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Plusieurs centaines d'internautes ont récemment relayé une publication datée de 2015 et partagée plus de 97.000 fois depuis, selon laquelle l’ancienne Première ministre australienne Julia Gillard aurait invité "les musulmans qui veulent vivre sous la charia islamique" à quitter le pays. Cette publication affirme qu’elle aurait appelé les immigrants à "s'adapter" à la culture chrétienne de l'Australie et à son mode de vie, ou à la quitter. En réalité, Julia Gillard n'a pas tenu ces propos, inspirés de ceux d'un ancien ministre et d'un vétéran américain."LES IMMIGRANTS DOIVENT S'ADAPTER. C'est à prendre ou à laisser". C'est ainsi que commence ce prétendu discours de l'ancienne Première ministre Julia Gillard (2010-2013), relayé dans cette publication qui affirme en introduction que "les musulmans qui veulent vivre sous la charia islamique ont été priés de quitter l'Australie". Capture d'écran réalisée sur Facebook le 22/10/2020Cette publication a été partagée plus de 97.000 fois depuis le 29 août 2015. Elle circule de nouveau depuis septembre 2020 dans au moins 200 publications en français, selon l'outil d’analyse Crowdtangle. Capture d'écran réalisée sur Crowdtangle le 21/10/2020Pourtant, l'AFP n'a retrouvé aucune trace d’un tel discours de Julia Gillard, qui n'est d'ailleurs plus à la tête du gouvernement australien depuis 2013.Si celle-ci a bien tenu des propos encourageant les immigrants à apprendre l'anglais et à respecter la culture australienne en 2010 et en 2012, ceux-ci ne faisaient pas référence directement aux musulmans. Certains propos cités dans la publication ont été prononcés par d'autres personnes, parmi lesquelles un ancien ministre australien et un élu et vétéran américain. L'attribution de ce discours à Julia Gillard circule depuis au moins novembre 2013 sur Facebook et janvier 2012 sur Internet, dans sa version française. Le même discours a également été attribué par les internautes à un autre Premier ministre australien, John Howard (1996 - 2007) et même à Donald Trump, comme l’a déjà vérifié l’AFP dans d’autres langues. Aucune trace de ce discours de Julia GillardCette publication circule depuis au moins octobre 2010 en anglais. La première trouvée par l'AFP dans cette langue ne mentionnait pas Julia Gillard, mais l’Australie en général. Ces publications sont de nouveaux partagées depuis quelques mois : celle-ci l’a été plus de 34.000 fois depuis le 7 juin 2020. Membre du Parti travailliste, Julia Gillard a été Première ministre de l'Australie entre 2010 et 2013. En tapant les mots-clés "Julia Gillard", "immigration" et "musulman", en anglais sur Google, entre 2010 et 2013, on ne trouve aucune source fiable relayant un tel discours selon lequel "les immigrants doivent s’adapter, c’est à prendre ou à laisser". Le 6 juillet 2010, lors d'un discours sur l'immigration tenu à l'Institut Lowy retranscrit sur le site du Parlement australien, la Première ministre affirmait son intention de lutter contre l'immigration illégale et avait notamment évoqué la possible création d'un centre de rétention pour les "boat people" (les migrants arrivant par bateaux) au Timor-Oriental. A la fin de ce discours, Julia Gillard avait déclaré : "Je crois les Australiens prêts à accepter les véritables réfugiés, mais ils attendent également d’eux qu’ils apprennent les règles qui régissent notre vie et qu'ils les respectent. Cela signifie que lorsque de nouveaux arrivants s'installent dans notre communauté, ils acceptent leur responsabilité de membres de la communauté - apprendre l'anglais, trouver un emploi et envoyer leurs enfants à l'école, comme tout le monde". Cependant, dans ce discours, la Première ministre n'avait fait aucune allusion directe aux musulmans, à l’islam, à la culture chrétienne ou aux religions. Le 19 septembre 2012, lors de la première conférence du Conseil multiculturel australien, qui conseille le gouvernement sur des sujets tels que la cohésion sociale et l'intégration, Julia Gillard avait défini le multiculturalisme comme un "un rendez-vous entre des droits et des responsabilités, où le droit de conserver ses coutumes, sa langue et sa religion est équilibré par l’égale responsabilité d'apprendre l'anglais, de trouver du travail, de respecter notre culture et notre héritage et d'accepter les femmes comme des égales".Dans ce même discours, qui faisait suite à des manifestations violentes d’une partie de la communauté musulmane à Sydney pour protester contre un film se moquant de l'islam, la Première ministre avait déclaré : "Ce que nous avons vu à Sydney ce week-end n'était pas du multiculturalisme mais de l'extrémisme. (...) Notre réussite multiculturelle est trop précieuse pour être remise en cause par les actions irresponsables de certains". Elle n'avait cependant pas appelé ceux qui ne respectent pas les valeurs australiennes à "quitter le pays" et n'avait pas évoqué le christianisme. Quant au soutien qu’elle aurait apporté aux "agences d'espionnage qui surveillent les mosquées", comme le prétend cette publication, l'AFP n'a trouvé aucune trace d'une telle déclaration de l'ex-Première ministre. Comme le rapportait le New York Times le 24 août 2005, c'est l’un de ses prédécesseurs, le Premier ministre John Howard (1996-2007), qui s'était dit favorable à la surveillance des mosquées afin de prévenir les attentats terroristes. Des propos inspirés d'un ancien ministre et d'un vétéran américainCette publication affirme en introduction que "les musulmans qui veulent vivre sous la charia islamique ont été priés de quitter l'Australie", attribuant cette décision à Julia Gillard.L'AFP n'a trouvé aucune déclaration de Julia Gillard mentionnant la "charia". Cependant, en tapant des mots-clés en anglais dans un moteur de recherche, on retrouve des propos similaires tenus par l'ancien ministre des Finances Peter Costello (1996-2007) dans une interview avec la radio sydnéenne 2UE, publiée sur le blog du ministre le 23 août 2005.Peter Costello déclarait alors : "Si vous n'aimez pas (nos) valeurs et si vous préférez une société dans laquelle la charia est appliquée et qui est une théocratie, eh bien certaines sociétés sont ainsi dans le monde, mais l'Australie n'est pas l'une d'entre elles, et vous seriez peut-être plus heureux dans un autre pays". Des propos réitérés en 2006 lors d'un discours à l'Institut de Sydney et relayés par le Sydney Morning Herald. "Quelqu'un qui croit que la loi de la charia islamique peut coexister avec les lois australiennes devrait déménager dans un pays dans lequel il se sent mieux", avait alors déclaré le ministre des Finances.A l'époque, Julia Gillard n'était pas encore Première ministre.Quant au reste du prétendu discours, il est en grande partie inspiré d'un édito du vétéran américain et élu républicain à la Chambre des représentants Barry Loudermilk, publié peu après les attaques contre le World Trade Center le 11 septembre 2001, comme l’expliquait déjà l’AFP dans un précédent article.Dans ce texte intitulé "L'Amérique : Aimez-la ou quittez-la", Barry Loudermilk écrivait : "Je suis fatigué de cette nation qui s'inquiète de savoir si nous offensons certains individus ou leur culture. (...) En tant qu'Américains nous avons notre propre culture, notre propre société, notre propre langage et notre propre style de vie. Cette culture, que l’on appelle l’"American Way", s'est développée durant des siècles de batailles, de procès et de victoires par des millions d'hommes et de femmes qui ont cherché la liberté (...). Nous parlons anglais, et non espagnol, arabe, chinois, japonais, russe ou d'autres langues. Donc si vous souhaitez faire partie de notre société, apprenez notre langue !" Ces écrits ressemblent de près à certains passages du prétendu discours de Julia Gillard. Barry Loudermilk poursuivait : "'In God We trust' est notre devise nationale (...) nous avons adopté cette devise car des hommes et des femmes chrétiens ont fondé cette nation sur des principes chrétiens ; et ceci est documenté clairement au travers de notre histoire. S’il est approprié que notre devise soit inscrite dans les salles de notre plus haut niveau de gouvernement, alors il est certainement approprié de l’afficher sur les murs de nos écoles." Ce paragraphe a là encore largement inspiré l'auteur de ces publications Facebook.Des publications comparables avaient déjà été vérifiées par d'autres sites de fact-checking, par exemple nos confrères de Snopes. D'après eux, ce discours circulait dans des chaînes d'e-mails dès 2005 - plusieurs années avant que Julia Gillard ne devienne la Première ministre australienne. Depuis 2013, l’Australie mène une politique migratoire très restrictive menée par les conservateurs, qui consiste à repousser systématiquement les bateaux de migrants tentant de gagner les côtes. En février 2019, le Premier ministre Scott Morrison a autorisé la réouverture d’un camp de rétention pour migrants sur une île à plus de 2 000 kilomètres de ses côtes. Ce camp avait fermé en octobre 2018 après avoir été le théâtre d’émeutes, de suicides et d’actes d’automutilation.
(fr)
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