenne n'a jamais rendu d'arrêt ayant pour objet d'annuler le mariage de même sexe. La Cour ne fait qu'interpréter et appliquer la Convention européenne des droits de l'Homme", a expliqué le 27 octobre à l'AFP Cécile Goubault--Larrecq, doctorante en droit international public.Sur quoi s'est basée la CEDH pour rendre cette décision ?La Convention européenne des droits de l'Homme inscrit le droit de se marier et de fonder une famille dans son article 12 en écrivant qu'à "partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit". Capture d'écran prise le 28/10/2022 de l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'hommeEn d'autres termes, "il n'existe pas d'obligation au sens de la Convention européenne des droits de l'Homme de prévoir le mariage pour les personnes de même sexe parce qu'il est écrit entre 'l'homme et la femme' S'il y avait écrit entre 'deux personnes', la CEDH pourrait avoir plus de liberté. Un choix a été fait en 1950 et toute la question est de savoir si les Etats ont changé d'avis depuis", a expliqué le 27 octobre à l'AFP Tania Racho, docteure en droit européen.Mais la jurisprudence de la CEDH, à travers des arrêtés rendu en 2010, 2012, 2015 et 2016, a confirmé chaque fois qu'en l'état du droit européen et à défaut de consensus entre les États signataires, la Cour ne reconnaît pas d'obligation pour ces États d'ouvrir le mariage aux couples homosexuels et laissent la liberté aux États de décider. Le droit européen renvoie donc au droit interne, c'est-à-dire au droit de chaque pays signataire de la Convention pour décider s'il souhaite ou non la légalisation du mariage pour tous. "La jurisprudence montre que la Cour décide de ne pas s'investir, et considère, malgré le principe de non-discrimination et malgré le droit au respect de la vie privée qu'elle préfère laisser les modalités de l'exercice du droit au mariage aux Etats signataires", a expliqué à l'AFP le 27 octobre Anne-Andréa Vilerio, avocate en droit public."La Cour n'oblige pas, mais n'interdit donc pas non plus aux États d'ouvrir le mariage aux couples homosexuels", en revanche, "elle exige que cela n'ait pas pour conséquence de les priver de toute possibilité de s'unir, par le biais du PACS par exemple, du fait de leur orientation sexuelle, ce qui serait constitutif d'une discrimination" prohibée par la Convention européenne des droits de l'Homme, précise Cécile Goubault--Larrecq. L'intérieur de la Cour européenne des droits de l'Homme, à Strasbourg, le 7 février 2019 ( AFP / FREDERICK FLORIN)Autrement dit, poursuit la juriste, "la Cour ne fait que contrôler qu'une annulation par les autorités nationales, françaises par exemple, d'un mariage soit conforme au droit interne (français) et qu'il existait une alternative prévue en droit interne pour leur union". A savoir, dans le cas Stéphane Chapin et Bertrand Charpentier, la possibilité de se pacser au moment de leur union civile en 2004, et celle de se marier depuis 2013.Aujourd'hui, en France, si des autorités refusaient de célébrer ou annulaient un mariage homosexuel s'étant déroulé après l'entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2013, elles agiraient hors des clous de la loi, puisque le droit français a ouvert le mariage pour les couples de même sexe.De faux arguments "Le texte partagé sur les réseaux sociaux développe en outre une justification complètement fausse en disant que la CEDH se fonde sur des arguments naturalistes pour confirmer l'annulation de l'union des mariés de Bègles. La CEDH explique au contraire qu'elle respecte la culture du mariage de chaque Etat, et l'évolution ou justement l'absence d'évolution sur la question de l'ouverture du mariage pour les personnes de même sexe", pointe Anne-Andréa Vilerio.La CEDH précise que son approche pourrait évoluer si un consensus se dégageait parmi les pays signataires de la Convention. "Il faudrait avoir une jurisprudence constructive avec une nouvelle décision rendue dans ce sens qui prenne en compte les évolutions de la société", note Tania Racho, "mais en 2016 et avant, la CEDH estimait qu'il n'y avait pas suffisamment de consensus européen à l'heure actuelle pour remettre en cause cet article et évoluer en faveur du mariage homosexuel".Pour les juristes, il est néanmoins difficile d'imaginer la CEDH prendre position sur la question du mariage pour les personnes de même sexe dans l'immédiat, puisque les arrêts de la Cour ne sont pas exécutoirs mais incitatifs. Cela signifie qu'un arrêt de la CEDH contredisant la décision d'un Etat n'annule pas automatiquement cette décision. "C'est aussi pour ça que la CEDH laisse cette marge de manoeuvre aux Etats sur le sujet du mariage pour tous, car elle pourrait se discréditer en demandant à un Etat de respecter une décision qu'elle aurait rendue sur le sujet et que celui-ci refuserait tout simplement d'appliquer", estime Anne-Andréa Vilerio.Plusieurs pays signataires de la Convention sont de fait encore hostiles à autoriser toute forme d'union civile ou mariage entre personne de même sexe, à l'image de la Hongrie ou la Roumanie.
(fr)
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