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C'est une infox qui circule depuis novembre 2019 sur Facebook et qui a émergé à nouveau en septembre 2020 : des publications partagées plusieurs milliers de fois prétendent montrer trois hommes victimes de trafic d'organes en Libye. C’est (toujours) faux, cette photo a été prise dans un autre pays et dans un autre contexte. Contactés par l'AFP, le photographe à l'origine du cliché et les deux réalisatrices qui ont rencontré les trois hommes pour un documentaire expliquent que ces Erythréens ont en réalité été torturés dans le Sinaï, en Egypte, et que les sévices qu'ils ont subis n’ont aucun lien avec un trafic d'organes. "Face aux regards désintéressés des Etats Africains, la Libye a réussi à créer son laboratoire de trafic d'organes de migrants", affirment plusieurs publications (1, 2, 3) cumulant plus de 400 partages sur Facebook depuis le 16 septembre. Cette infox circule au moins depuis novembre 2019 sur Facebook : elle avait été partagée plusieurs milliers de fois en français (1, 2, 3) et en anglais (1, 2, 3) à l'époque. Elle a ré-émergé depuis le 16 septembre, notamment partagée par ONG Lisad, qui se présente sur sa page Facebook comme une organisation visant à lutter "contre l'immgiration illégale" et apporter "secours, assistance et développement" aux personnes victimes de trafic d'êtres humains. Capture d'écran Facebook réalisée le 23 septembre 2020Les publications partagent la même photo montrant trois jeunes hommes très maigres. De larges cicatrices barrent les côtes de deux d'entre eux. Or cette photo ne montre pas des victimes de trafic d'organes en Libye, mais des migrants érythréens torturés dans l'est de l'Egypte.En faisant une recherche inversée sur le moteur de recherche Google, l'AFP a retrouvé cette même photo dans un article des Inrockuptibles datant de 2015 et intitulé "Le prix Albert-Londres récompense un reportage sur le trafic des Erythréens dans le Sinaï". Capture d'écran d'un article sur le site des Inrockuptibles réalisée le 19 décembre 2019Comme le précise la légende qui accompagne la photo sur le site du magazine, il s'agit en réalité d'une capture d'écran issue du documentaire "Voyage en barbarie" diffusé pour la première fois en 2014 et récompensé par le prix Albert Londres en 2015.Torture dans le SinaïCe film retrace l'histoire de plusieurs Erythréens enlevés dans des camps de migrants soudanais et emmenés dans la péninsule égyptienne du Sinaï. Ils y ont été séquestrés et torturés dans le but d'extorquer en échange de l'argent à leurs familles. La photo des trois hommes apparaît à 52 minutes et 57 secondes, lorsque deux d'entre eux expliquent comment des habitants de la région se sont portés à leur secours.Contactée par l'AFP le 22 septembre, Cécile Allegra, l'une des deux réalistatrices du documentaire, confirme que "les marques sur (les corps des trois hommes, ndlr) sont en effet liées à la torture et non à un prélèvement d'organes" et précise que le cliché a été pris par le journaliste Baptiste de Cazenove. Le journaliste avait été joint par l'AFP en décembre 2019 pour une vérification de publications en anglais et avait confirmé être l'auteur de la photo. "J'ai pris ce cliché au Caire, en juin 2013, dans un appartement du quartier Ard El Lewa, un quartier populaire où vivent de nombreux réfugiés", a-t-il détaillé.Sa photographie accompagnée d'un texte de sa plume, a d'ailleurs paru dans la version imprimée du journal Libération en 2014 sous le titre "Sinaï : le désert des tortures". Capture d'écran d'un article publié dans l'édition du week-end des 11 et 12 janvier 2014 de Libération, fournie à l'AFP par Baptiste de Cazenove en décembre 2019Les hommes qu'il a pris en photo lui ont confié avoir été "pendus au plafond" et "brûlés au fer rouge ou avec du plastique fondu". L'appartement dans lequel ils se trouvaient abritait au total une dizaine de rescapés pris en charge par des travailleurs humanitaires, précise encore Baptiste de Cazenove. Parmi les trois hommes présents sur la photo, "Haleform est le plus grand, Merih le plus petit", détaille la réalisatrice Cécile Allegra. Elle explique que les deux hommes ont pu être accueillis en France "grâce à une mobilisation exceptionnelle" et qu'aujourd'hui ils y "travaillent et construisent leur vie". Le dernier homme pris en photo vit quant à lui en Egypte."Chacun (de ces jeunes) ayant droit à l'oubli, je trouve ça particulièrement dérangeant, pour ne pas dire révoltant, que leur image soit détournée", ajoute Cécile Allegra.Une infox qui refait surfaceCette infox avait déjà circulé sur les réseaux sociaux il y a quelques années. En 2017 notamment, l'homme politique nigérian Femi Fani-Kayorde avait partagé la même photo dans un tweet, supprimé depuis mais relevé par le site de vérification américain Snopes. En 2019, la photo avait été utilisée par plusieurs publications en français sur les réseaux sociaux en Afrique pour dénoncer "l’esclavage moderne" et le "trafic d’organes" en Libye.Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est plongée dans le chaos politique où deux autorités se disputent le pouvoir : le gouvernement d'union nationale (GNA), basé à Tripoli et reconnu par l'ONU, et un pouvoir incarné par le maréchal Haftar, qui règne sur l'Est et une partie du Sud et jouit du soutien du Parlement élu.En 2020, l'Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) estime que 4.500 personnes seraient détenues dans des centres de détention libyens, dont 2500 migrants et réfugiés vivant dans des conditions "très préoccupantes". Le Sinaï, une route migratoire moins priséeA partir de 2007, du fait de sa frontière poreuse, la région égyptienne du Sinaï est devenue une voie majeure de migration pour les personnes souhaitant entrer illégalement en Israël. Depuis 2014, cette route migratoire est beaucoup moins fréquentée pour deux raisons : "la surveillance accrue de la zone par les forces armées du pays dans le cadre de la lutte contre les groupes terroristes et la fermeture, pour les migrants, de la frontière israélienne", expliquait en décembre 2019 à l'AFP Fisseha Tekle, chercheur d'Amnesty International pour l'Ethiopie et l'Erythrée.Quant à l'existence d'un trafic d'organes au Sinaï, "il y avait déjà beaucoup de rumeurs (à ce sujet) en 2013, mais aucune preuve ni témoignage" dans la région à l'époque, souligne Delphine Deloget, co-réalisatrice avec Cécile Allegra du documentaire "Voyage en barbarie".Depuis cette date, les autorités égyptiennes ont démantelé un réseau international soupçonné d'avoir organisé un trafic d'organes humains, prélevés sur des Egyptiens vivant dans une extrême pauvreté, comme l'avait raconté l'AFP. En 2012, Antonio Guterres, alors patron du Haut-commissariat aux réfugiés de l'ONU (HCR), avait déclaré que certains réfugiés dans le Sinaï en Egypte avaient été tués à cause de ce trafic.
(fr)
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