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Les humains ne peuvent pas digérer la chitine, un composé présent dans les carapaces des insectes qui ne sont "pas un aliment pour les mammifères", affirment des publications partagées des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Attention: les insectes sont consommés par de nombreux mammifères, et bien que certaines parties ne soient pas digestibles, cela ne démontre pas forcément leur dangerosité pour les humains, soulignent des experts à l'AFP."Les insectes contiennent de la chitine qui ne peut pas être traitée par nos intestins," peut-on lire sur une publication Facebook datée du 8 août 2022 et partagée plus de 9.700 fois. Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 16/08/2022"Mais la chitine est un polysaccharide très appétissant pour le cancer, les parasites, les champignons et à peu près tout ce qui cause des maladies", peut-on encore lire. "La chitine fait partie de sa construction. Ils contiennent également des stéroïdes métamorphiques, en particulier l'ecdystérone. Ce n'est pas un aliment pour les mammifères. Seuls les oiseaux peuvent traiter en toute sécurité la nourriture des insectes. Le système digestif des oiseaux est complètement différent du nôtre"."Maintenant vous savez pourquoi ils veulent que nous mangions des insectes", conclut la publication.Il s'agit vraisemblablement de la traduction d'une publication similaire relayée en juillet en anglais et vérifiée par l'AFP.Ces affirmations circulent dans le sillage de théories suggérant que des "élites mondiales" voudraient forcer la population à manger des insectes. Le Forum économique mondial, souvent ciblé par de fausses affirmations, a notamment fait la promotion des insectes comestibles comme manière de réduire la consommation de ressources du secteur agricole.Les insectes sont consommés par les humains depuis des millénaires, y compris en Occident, et sont encore consommés dans certaines cultures.Bien que de potentiels risques sanitaires liés à la consommation d'insectes existent, le texte partagé sur les réseaux sociaux contient plusieurs affirmations inexactes, selon les spécialistes interrogés par l'AFP. Digestion de la chitineLa chitine est est le second biopolymère le plus abondant sur Terre après la cellulose. On en trouve dans les carapaces des insectes, mais aussi dans les crustacés, les champignons, les bactéries, les levures et les algues, et elle peut être utilisée comme engrais, comme additif alimentaire ou à des fins médicales.Mareike Janiak, auteure d'un article scientifique sur les gènes des chitinases (les enzymes dégradant la chitine) publié en 2018 dans Molecular Biology and Evolution, a expliqué à l'AFP que même si la chitine n'était pas intégralement digestible, cela ne la rendait pas pour autant dangereuse pour la santé."Les biologistes ont longtemps pensé que les mammifères ne produisaient pas d'enzyme capable de décomposer la chitine, mais cela ne signifie pas qu'un insecte ne peut pas être traité par l'intestin", a-t-elle souligné dans un courriel en août 2022.Selon elle, la chitine s'apparente à la cellulose qui compose la paroi cellulaire de nombreuses plantes mais que le corps humain ne peut dégrader faute d'enzyme adéquate."Nous mangeons tout de même des aliments comme le céleri, et c'est sain pour nous", met en avant Mme Janiak.Bien que certaines parties des légumes ne soient pas digestibles, les fibres insolubles qu'ils contiennent sont néanmoins bénéfiques."Nos intestins extraient les nutriments des végétaux et évacuent les fibres indigestibles, ce qui permet de faire circuler les aliments dans notre tube digestif et d'obtenir des selles saines", ajoute-t-elle. "Un manque de fibres insolubles peut provoquer la constipation, par exemple."Les travaux de Mme Janiak ont montré que les primates - l'ordre des mammifères auquel appartient l'humain -, tout comme les souris et les chauves-souris insectivores, pourraient bénéficier d'une enzyme spécifique leur permettant de digérer la chitine contenue dans les exosquelettes des insectes, leur conférant d'importants apports nutritifs."Pendant longtemps, nous pensions que la chitine était comme la cellulose pour les mammifères: une fibre insoluble passant dans l'intestin pendant que l'énergie et les nutriments étaient extraits du reste de l'insecte. Cependant, la découverte de l'enzyme +acidic mammalian chitinase+ dans l'estomac des souris et des chauves-souris a remis en question cette hypothèse et suggère fortement que certains mammifères peuvent effectivement digérer la chitine", selon elle."Les humains, comme de nombreux autres primates, possèdent un gène fonctionnel pour cette enzyme, il est donc possible que nous puissions réellement traiter la chitine dans nos intestins. Ceci dit, même si nous ne le pouvions pas, la chitine passerait simplement à travers notre organisme, tout comme la cellulose du céleri et d'autres légumes", a-t-elle assuré.Une revue de la littérature publiée en 2021 dans le Journal of Functional foods indique de son côté que "la chitine contient 90,6 % des fibres alimentaires totales et peut être définie comme un composant alimentaire fonctionnel apportant des avantages particuliers aux aliments, par exemple en contribuant à la santé du côlon, des artères coronaires et à la réduction du cholestérol, entre autres."EcdystéroneSelon la publication, les insectes contiennent des "stéroïdes métamorphiques, en particulier l'ecdystérone". Les ecdystéroïdes sont les hormones stéroïdes des arthropodes, chez lesquels ils régulent la mue, la métamorphose et la reproduction. L'ecdystérone peut être utilisée pour améliorer les performances sportives et des recherches ont montré qu'elle inhibait la croissance de cellules cancéreuses.Pour Dominique Bureau, professeur au département des biosciences animales de l'Université de Guelph, au Canada, il est trompeur de dire que ces molécules sont forcément nocives car "pratiquement tous les tissus ou aliments issus des animaux contiennent des quantités d'hormones stéroïdiennes"."Le lait, la viande, le foie, etc. contiennent tous des hormones. Les aliments d'origine végétale, comme de nombreux oléagineux et légumineuses, contiendront des précurseurs d'hormones stéroïdes (par exemple des phytoestrogènes comme les isoflavones dans les produits à base de soja)", a-t-il indiqué à l'AFP dans un courriel en août 2022.René Lafont, professeur à l'Institut de biologie Paris-Seine de l'Université Sorbonne, fait de son côté valoir que si "ces molécules sont effectivement présentes en petite quantité chez les insectes" elles le sont "en quantité bien plus importante chez des plantes (phytoecdystéroïdes) - dans certaines que nous consommons (épinards, quinoa) et qui représentent dans ce cas des quantités d’ecdystéroïdes bien plus importantes.""Ces composés ne sont pas toxiques pour l’homme et possèdent même des propriétés anabolisantes et antidiabétiques intéressantes", a-t-il souligné dans un courriel à l'AFP en août 2022.Affirmer que les insectes ne sont "pas un aliment pour les mammifères" est "catégoriquement faux", renchérit de son côté Mareike Janiak.Des mammifères comme les fourmiliers, les musaraignes et les tatous mangent tous des insectes, certains presque exclusivement, explique-t-elle.De plus, "de nombreux primates mangent des insectes, y compris de nombreux petits singes (singes capucins, singes écureuils, tamarins...), des tarsiers, mais aussi des chimpanzés, l'espèce la plus proche de la nôtre". Nutrition et risques sanitairesUne étude publiée en 2020 dans le NFS Journal a conclu que la qualité nutritionnelle des insectes comestibles est "équivalente et parfois supérieure à celle des aliments d'origine animale.""Ceci et le fait que les insectes comestibles ont un taux de croissance plus rapide, une efficacité de conversion alimentaire élevée et nécessitent moins de ressources pour être élevés par rapport au bétail, devraient en faire une source de nourriture de qualité plus attrayante, en particulier pour les populations rurales pauvres des pays en développement", selon l'étude.Elle note toutefois que si la consommation d'insectes peut être considérée comme sûre dans les pays où l'entomophagie - la consommation d'insectes par l'être humain - est pratiquée, "ce n'est pas le cas dans la plupart des pays développés où la plupart des consommateurs se préoccupent de leur sécurité et hésitent donc à les inclure dans leur régime alimentaire.""La littérature scientifique sur les aspects sanitaires des insectes comestibles est limitée. Il est donc nécessaire de mener davantage de recherches visant à comprendre les risques liés à leur consommation afin de préserver la santé des consommateurs", conclut l'étude.La consommation d'insectes est présentée comme un moyen d'accroître l'approvisionnement alimentaire de manière durable dans un contexte de réchauffement climatique. Un récent rapport de la FAO, l'agence onusienne chargée de l'alimentation et de l'agriculture, rappelle toutefois que des efforts doivent être faits pour garantir de bonnes conditions sanitaires dans la production et la consommation d'insectes comestibles.Le rapport précise que les risques peuvent être plus élevés dans le cas d'insectes sauvages et consommés crus, et que les personnes allergiques aux crustacés ne devraient pas consommer certains insectes.Un article du célèbre guide gastronomique Michelin, recommande quant à lui de se renseigner sur l'origine des insectes et de bien les cuire avant de les consommer, comme pour tout autre aliment.Au Canada, l'Agence nationale d'inspection des aliments indique pour sa part qu'elle surveille les insectes comestibles afin de détecter les pesticides et métaux lourds, les agents pathogènes et d'autres potentiels risques sanitaires.
(fr)
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