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  • 2022-05-24 (xsd:date)
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  • Une poudre radioactive ajoutée à des pâtes ? Attention, cette expérience ne prouve rien (fr)
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  • L'auteur d'une vidéo partagée plus d'un millier de fois depuis fin mars prétend prouver, à l'aide d'un compteur Geiger-Müller en kit, que des pâtes Panzani sont radioactives. La vidéo est accompagnée d'un prétendu témoignage affirmant que des employés de la marque française se sont vu demander d'ajouter "une poudre" issue "de bidons non marqués et sans labels" à la recette des pâtes et de revêtir "des gants et des masques spéciaux imperméables aux radiations". Mais des experts de la radioactivité ont expliqué à l'AFP que l'expérience réalisée dans cette vidéo ne prouve rien. Par ailleurs, un syndicat présent dans ces usines et la DGCCRF ont expliqué n'avoir rien recensé de tel."Un de mes amis qui travaille à l’usine Panzani m’a dit quelque chose d’inquiétant que j’ai vérifié !", alerte cette publication, partagée plus de 600 fois depuis le 30 mars 2022. "Il dit que la recette a depuis peu changé, en effet ils doivent rajouter à la recette un composé sous forme de poudre de bidons non marqués et sans labels, (...) les seules instructions pour cette nouvelle recette était de mettre des gants et des masques spéciaux imperméables.. aux radiations". Ce prétendu témoignage est accompagné d'une vidéo, dans laquelle on voit une personne manipuler un paquet de coquillettes de la marque française. Lorsque la personne approche du paquet un compteur Geiger-Müller, qui permet de mesurer le taux de radioactivité environnant, et celui-ci se met à crépiter. "J’ai demandé à un de mes amis qui a un compteur Geiger en kit de me le prêter pour faire le test et il s’affole !!! Il faut arrêter de manger ces pâtes de tout urgence", conclut la publication. Capture d'écran réalisée le 23/05/2022 sur FacebookCette vidéo, accompagnée de textes similaires, a été relayée plus d'un millier de fois depuis fin mars sur Facebook (1,2), Twitter, VK, Telegram, ainsi que sur des sites web.Elle est partagée dans un contexte de scandales sanitaires en Europe. Le 22 mars, le parquet de Paris a ainsi ouvert une enquête après la contamination à la bactérie E.Coli de plusieurs clients ayant consommé des pizzas de la marque Buitoni (Nestlé). Les investigations ont été confiées à un juge d'instruction mi-mai. Ces contaminations sont soupçonnées d'avoir causé la mort de deux enfants et l'hospitalisation de plusieurs autres.  Puis, début avril,  à l'approche des fêtes de Pâques, le géant italien de la confiserie Ferrero a procédé au rappel de tous les produits fabriqués dans son usine d'Arlon, en Belgique, après le signalement de dizaines de cas de salmonellose possiblement liés à la consommation de ses produits chocolatés dans plusieurs pays d'Europe. L'usine est depuis fermée. Dans les commentaires de cette vidéo, des internautes accusent les autorités ou la marque de vouloir les "empoisonner". Captures d'écran réalisées le 24/05/2022 sur FacebookNéanmoins, la vidéo partagée dans les publications que nous vérifions ne prouve pas que ces pâtes sont radioactives, ont expliqué plusieurs experts à l'AFP. Le compteur utilisé dans la vidéo n'est pas précis et mal utilisé et le crépitement entendu ne dit rien sur une radioactivité anormale autour du paquet, ont précisé les experts.Nous avons reproduit l'expérience avec des scientifiques de l'Agence fédérale de contrôle du nucléaire belge: le compteur Geiger-Müller n'a montré aucune trace de radioactivité anormale dans des pâtes de la même marque. Un délégué syndical et la DGCCRF, contactés par l'AFP, n'ont fait état d'aucun signalement. La marque a pour sa part démenti les affirmations des publications que nous vérifions.Dans les commentaires des publications, d'autres internautes font d'ailleurs part de leurs doutes : Capture d'écran réalisée le 24/05/2022 sur FacebookUn compteur mal utilisé et une expérience qui ne prend pas en compte la radioactivité naturelle et les éléments perturbateurs extérieursLes publications que nous vérifions évoquent l'utilisation d'un "compteur Geiger en kit". On peut en effet retrouver des modèles similaires à celui de la vidéo sur des sites de vente en ligne, ici ou ici par exemple.Comme l'explique le site du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), un compteur Geiger-Müller permet "d’indiquer la présence et de quantifier les rayonnements ionisants émis par une source radioactive. Il permet de déterminer l’intensité d’une source, sans distinction du type de rayonnement ni de leur impact biologique". Le compteur Geiger-Müller permet, comme l'explique la vidéo d'illustration, de s'assurer que "les mesures de radioactivité sont conformes aux normes à respecter". Dans la vidéo du CEA, on entend les compteurs crépiter lorsque la mesure est prise, à l'instar du compteur utilisé dans la vidéo que nous vérifions. On voit également que le compteur est relié à un autre appareil: un dosimètre, ce qui n'est pas le cas dans les publications que nous vérifions."La surveillance de l’exposition externe peut-être réalisée par deux dispositifs complémentaires portés simultanément par les personnels susceptibles d’être exposés : les dosimètres", précise le CEA.L'AFP a soumis cette vidéo à plusieurs experts. Tous ont pointé son manque de précision et l'impossibilité d'en tirer une quelconque conclusion."Il y a beaucoup de façons de fausser délibérément une telle 'expérience' dans une vidéo pareille, notamment en prenant des matières avec une radioactivité naturelle accrue - comme certains matériaux de construction ou des minerais - qui font réagir un compteur Geiger. Impossible pour nous de juger si c’est le cas ici", a ainsi commenté Geert Biermans, expert à l'Agence fédérale de contrôle du nucléaire (AFCN) belge, interrogé le 27 avril 2022 par l'AFP.Radioactivité naturelle  "C'est de l'artisanat", a estimé le professeur Michel Bourguignon, ancien commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). "En regardant la vidéo on se dit: 'ça fait du bruit donc c'est radioactif, donc ça fait peur'. En réalité, ce crépitement n'est pas très fort: ça ressemble beaucoup à de la radioactivité naturelle. S'il y avait vraiment un taux important de radioactivité, il saturerait l'appareil et le bruit serait plus fort", a expliqué le professeur émérite à l'AFP le 23 avril 2022.Selon Michel Bourguignon, le compteur Geiger utilisé dans cette vidéo crépite à cause de la radioactivité naturelle ambiante. Celle-ci est présente dans l'air, l'eau, les aliments et dans notre organisme. L'exposition à la radioactivité naturelle varie en fonction de plusieurs facteurs comme la nature des sols, l'altitude, ou la pluie."On vit avec cette radioactivité naturelle, qu'on qualifie de 'bruit de fond'", a expliqué à l'AFP le 6 mai Carole Viallesoubranne, cheffe du Service de protection contre les rayonnements ionisants au centre CEA de Marcoule (Gard)."Quand vous mettez un appareil de mesure en fonctionnement, il crépite à cause de cette radioactivité naturelle".Tout aliment, y compris des pâtes, contient un peu de radioactivité naturelle, rappelle l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur son site: "Tous nos aliments sont un peu radioactifs, car ils contiennent des éléments comme du carbone 14 et du potassium 40 en faible quantité". Ainsi, les bananes sont suffisamment radioactives pour être détectées par les portiques de sécurité aux Etats-Unis.En Belgique, l'Agence fédérale de contrôle du nucléaire (AFCN) surveille l'exposition moyenne des habitants aux rayonnements ionisants: en 2015, elle était de 4 millisievert (msv)/an. Comme l'AFCN l'explique sur son site, "cette estimation intègre les différentes sources de radioactivité naturelle et artificielle: cosmos, rayonnement terrestre, exposition interne résultant de l'inhalation de radionucléides naturels, exposition interne résultant de l'ingestion de radionucléides naturels, applications industrielles, applications médicales". En France, l'IRSN estime qu"une personne reçoit en moyenne 4,5 millisieverts par an (mSv/an)". "Près des deux tiers de l’exposition sont liés à des sources naturelles et plus d’un tiers aux examens médicaux dont bénéficie la population française", précise l'Institut.Des éléments extérieurs susceptibles de perturber le compteur "Le compteur Geiger utilisé dans cette vidéo est un modèle 'fait maison', construit à partir d’un kit qu’on peut trouver sur internet (parfois déjà assemblé). C'est un outil peu fiable non-calibré qui est typiquement très sensible aux phénomènes qui pourraient perturber une mesure, tels que l’électricité statique ou l’interférence électronique, car la sonde de mesure s’y trouve exposée sans barrière pour éliminer les mesures faux-positives", a expliqué Geert Biermans. La sonde de mesure est ce tuyau noir, entouré en jaune sur la capture d'écran ci-dessous. Capture d'écran réalisée le 24/05/2022 sur FacebookDans cette vidéo,"il y a un fort soupçon d’électricité statique qui peut perturber le compteur", a estimé l'expert. L'électricité statique est celle que l’on ressent lorsque l'on frotte des surfaces comme un pull en laine, un ballon ou un tapis, puis qu'on touche un objet ou une personne."Les pâtes sont emballées en plastique, ce qui constitue une surface idéale pour ce genre de phénomène", a poursuivi Geert Biermans. "Surtout si l’on place le paquet sur une surface isolante comme le verre. La charge électrique statique sur le plastique cherche le chemin le plus court, et saute vers le compteur à travers l’air. Un compteur Geiger fonctionne justement par des charges électriques, et donc dans ce cas des faux 'clics' sont audibles qui ne sont pas dus à la radioactivité". Un autre facteur qui pourrait perturber le compteur est l'ordinateur que l'on aperçoit derrière le paquet de coquillettes à 0'21 dans la vidéo et qui pourrait également créer "de fausses détections dans les circuits électroniques du compteur", selon Geert Biermans, qui explique qu'il est "impossible de dire avec certitude la raison exacte d'un tel signal du compteur". Par ailleurs, un compteur Geiger doit être étalonné pour fonctionner correctement, ont expliqué à l'AFP Carole Viallesoubranne et Nathalie Corselle, experte en méthodes et mesures au centre CEA de Marcoule: "Quand vous achetez un appareil de mesure, celui-ci est étalonné en usine et c'est à la personne qui l'utilise de vérifier son étalonnage avant de l'utiliser grâce à une source radioactive de référence. Un compteur Geiger peut facilement être déréglé". Pour utiliser correctement un compteur Geiger, il faut d'abord l'étalonner sur une source dont on connait le niveau de radioactivité, a poursuivi Nathalie Corselle : "Un crépitement, ça veut tout et rien dire". La même expérience avec un compteur professionnel ne donne aucun signal de radioactivité anormaleOutre le fait qu'un compteur Geiger sans cadran, tel que celui utilisé dans la vidéo, ne donne aucun taux précis de radioactivité, tout compteur Geiger-Müller, même professionnel, ne peut évaluer seul la dangerosité d'un niveau de radioactivité, a ajouté Geert Biermans: "En fait, un compteur Geiger ne mesure que le nombre de particules radioactives dans l’air, sans faire la distinction du type de radionucléide (atome radioactif, ndlr). La plupart du temps, les particules qu’on mesure comme 'bruit de fond' sont le potassium-40, un isotope de potassium naturel qui est très abondant, puisque les atomes de potassium se trouvent partout, y compris notre propre corps"."Le risque radiologique ne se mesure d’ailleurs pas dans le nombre de particules", a ajouté Geert Biermans, "mais dans leur énergie et le type de rayonnement, et donc la dose qui en résulte. Un compteur Geiger n’est pas capable de mesurer l’énergie des particules, et ne dit donc rien sur la dose". Le 18 mai, Geert Biermans a reproduit l'expérience partagée dans ces publications sur un paquet de pâtes Panzani de la même composition que celles de notre vidéo (100% semoule de blé dur), à l'aide d'un compteur Geiger professionnel, calibré et imperméable à la plupart des perturbations ambiantes comme l'électricité statique, et a envoyé la vidéo à l'AFP. Contrairement à celui utilisé dans les images que nous vérifions, le compteur Geiger-Müller utilisé par Geert Biermans dans cette vidéo, publiée sur la chaîne Youtube de l'AFCN, dispose d'un cadran, permettant de mesurer plus précisément le nombre de particules radioactives dans l’air. Geert Biermans laisse le compteur loin du paquet durant quelques instant, afin de mesurer la radioactivité ambiante. Celle-ci fait crépiter le compteur, qui affiche une valeur entre 3 et 5 "coups par seconde" (counts per second), une valeur normale, ont expliqué les experts de l'AFCN à l'AFP. "Ce serait bizarre qu'il ne fasse aucun bruit", a commenté Geert Biermans.Une fois approché du paquet de pâtes Panzani, le compteur continue de crépiter de la même façon et les valeurs ne changent pas après plusieurs secondes d'attente; ce qui montre, conclut Geert Biermans, qu'il "n'y a pas de radioactivité ajoutée aux pâtes". L'AFP s'est rendue le 19 mai 2022 au siège de l'AFCN afin de reproduire l'expérience avec plusieurs experts de la radioactivité, à l'aide cette fois d'un compteur Geiger et d'un dosimètre. Ce dernier n'a détecté aucun taux de radioactivité anormal ou dangereux autour du paquet de pâtes.Panzani dément, pas de signalement relevé par la DGCCRF et un délégué syndicalContactée le 3 mai 2022 à propos de cette vidéo, la marque Panzani a démenti que des employés se soient vu demander de revêtir des gants et des masques "imperméables aux radiations" ou qu'une "poudre" issue "de bidons non marqués et sans label" ait été ajoutée à la recette."Nous avons connaissance de cette fake news qui circule sur certains réseaux sociaux et nous suivons son évolution. Les pâtes de semoule de blé Panzani sont faites uniquement avec de la semoule de blé et ce depuis toujours et Panzani n’achète que des blés français", a déclaré Thierry Maillard, directeur qualité de Panzani, le 3 mai 2022, qualifiant l'accusation d'ajout d'une "poudre" de "fantaisiste voire diffamatoire." "Bien sûr, nous nous réservons le droit de poursuivre juridiquement ceux qui relaieraient cette fake news, si cela devait prendre plus d’ampleur", a-t-il ajouté.La marque a également réagi sur son compte Twitter le 29 mars 2022, rappelant: "Au cas où vous vous posez la question, les pâtes Panzani sont faites avec du blé français, de l’eau et c’est tout !". Le 23 mai, l'AFP a également contacté Florent Picano, délégué syndical central FO chez Panzani, qui a qualifié ce témoignage de "fantaisiste". Enfin, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) a déclaré le 29 avril n'avoir reçu aucun signalement à propos d'un quelconque changement de la recette de ces pâtes. (fr)
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