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Des publications partagées plus de 500 fois sur Facebook relayent une vidéo et une photo censées montrer des "militaires tutsis rwandais arrêtés par les FARDC [Forces armées de la République démocratique du Congo] à Minembwe au Sud-Kivu", lors de l'"état de siège". Attention : la vidéo a été prise au Burundi en 2015. Quant à la photo, elle montre bien des soldats rwandais arrêtés en RDC, mais à Goma, en 2018. De plus, seules les provinces de l'Ituri et du Nord-Kivu sont sous le régime exceptionnel de l'état de siège, instauré le 6 mai pour lutter contre la prolifération des groupes armés dans l'est du pays. Un homme en treillis, les coudes posés sur ses genoux, parle lentement dans un enregistreur et un micro tendus devant lui. Seul son visage est visible : les autres protagonistes se tiennent hors champ. Il parle lentement, en français, répondant aux questions des autres personnes présentes sur les lieux.La vidéo, montée de manière très heurtée, montre cet homme parfois assis, parfois debout à côté d'une autre personne, également en treillis. Sur l'autre image relayée par ces publications Facebook, deux hommes en treillis et casquette fixent l’objectif, les mains probablement attachées dans le dos.Ces trois hommes sont des "militaires tutsis rwandais arrêtés par les FARDC [Forces armées de la République démocratique du Congo] à Minembwe au Sud-Kivu", lors de l'"état de siège", prétendent les internautes qui partagent ces différentes images sur les réseaux sociaux. Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 3 juin 2021 Sur Facebook, ces publications cumulent plus de 500 partages depuis le 2 juin (1, 2, 3, 4…). Des tweets relayant cette affirmation ont été également partagés une quarantaine de fois depuis le 1er juin (1, 2, 3…). Or, la vidéo comme la photo virales ne montrent pas des soldats rwandais arrêtés depuis la promulgation de l'état de siège. Ce régime d’exception, décrété le 6 mai par le président de la RDC Félix Tshisekedi afin de lutter contre les groupes armés présents dans l’est du pays, ne concerne d'ailleurs que deux provinces du pays: l'Ituri et le Nord-Kivu. Le Sud-Kivu, où se trouve la ville de Minembwe évoquée dans les publications virales, n’est lui pas concerné. Une vidéo de 2015 prise au BurundiDans la vidéo qui circule sur Facebook et Twitter, un nom apparaît à l'écran au bout de 15 secondes : celui de Félicien Irimbere, ainsi que le mot "appréhendé", sans plus de précisions. En cherchant ce nom sur le moteur de recherches Google, on tombe sur un article daté du 10 septembre 2015, publié par le média local burundais AG News. Capture d'écran du site d'AG News, réalisée le 3 juin 2021Intitulé "Burundi / Sécurité : Un employé de l'Ambassade du Rwanda capturé parmi les insurgés de Kiyenzi" , cet article décrit comment des "hommes armés non (...) identifiés ont attaqué" le 8 septembre 2015 "une position militaire" de la Force défense nationale du Burundi, au sud de la capitale Bujumbura, à Kanyosha. Dans le corps du texte, on retrouve une photo des deux hommes en treillis visibles dans la vidéo virale que nous vérifions. Selon ce média, ils ont été "capturés en commune Mugongo-Manga [est de Bujumbura], mercredi 9 septembre 2015, par la population qui les a livrés" aux services de renseignement burundais.L'homme qui s'exprime, Félicien Irimbere, "professeur au lycée Notre Dame de Sourire de Bukeye", mentionne d'ailleurs le nom de cette ville à la quatrième seconde de la vidéo. La vidéo en question est également intégrée à l'article et provient de la chaîne YouTube "RTNB Burundi" - celle de la radio-télévision nationale du pays. Capture d'écran d'une vidéo YouTube, réalisée le 3 juin 2021Enfin, le treillis que porte l'homme pris en vidéo ne correspond pas à celui porté par les soldats rwandais des Forces rwandaises de défense (RDF) : en témoigne cette photo du chef d'état-major de l'armée rwandaise, le général Jean Bosco Kazura, publiée par le compte Instagram officiel des RDF le 30 octobre 2020. Les contours des différentes couleurs du treillis sont en effet tracés de manière moins distincte. Capture d'écran d'une publication Instagram, réalisée le 3 juin 2021Une photo de soldats rwandais à Goma… en 2018Une recherche d'images inversée sur le moteur de recherches Google permet de retrouver la seconde image utilisée par les publications virales sur deux sites d'actualité, en date du 17 avril 2018 (1, 2). Selon les articles en question, les deux hommes pris en photo sont bien des militaires rwandais arrêtés par les FARDC, mais à Goma, dans la province du Nord-Kivu - une région située à la frontière entre la République démocratique du Congo et le Rwanda.Le journal Le Rwandais, dans un article en kinyarwanda, explique que les "deux soldats des RDF ont été récemment capturés au Congo". L'article de CongoActu précise quant à lui que ces deux hommes ont été "arrêtés le dimanche [15 avril 2018] sur le sol congolais" et remis "au Mécanisme conjoint de vérification pour faciliter leur retour dans leur pays".L'AFP avait publié une dépêche le 16 avril 2018 relatant les mêmes faits, en citant le porte-parole de l'armée au Nord-Kivu, le major Guillaume Ndjike, également cité par les deux médias locaux cités précédemment. Au moment de leur arrestation dans le principal cimetière de Goma, à environ 500 mètres de l'aéroport, non loin de la frontière entre la RDC et le Rwanda, "ces soldats rwandais portaient sur eux deux armes, du matériel de transmission et de communication", avait précisé à l'époque l'officier. Ce dernier avait déclaré son intention de remettre les militaires au "mécanisme conjoint de vérification des frontières" pour leur retour au Rwanda.Contactées par l'AFP, les FARDC n'ont pas précisé à date de parution de cet article si elles avaient bel et bien arrêté récemment des officiers rwandais sur le sol congolais.Massacres de civilsLe président Félix Tshisekedi a décrété l'état de siège le 6 mai dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri, pour venir à bout des groupes armés qui sévissent dans ces régions frontalières du Rwanda et de l'Ouganda.Reconductible, cette décision a été prise notamment après une vague de tueries perpétrées par les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé musulman d'origine ougandaise. Des gouverneurs et administrateurs militaires ont été nommés dans les deux provinces, où aucune opération majeure n'a été cependant lancée à ce jour.Le 31 mai, des attaques menées par les ADF dans le nord-est de la RD Congo, ont fait 57 morts civils dont sept enfants, selon l'ONU, qui s’est dite le 4 juin indignée de ces violences exercées contre des villages et des camps de déplacés.Si le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies affirme que les responsables sont les ADF, les sources locales sont beaucoup plus prudentes sur l'identité des assaillants, estimant qu'il pourrait aussi s'agir d'un règlement de comptes, dans une région marquée de fortes tensions ethniques.
(fr)
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