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"Coup de théâtre" : une étude américaine publiée dans la revue médicale The Lancet confirmerait un "risque élevé" de myocardites survenant après la vaccination anti-Covid, touchant "10%" des patients, prétendent des publications virales sur les réseaux sociaux depuis la mi-juin. C'est inexact : les inflammations cardiaques post-vaccination sont surveillées par les autorités sanitaires depuis plus d'un an, et l'étude du Lancet fait part de cas "rares" de myocardites et péricardites chez des personnes vaccinées. Le chiffre de "10%" vient quant à lui d'une autre étude, publiée en novembre 2021, et ne fait pas référence à un pourcentage de myocardites observées parmi des patients, comme l'ont expliqué le directeur du groupement EPI-PHARE qui a réalisé ces recherches et un autre cardiologue et chercheur à l'AFP."Le Lancet conclue [sic] que l'injection provoque des myocardites (...) 900 personnes sur 9000, soit 1 personne sur 10, soit 10%, c'est 'rare'", assure un tweet partagé près de 3.500 fois depuis le 14 juin, largement repris par des internautes sur Facebook et Twitter.Il s'appuie sur un article, largement relayé sur plusieurs blogs depuis la mi-juin, titré : "Coup de théâtre : la revue scientifique The Lancet confirme le risque élevé de myocardite du vaccin Pfizer et Moderna". Capture d'écran prise sur Twitter, le 22/06/2022 Capture d'écran prise sur Twitter, le 22/06/2022 Capture d'écran prise sur Twitter, le 22/06/2022Ce dernier renvoie vers une étude publiée le 11 juin 2022 dans la prestigieuse revue médicale The Lancet, intitulée "risque de myocardite et de péricardite après la vaccination à ARNm contre le Covid-19 aux Etats-Unis : étude de cohorte avec les bases de données de signalements".Les myocardites, des inflammations du muscle cardiaque, et les péricardites, des inflammations de la membrane qui entoure le cœur, sont causées, la plupart du temps, par une infection virale (comme le Covid-19) et surviennent plutôt chez des hommes jeunes. Dans la majorité des cas, l'état de santé des patients s'améliore de lui-même ou à l'aide d'un traitement, indique le site de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)."La myocardite, c'est une maladie cardiaque rare qui a une présentation très hétérogène, très polymorphe, qui va de formes paucisymptomatiques (peu symptomatiques, NDLR) qui heureusement représentent la plupart des cas, à des formes très sévères qui peuvent aller en réanimation", précise Mathieu Kerneis, cardiologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et chercheur responsable de la filière "myocardites" au sein du groupe Action cœur, le 23 juin 2022 auprès de l'AFP."La myocardite touche préférentiellement les hommes, et les hommes jeunes, pour des raisons qui ne sont pas encore tout à fait comprises", ajoute le chercheur, soulignant aussi que les myocardites et les péricardites "sont certes des atteintes inflammatoires du cœur, mais la myocardite est potentiellement grave, tandis que la péricardite est généralement une pathologie plutôt bénigne avec laquelle on n'est pas forcément hospitalisé".Que dit l'étude du Lancet ?Les chercheurs qui ont publié leur travail dans The Lancet se sont penchés sur les cas de myocardites et de péricardites survenues chez des personnes ayant reçu des vaccins à ARN messager de Pfizer-BioNTech et Moderna, et figurant parmi les remontées de données de surveillance des effets secondaires potentiels des vaccin, signalés aux autorités américaines. Ils ont conduit une "étude de cohorte rétrospective", qui s'intéresse aux occurrences d'événements particuliers (ici, les myocardites et les péricardites survenus après des injections à ARNm pour plusieurs classes d'âge), afin de les comparer aux occurrences de myocardites et péricardites survenant en moyenne dans ces populations, calculées à partir de cohortes de patients précédemment étudiées."Au total, 411 cas de myocardites ou de péricardites, ou les deux, ont été observés chez 15.148.369 personnes âgées de 18 à 64 ans ayant reçu 16.912.716 doses de BNT162b2 (le vaccin de Pfizer-BioNTech, NDLR) et 10.631.554 doses d'ARNm-1273 (le vaccin de Moderna, NDLR)", notent ainsi les auteurs de l'étude.Concrètement, cela signifie que 411 cas de myocardites et de péricardites ont été enregistrés pour 15.148.369 adultes vaccinés, et pour 27.544.270 doses de vaccin administrées, ce qui correspond à un signalement de myocardite ou de péricardite pour environ de 67.000 doses injectées, et un cas enregistré pour 36.857 personnes vaccinées -loin, donc, des 10% d'inflammations cardiaques recensées chez les vaccinés mises en avant sur les réseaux sociaux. "Un risque accru de myocardites ou de péricardites a été observé après la vaccination à ARNm contre le Covid-19, et était plus élevé chez les hommes âgés de 18 à 25 ans après une deuxième dose du vaccin. Cependant, l'incidence était rare. Ces résultats n'indiquent pas de différence statistiquement significative des risques avec le vaccin ARNm-1273 ou avec le BNT162b2, mais il ne faut pas exclure qu'une telle différence puisse exister. Les résultats de notre étude, ainsi que la balance bénéfices-risques, restent en faveur de la vaccination avec l'un ou l'autre des deux vaccins à ARNm", résument ainsi les auteurs de l'étude. Capture d'écran de l'étude du Lancet, prise le 22/06/2022 sur le site de la revue"Le papier du Lancet montre bien que la prévalence de ces cas reste extrêmement rare : sur des centaines de milliers de personnes, ils ne rapportent que quelques dizaines de cas. Il faut aussi bien noter qu'ils mélangent myocardites et péricardites, qui sont deux maladies bien distinctes", résume le cardiologue et chercheur Mathieu Kerneis.D'où viennent les 10% ? Les "900" cas sur "9.000" patients mis en avant sur les réseaux sociaux, qui correspondraient aux "10%" de myocardites enregistrées, ne figurent quant à eux pas dans l'étude du Lancet. En revanche, une recherche avancée sur Google avec ces chiffres, et les termes "vaccins", "étude", et "myocardites", permettent de remonter à d'autres recherches, publiées en novembre 2021 sur le site du groupement de recherches français EPI-PHARE, intitulé "Myocardite et péricardite après la vaccination Covid-19".EPI-PHARE est un groupement d'intérêt scientifique créé fin 2018 par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), qui réalise des études de pharmaco-épidémiologie à partir des données du Système National des Données de Santé (SNDS), "pour éclairer les pouvoirs publics dans leur prise de décision".L'étude publiée en novembre 2021 visait à "mesurer l'association entre les vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna et le risque de myocardite et péricardite à l'échelle de l'ensemble des personnes âgées de 12 à 50 ans en France". (FILES) In this file photo taken on January 07, 2022, the Moderna Covid-19 vaccine is prepared for administration at Union Station in Los Angeles. The US Food and Drug Administration granted emergency authorization Friday for the use of Pfizer and Moderna Covid-19 vaccines in the youngest children, the final age group awaiting immunization in most countries. ( AFP / Frederic J. BROWN)Depuis l'été 2021, les myocardites et les péricardites sont en effet considérées en France comme des effets indésirables pouvant survenir suite à une vaccination contre le Covid-19 par un vaccin à ARN messager (Pfizer-BioNTech ou Moderna), comme le relèvent les chercheurs d'EPI-PHARE.On peut lire dans leur étude qu'un "total de 919 cas de myocardites (âge médian de 26 ans, 21% de femmes) et 917 cas de péricardites (âge médian de 34 ans, 38% de femmes) sont survenus parmi des personnes âgées de 12 à 50 ans en France pendant la période d'étude. Ces cas ont été appariés respectivement à 9.190 témoins (pour la myocardite) et 9.170 témoins (pour la péricardite)".Comparer ces appariements ne permet cependant aucunement d'affirmer que 900 cas d'inflammations cardiaques ont été recensés parmi 9.000 patients, comme l'a expliqué Mahmoud Zureik, professeur en épidémiologie et directeur d'EPI-PHARE, le 20 juin à l'AFP.Une incompréhension de la méthodologie"Cette histoire de 10%, c'est totalement faux", assure le chercheur. "Pour étudier une relation de cause à effet (là on parle de la myocardite par rapport à l'exposition au vaccin), il peut y avoir plusieurs designs d'études en épidémiologie. Une première approche est de partir de l'exposition, c'est-à-dire qu'il y a des gens qui sont vaccinés et des gens qui ne sont pas vaccinés, et on suit ces deux groupes pour comparer le nombre de myocardites entre les vaccinés et les non vaccinés. C'est ce qu'on appelle en général une étude de cohorte", détaille-t-il. En revanche, l'étude d'EPI-PHARE a suivi une autre méthodologie, classique, celle des "cas-témoins". "Là, on ne part pas de l'exposition, mais on part de l'effet. Les cas, ce sont les myocardites, et les témoins, ce sont des personnes qui n'ont pas eu de myocardites et que l'on les sélectionne dans la population dont sont issus les cas. On regarde cette fois-ci qui a été vacciné et qui n'a pas été vacciné et on compare la proportion de vaccinés entre les cas et les témoins. C'est une démarche en miroir par rapport aux études de cohorte", précise Mahmoud Zureik, soulignant que ces études de cas-témoins sont souvent privilégiées "quand l'effet étudié est rare".Concrètement, lorsque les chercheurs observent un certain nombre de cas d'un effet particulier (ici, les myocardites et péricardites), ils choisissent ensuite un certain nombre de "témoins", aux profils comparables (notamment en termes d'âge et de sexe) à ceux des personnes ayant présenté ces effets, dans le but de pouvoir comparer les deux groupes. Le nombre de témoins sélectionnés est déterminé par les chercheurs, en prenant en compte différents critères, en particulier la fréquence de l'effet étudié. En l'occurrence, "on a pris 10 témoins parce que l'effet est rare et pour avoir une estimation précise de la relation entre vaccins et myocardites. Supposons qu'on ait choisi de prendre un témoin pour un cas, ça ne veut pas dire qu'il y ait 50% de myocardites liées aux vaccins... Penser ça, c'est ne pas du tout maîtriser la méthodologie. Ce qui est important, c'est de savoir combien de cas on observe pour combien d'injections", résume le directeur d'EPI-PHARE.Or les chiffres mis en avant dans l'étude faisaient part d'un nombre de myocardites atteignant au maximum environ 130 cas pour un million d'injections, pour les groupes les plus touchés (les hommes de moins de 30 ans, vaccinés avec Moderna), bien loin des 10% mentionnés dans les publications.Un "coup de théâtre" inexistantEn l'occurrence, l'étude d'EPI-PHARE avait, dès novembre 2021, avait conclu en la confirmation "de l'existence d’un risque de myocardite et péricardite dans les sept jours suivant une vaccination contre la Covid-19 avec un vaccin ARNm (Pfizer BioNTech et Moderna) chez les personnes âgées de 12 à 50 ans, particulièrement les jeunes de moins de 30 ans". Elle notait également que "ce risque est plus élevé avec le vaccin Moderna. Cependant, le nombre de cas attribuables aux vaccins apparaît peu fréquent au regard du nombre de doses administrées", et "confirm[ait] également l'évolution clinique favorable des cas de myocardite et de péricardite suite à la vaccination".Ces recherches avaient d'ailleurs été prises en compte par les autorités sanitaires françaises, comme l'a souligné Mahmoud Zureik. Début novembre 2021, la Haute Autorité de Santé avait en effet publié un communiqué précisant que "dans l'attente de données complémentaires sur le risque de myocardites et (...) compte tenu de l'insuffisance de recul sur le risque de myocardites avec le vaccin Spikevax [celui de Moderna, NDLR] la HAS recommande, pour la population âgée de moins de 30 ans et dès lors qu'il est disponible, le recours au vaccin Comirnaty [de Pfizer-BioNTech, NDLR]".En effet, les myocardites et péricardites survenues après la vaccination sont surveillées par les autorités sanitaires depuis l'ouverture de la campagne de vaccination anti-Covid à toute la population en France."C'est quelque chose qui est très connu, et qui était même déjà surveillé avant le Covid. Les causes des myocardites sont essentiellement représentées par les virus : neuf fois sur dix, une myocardite est causée par un virus. Dans les autres cas possibles, il peut y avoir des médicaments, il y a cinq grandes classes de médicaments qui peuvent donner des myocardites, dont les vaccins", développe Mathieu Kerneis.Il souligne par ailleurs que dès le printemps 2021, des premières recherches ont été publiées au sujet de la surveillance des myocardites et des péricardites survenues post-vaccination anti-Covid. Les autorités sanitaires américaines avaient ainsi dès avril 2021 indiqué suivre avec attention des signalements de cas de myocardites rapportés via le système de pharmacovigilance. Les données sont depuis continuellement surveillées par des chercheurs du monde entier. EPI-PHARE a par exemple publié une seconde étude à ce sujet, en avril 2021, et en prépare une troisième, selon son directeur. Des fioles de vaccin anti-Covid au centre de vaccination de Sonthofen, dans le sud de l'Allemagne, le 30 novembre 2021 ( AFP / Christof STACHE)Il est donc trompeur de présenter la publication de l'étude de juin 2022 dans le Lancet comme un "coup de théâtre", pour les spécialistes interrogés par l'AFP. "Cette dernière étude en date ne vient finalement que confirmer des choses qu'on savait déjà depuis un certain temps. Tout est sur place publique, tout est transparent : on sait déjà qu'il y a une relation entre la myocardite et la vaccination, on n'a jamais dit le contraire, et que le risque est faible", précise Mahmoud Zureik."Ce n'est absolument pas une nouveauté. C'est surveillé quasiment depuis le début puisque c'est un effet secondaire qui est connu des vaccins, on ne l'a pas découvert à cette occasion-là. Il y a eu rapidement des remontées, qui ont permis de mettre en place un système de pharmacovigilance via lequel les cas sont rapportés", confirme Mathieu Kerneis.Les deux chercheurs rappellent aussi que les myocardites répertoriées après la vaccination ne sont pas considérées comme "graves", les patients quittant généralement l'hôpital quelques jours après y avoir été admis.En outre, Mathieu Kerneis précise qu'il convient de "mettre au regard" les myocardites signalées après la vaccination anti-Covid et celles signalées des suites d'une infection au Covid-19, citant notamment une étude réalisée par des chercheurs israéliens et publiée en septembre 2021 dans la revue The New England Journal of Medicine. Dans cette dernière, les chercheurs ont évalué à 3 pou 100.000 le nombre de cas de myocardites signalés après une vaccination avec le vaccin de Pfizer, tandis qu'il s'élevait à 11 pour 100.000 après une infection au Covid-19. "Tout ça ne doit pas être un frein à la vaccination, au contraire", estime-t-il.Depuis le début de la pandémie de Covid-19, de nombreuses études ou publications scientifiques font l'objet d'interprétations trompeuses sur les réseaux sociaux. En mai 2020, l'AFP avait rappelé quelques repères pour s'y retrouver dans un article. L'AFP a réalisé plus de 770 articles de vérification en français liés au Covid-19 depuis le début de la pandémie, au 23 juin 2022.
(fr)
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