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Alors que la communauté scientifique s'accorde à dire que la fonte des glaces est l'une des dix menaces majeures causées par le réchauffement climatique, des publications relayées en français et en anglais sur les réseaux sociaux affirment -à tort- que la calotte glacière du Groenland "se rétablit". Le blog à l'origine de cette assertion prétend notamment s'appuyer sur une étude japonaise. Selon les publications virales, les scientifiques attribueraient la fonte des glaces au "réchauffement naturel" de la planète "et non pas aux émissions de CO2". C'est faux : l'auteur principal de l'étude a assuré à l'AFP que leurs travaux de recherche ont été "déformés", rappelant que "la température de la planète augmente en raison du changement climatique anthropique". Le réchauffement climatique et son origine humaine sont par ailleurs aujourd'hui établis par un consensus scientifique."Bombe climatique : la calotte glaciaire du Groenland se rétablit alors que les scientifiques disent que la perte antérieure était due au réchauffement naturel et non aux émissions de CO2", avancent plusieurs publications, remettant en cause l'origine humaine du réchauffement climatique. Partagées sur Facebook (1) et Twitter (2), elles relaient la capture d'écran d'un billet de blog mis en ligne le 2 octobre 2022 sur le site américain The Daily Sceptic, traduit en français avec un outil de traduction automatique. On peut voir ici la version originale en anglais. Ce site a déjà publié des articles relayant des infox à plusieurs reprises, notamment sur le changement climatique. Capture d'écran prise sur le site britannique The Daily Sceptic le 11 octobre 2022Le texte du Daily Sceptic a aussi été diffusé par le chanteur controversé Francis Lalanne sur la plateforme américaine Gettr (3), fondée par un ancien porte-parole de Donald Trump. Elle circule également en anglais sur Twitter (4) et la plateforme communautaire américaine Reddit (5). L'étude ne réfute pas le réchauffement climatique d'origine humainePour étayer ses assertions, le Daily Sceptic affirme s'appuyer sur plusieurs travaux scientifiques, en particulier sur une étude publiée en décembre 2021 dans Communications earth & environment, une des revues scientifiques de Nature.Réalisés par trois climatologues japonais de l'Université d'Hokkaido, ces travaux attribuent le ralentissement estival du réchauffement et de la perte de glace observé au Groenland ces dix dernières années à El Niño, un phénomène météorologique qui affecte les températures mondiales et aggrave les sécheresses et les inondations.Ses auteurs ont constaté qu'El Niño a engendré des températures moins élevées au Groenland, en déployant, via la formation de cyclones, un courant d'air plus frais vers le nord. Pour le Daily Sceptic, l'impact de ce phénomène naturel sur les températures et les glaces du Groenland est la preuve que le changement climatique est d'origine naturelle, et non pas humaine : "De telles conclusions discréditent la simpliste notion scientifique aujourd'hui 'établie', selon laquelle le dioxyde de carbone produit par l'homme, par combustion fossile, est le principal moteur du réchauffement et du refroidissement de la planète", écrit le blog.Toutefois, l'auteur principal de la publication scientifique, Shinji Matsumura, chercheur à l'Institut national japonais de recherche sur les sciences de la Terre et la résilience aux catastrophes, a assuré à l'AFP que les résultats de cette étude ont été mal interprétés :"Notre article a été déformé par ce billet de blog. Nous ne sommes pas d'accord pour dire que [les conclusions de l'étude, NDLR] discréditent le fait que les émissions de CO2 causées par l'homme sont le moteur principal du changement climatique", a-t-il déclaré à l'AFP le 5 octobre 2022 par mail, rappelant que "la température de la planète augmente en raison du changement climatique anthropique"(c'est-à-dire d'origine humaine).Shinji Matsumura a par ailleurs assuré que la publication scientifique ne "minimise pas la gravité du changement climatique ou la nécessité de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre." "La calotte glaciaire [glace qui se forme sur la terre, NDLR] du Groenland fond sur le long terme en raison du réchauffement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre, mais le rythme de cette fonte a ralenti au cours de la dernière décennie", disait-il aussi, cité dans un communiqué de presse de l'Université d'Hokkaido diffusé en avril 2022, pour présenter l'étude publiée en décembre 2021.Les résultats de l'étude japonaise "démontrent comment les changements naturels peuvent agir en parallèle du réchauffement climatique global et faire varier les conditions climatiques locales. Nous nous attendons toutefois à ce que le réchauffement climatique et la fonte de la calotte glaciaire au Groenland et dans le reste de l'Arctique s'accélèrent encore plus à l'avenir en raison des effets du réchauffement anthropique", ajoute l'universitaire dans le communiqué. "On n’est pas du tout dans un rétablissement de la calotte polaire du Groenland", abonde Heïdi Sevestre, glaciologue membre du programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique, contactée par l'AFP le 11 octobre 2022. "Cette année par exemple, en termes de perte de glace, ça a été un tout petit peu moins extrême que d’habitude. Mais ce qu'il se passe au Groenland chaque été, chaque année, reste catastrophique.""Souvent, quand il fait très chaud en Europe, dans nos latitudes, il est probable que l’Arctique soit un tout petit peu plus frais et plus humide que d’habitude. C’est ce qu’on a observé cet été : la France était en feu alors que le Groenland n’a pas connu la même vague de chaleur", explique la chercheuse, qui a passé la période estivale au Groenland pour réaliser des relevés de terrain. "Par des phénomènes météorologiques assez complexes, il peut effectivement y avoir un petit refroidissement par-ci, un peu plus de neige qui tombe sur les glaciers par-là. Mais on ne peut vraiment plus réfuter le fait que ce que l’on observe, en termes de perte de glace, est directement lié aux activités humaines", conclut-elle. Cette carte d'un institut de recherche danois sur l'Arctique met elle aussi en avant une perte constante de glace sur la calotte glaciaire du Groenland : Capture d'écran prise sur le site Polar Portal le 20 octobre 2022"On constate qu'au cours de la période 2003-2011, la calotte glacière du Groenland a perdu 234 km3 d'eau par an, ce qui correspond à une contribution annuelle à l'augmentation moyenne du niveau de la mer de 0,65 mm", est-il précisé sur son site.La banquise arctique diminueLe Daily Sceptic prétend également que la banquise arctique, soit l'étendue de glace qui se forme à la surface de l'océan, se "rétablit". Là encore, il affirme se baser sur des travaux scientifiques : ceux du Centre National de données sur la Neige et la Glace (NSIDC), basé aux Etats-Unis, qui collecte des données sur la banquise arctique.Lors de ses recherches, le NSIDC a observé que l'étendue de cette banquise relevée en septembre 2022 était supérieure à celle enregistrée en septembre 2012. Pour le Daily Sceptic, cette observation est la preuve que "le rétablissement de la banquise arctique en été a été spectaculaire ces derniers temps". Il s'agit cependant d'une mauvaise interprétation des données du NSIDC. Au mois de septembre, l'année 2022 a effectivement enregistré une étendue de glace plus importante qu'en 2012, mais cela ne signifie pas pour autant que la banquise arctique "se rétablit" au fil du temps.Pour preuve, le NSIDC explique dans ses travaux que la superficie actuelle de la banquise arctique est 1,54 million de kilomètres carrés en-dessous de la moyenne de 1981-2010. Des icebergs flottent dans la baie de Baffin près de Pituffik au Groenland, lors d'une mission aérienne visant à mesurer la fonte de la glace de mer arctique, le 20 juillet 2022. ( AFP / KEREM YUCEL)Dans son étude, le NSIDC constate par ailleurs que la banquise arctique de septembre 2022 a diminué de 12,3% par décennie par rapport à la moyenne de 1981-2010, depuis le début des relevés."Depuis 1979, le mois de septembre a enregistré une perte de glace de 3,59 millions de kilomètres carrés", note le centre de recherche, précisant que "cela équivaut à environ deux fois la taille de l'Alaska."Dans la même lignée, dans un résumé de l'un de ses principaux rapports, le Groupement international d'experts sur le climat (GIEC), qui rassemble des centaines de chercheurs pour élaborer un état des lieux des connaissances scientifiques, écrit : "Entre 2011 et 2020, la superficie moyenne annuelle de la banquise arctique a atteint son niveau le plus bas depuis au moins 1850."Consensus scientifique autour du réchauffement climatique d'origine anthropique Dans son billet, le Daily Sceptic prétend aussi que de "nombreux scientifiques" on déjà constaté "des variations importantes de la température par le passé", comme celle observée au cours du dernier siècle et demi.L'affirmation selon laquelle le réchauffement récent est normal parce que les températures ont déjà fluctué auparavant "est tout simplement une logique stupide", a toutefois déclaré à l'AFP Mike Lockwood, professeur de physique de l'environnement spatial à l'université de Reading, dans un précédent article de vérification. La responsabilité des émissions de gaz à effet de serre dans le changement climatique est documentée et fait l'objet d'un consensus scientifique établit par la communauté scientifique, par la voix du GIEC, comme l'illustre ce graphique issu d'un rapport d'août 2021.Ci-dessous à gauche, il montre que les températures ont fortement augmenté au cours des 150 dernières années. A droite, la ligne bleue en bas prouve à quel point les températures mondiales seraient plus basses sans l'émissions de gaz à effet de serre par combustion fossile générée par l'homme : Capture d'écran prise sur le site de l'IPCC le 20 octobre 2022"Il est sans équivoque que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, l'océan et les terres", écrit le GIEC dans la première partie de ce même rapport. Retrouvez les articles de vérification de l'AFP sur l'énergie et le climat ici. 20 octobre 2022 Correction d'une coquille de ponctuation au 11ème paragraphe et modification de la capture d'écran du graphique de l'IPCC en fin d'article. Précise que "The Daily Sceptic" est un site britannique et non américain.
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