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En plein contexte de crise énergétique et de flambée des prix, la France vendrait l'électricité produite sur son territoire "42 euros le mégawatt" à l'Allemagne pour ensuite lui racheter "le même mégawatt à 1.000 euros", à en croire des publications partagées des milliers de fois sur Facebook et Twitter. C'est faux, les deux tarifs n'ont rien à voir. Le tarif de 42 euros le mégawatt-heure (MWh) est un tarif fixé par la loi pour le marché de détail en France exclusivement réservé à des fournisseurs qui alimentent des résidents installés en France, comme l'expliquent plusieurs spécialistes de l'énergie à l'AFP. Ce prix ne concerne que le marché français. Il existe bien des transactions entre les opérateurs de marché en France et en Allemagne mais c'est un système très différent : le marché de gros européen, dont les tarifs varient en permanence.Bien que le gouvernement ait appelé, début septembre, à "la sobriété et à la solidarité européenne" au sortir d'un Conseil de défense sur l'approvisionnement en gaz et en électricité, la France réaliserait des transactions énergétiques financières coûteuses avec son voisin allemand, selon un message relayé des milliers de fois sur Facebook (1, 2) et Twitter."Le mégawatt produit en France est vendu 42 euros à l'Allemagne, pays auquel nous rachetons à 1.000 euros le même mégawatt", s'indignent ainsi depuis septembre des internautes relayant la même affirmation sur ces deux plateformes, en commentant parfois : "Nous vivons des aberrations et un cauchemar engendré par l'Europe... qui ne nous veut pas du bien, dire l'inverse serait mentir!" Capture d'écran réalisée sur Facebook le 13 octobre 2022. Capture d'écran réalisée sur Facebook le 13 octobre 2022. Plusieurs d'entre eux citent en guise de source le journaliste Dimitri Pavlenko, animateur sur Europe 1 et intervenant de l'émission "Face à l'info" sur CNews, en partageant parfois un extrait vidéo de l'une de ses interventions en plateau. Mais l'intéressé n'avance pas ces chiffres dans cette séquence datant de janvier 2022, qui précède donc l'intervention russe en Ukraine, contribuant à la flambée actuelle des prix. Capture d'écran réalisée sur Twitter le 13 octobre 2022.Contactée par l'AFP, la Commission de régulation de l'énergie (CRE), l'autorité indépendante garante "du bon fonctionnement des marchés de l'énergie au bénéfice du consommateur", dénonce "une information totalement fausse" : "Le prix du mégawatt à 42 euros est un prix qui bénéficie au consommateur français et uniquement au consommateur dans le cadre de l'accès régulé à l’électricité nucléaire historique [ARENH], dispositif franco-français et non européen."EDF confirme de son côté à l'AFP que "ce système s'applique seulement en France", et que c'est bien dans le cadre de cet "accès régulé à l’électricité nucléaire historique" que le groupe "vend 100 TWh au prix de 42 euros du mégawatt-heure (MWh)" à des fournisseurs alternatifs d'électricité."Il est absurde de comparer ce tarif de 42 euros le MWh, fixé par la loi pour le marché de détail français, avec les prix du marché d'échange européen de l'électricité, qui fluctuent d'heure en heure", indique à l'AFP Anna Creti, professeure d'économie à l'université Paris Dauphine et directrice scientifique des chaires "économie du gaz naturel" et "économie du climat".Un tarif exclusif à la France, réservé aux fournisseurs alternatifs d'électricité Comme l'explique la CRE sur son site, le dispositif ARENH, créé par la loi de nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME) et en vigueur depuis le 1er juillet 2011 pour 15 ans, permet "aux fournisseurs alternatifs d'accéder, à un prix régulé, à l'électricité produite par les centrales nucléaires historiques d'EDF en service à la date de promulgation de la loi NOME". Ces volumes d'ARENH sont soumis à une limite de 100 TWh sur une année, "soit environ 25% de la production du parc nucléaire historique" - la France ayant produit, en 2021, 360,7 TWh d'électricité d'origine nucléaire, selon le bilan du Réseau de transport d'électricité (RTE). Concrètement, "un résident allemand situé en Allemagne ne peut pas bénéficier de l'ARENH, pas plus qu'un fournisseur allemand présent en Allemagne", précise à l'AFP Jacques Percebois, professeur émérite à l'université de Montpellier et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden). En revanche, "la filiale d'un groupe allemand" ou d'un autre pays "qui fournit des clients en France a le droit de bénéficier de l'ARENH pour ses clients résidant en France". Des prix fluctuants, au coeur du marché de gros européenIndépendamment de ce dispositif bien spécifique, les transactions de gaz et de l'électricité "entre les acteurs de marché situés en France et Allemagne" et non pas entre "la France" et "l'Allemagne", ainsi que le précise la CRE, se font sur un marché de gros européen, où l'énergie est achetée et vendue par les fournisseurs à des prix variés."Sur ce marché européen, vous pouvez acheter dans différents pays à différents prix de gros : il y a les prix intra-journaliers, les prix du jour pour le lendemain, les prix mensuels, trimestriels ou annuels, qu'on appelle aussi calendaires. Normalement, vous pouvez acheter sur n'importe quelle place. Si vous achetez en France, pas de problème. Si vous achetez en Allemagne pour fournir en France, vous devez aussi payer le prix de l'interconnexion France-Allemagne", détaillait le 31 août dernier à l'AFP Nicolas Goldberg, expert en énergie chez Colombus Consulting.Nicolas Astier, professeur à l'Ecole d'économie de Paris (PSE) spécialisé dans l'économie de l'énergie, détaille à l'AFP les "deux modalités principales d'échanges d'électricité entre pays européens" : d'un côté, "de la veille pour le lendemain, le marché spot détermine un prix horaire par pays, ainsi que les échanges commerciaux correspondants".De l'autre, les échanges se font via "des produits de long-terme annuels standardisés", les fameux prix calendaires, qui consistent à "s'engager financièrement à livrer 1 MW de façon constante du 1er janvier au 31 décembre d'une année donnée." "Ces contrats sont signés soit de façon bilatérale, à des prix négociés entre les parties, soit échangés via des enchères journalières sur une plateforme de marché", précise le spécialiste. Le logo du groupe EDF sur la centrale nucléaire de Fessenheim, le 21 juin 2021 (archive). ( AFP / SEBASTIEN BOZON)Des prix récents de l'ordre de "200 euros le MWH" aux heures creuses à "470 euros le MWh" aux heures de pointe Les MWh vendus et achetés sur le marché allemand depuis le marché français le sont donc selon les prix du marché de gros. Le 26 août 2022, ces prix ont connu, en Allemagne et en France, un pic respectif à 850 et à 1.000 euros le MWh alors qu'ils étaient, pour ces deux pays, d'environ 85 euros le MWh il y a un an. "Les 1.000 euros correspondaient à un prix à terme, donc à de l'électricité livrable pour 2023, et non d'un prix spot", précise Jacques Percebois, tandis que le CRE souligne sur son site que "les prix de référence pour le marché de l’électricité français sont ceux de l’échéance journalière".De son côté, Anna Creti souligne qu'il "est faux de dire qu'on rachète le même mégawatt 1.000 euros à l'Allemagne puisqu'on fait référence à un prix qui fluctue et qui peut varier entre 300, 500 ou 700 euros... C'est un cours qui varie toutes les heures au minimum, c'est cela qui crée l'échange. Si on a un prix plus bas en France et plus élevé en Allemagne, cela signale au producteur français qu'il est plus rentable de vendre en Allemagne et vice versa, et ça change d'heure en heure."Ces derniers mois, sur le marché spot, ces prix sont "de l'ordre de 200 euros le MWh aux heures creuses et de 470 aux heures de pointe", avec une envolée maximum à "750 euros pendant quelques heures", détaille Jacques Percebois, à propos de ces données de marché consultables en temps réel sur le site de RTE."Comme le parc nucléaire [français] ne permet pas de produire suffisamment, on importe beaucoup d'électricité d'Allemagne aux heures pleines et aux heures de pointe - parfois aussi aux heures creuses - et on le fait au prix de gros", explique le directeur du Creden. Une production nucléaire française en grande baisse en 2022Plusieurs causes sont à l'origine de l'explosion des cours, à commencer par le tarissement des flux de gaz russe vers l'Europe depuis le début de la guerre en Ukraine : nombre de centrales thermiques utilisent du gaz pour générer de l'électricité, comme le détaillait cette dépêche de l'AFP. La production nucléaire d'EDF en 2022 devrait en outre connaître un plus bas historique en raison de l'indisponibilité exceptionnelle d'une partie de son parc nucléaire avec 26 de ses 56 réacteurs à l'arrêt selon des chiffres communiqués mi-septembre par le groupe, ce qui fait mécaniquement augmenter les cours, influencés par les incertitudes."Il y a des chances que la France, qui est traditionnellement exportatrice nette d'électricité, finisse, pour la première fois depuis très longtemps, importatrice nette sur 2022, avec des approvisionnements d'origine diverses : elle importe notamment beaucoup d'Espagne", détaille Nicolas Astier. En septembre 2021, face à la flambée historique des prix du gaz et de l'électricité en Europe, Jean Castex, alors premier ministre, avait annoncé le déploiement d'un "bouclier tarifaire" sur les prix de l'énergie, comportant notamment un plafond de 4% d'augmentation des tarifs réglementés de l'électricité à compter du 1er février 2022, et un blocage des prix du gaz depuis le 1er novembre 2021 jusqu'au 31 décembre 2022.Si les particuliers ainsi que les très petites entreprises et petites collectivités de l'Hexagone sont relativement protégés de la forte hausse des prix grâce au bouclier tarifaire, ce n'est pas le cas de 90% des clients professionnels d'EDF, entreprises et collectivités, qui "vont connaître en 2023 des hausses de prix importantes", jusqu'à être "multipliées par quatre", d'après les prévisions partagées le 10 octobre par Marc Benayoun, directeur exécutif Groupe en charge du pôle Clients, services et territoires d'EDF.
(fr)
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