?:reviewBody
|
-
Une publication partagée plus de 12.000 fois sur Facebook compare le prix du diesel à la pompe en France à celui de six autres pays : l'Egypte, le Brésil, l'Inde, le Mexique, la Tunisie et l'Ukraine. Dans un contexte de flambée des prix de l'énergie en France, elle prétend montrer l'écart considérable entre ces montants, mais s'appuie sur des chiffres erronés et dresse un parallèle entre des pays aux situations difficilement comparables, comme l'expliquent un professeur d'économie et un spécialiste des énergies à l'AFP. "Honteux", "pauvre France", "cherchez l'erreur"... Sur Facebook, un comparatif partagé plus de 12.000 fois depuis le 9 février provoque l'indignation de nombreux internautes. Et pour cause : il compare le prix du "gasoil" dans l'Hexagone à celui, nettement inférieur, prétendument en vigueur dans six autres pays. Capture d'écran prise sur Twitter le 10 février 2022A en croire ce visuel, alors que les automobilistes français roulant en diesel déboursent 1,70€/l, ce montant serait seulement de 0,14€/l en Egypte, 0,54€/l au Brésil, 0,62€/l en Inde, 0,41€/l au Mexique, 0,49€/l en Tunisie et 0,51€/l en Ukraine. Un écart de prix considérable, jugé particulièrement choquant dans ce groupe Facebook consacré au "Convoi pour la liberté", la mobilisation entamée ces derniers jours sur les routes françaises par des manifestants espérant le retrait du pass sanitaire ainsi que des mesures sur le pouvoir d'achat ou le coût de l'énergie. Si la question du coût de l'essence s'avère encore plus inflammable en pleine période de hausse des prix des carburants, cette publication virale reprend et condense en réalité un comparatif bien plus long qui circulait dès 2014 sur Facebook. Seul le prix français du carburant au litre a changé dans cette liste dressant un parallèle entre une trentaine de pays, relayée sous différentes versions au fil du temps : il passe de 1,45€/l en 2014 à 1,65€/l début février 2022 et finalement à 1,70€/l aujourd'hui. Le comparatif de prix à la pompe entre la France, l'Egypte, le Brésil, l'Inde, le Mexique, la Tunisie et l'Ukraine suscite quant à lui, dans les commentaires, des interrogations sur l'origine de ces chiffres ou sur le bien-fondé des pays choisis pour effectuer une telle comparaison. A juste titre, comme le souligne l'Union française des industries pétrolières (Ufip) à l'AFP : "Attention à la pertinence d’une telle publication qui compare des prix dans des pays qui ont des tarifs contrôlés (éventuellement subventionnés) et dans des environnements fiscaux très différents, sans mention de la période de relevé de ces prix." Des prix majoritairement non-conformes à la réalitéL'ordre de grandeur de 1,70€/l avancé par la publication pour le coût du diesel en France est conforme aux prix observés ces dernières semaines : au 4 février 2022, à la dernière date de relevé hebdomadaire recensée par l'Ufip comme par le ministère de la Transition écologique, il s'élevait à 1,68€/l. Un tour d'horizon de la carte du prix des carburants mise en ligne par le gouvernement permet en outre de constater que nombre de stations-services vendent aujourd'hui le gazole à 1,70€/l le litre. Les montants à la pompe avancés pour cinq des six autres pays cités dans le visuel sont en revanche non conformes au cours des prix actuels. Comme l'indique l'Union internationale des transports routiers (IRU) sur son site, le diesel coûtait, au 10 février, 32,99 hryvnia/l en Ukraine (1,03€/l), 22,2 pesos/l (0,95€) au Mexique et 5,64 réal/l (0,94€) au Brésil. Loin des 0,51€/l, 0,41€/l et 0,54€/l respectivement avancés pour ces trois pays dans la publication virale. Si l'IRU indique à l'AFP ne pas suivre les prix à la pompe en Egypte, en Inde et en Tunisie, ceux-ci restent accessibles en ligne. Le ministère égyptien du Pétrole et des énergies minérales a ainsi annoncé, dans un communiqué, le 4 février, une hausse généralisée des prix de l'essence, à l'exception du diesel, qui se maintient à 6,75 livres égyptiennes par litre, soit 0,38€/l, bien au-dessus des 0,14€/l évoqués dans le comparatif. En Inde, au 1er février, le diesel était vendu 86,6 roupies/l (soit 1,01€/l et non pas 0,62€/l), selon les dernières grilles tarifaires mises en ligne par les deux principales entreprises pétrolières du pays, IndianOil et Bharat Petroleum. Dans la publication virale, seul le montant de 0,49€/l avancé pour la Tunisie s'avère quasi-conforme à la réalité du prix à la pompe puisque celui du "gasoil ordinaire" s'y élevait, au 1er février 2022, à 1,65 dinar/l, soit 0,50€/l, selon le barème fixé par le ministère tunisien de l'Industrie, des mines et de l'énergie. Un comparatif non-pertinent "Ce comparatif n'a pas de sens et s'avère même problématique puisqu'il compare le prix à la pompe en France avec celui de pays où l'énergie est généralement subventionnée", explique à l'AFP François Lévêque, professeur d'économie à Mines ParisTech. "Dans nombre d'Etats dont l'économie est en développement, les tarifs d'énergie sont très bas pour permettre à la population d'en faire usage, qu'il s'agisse de l'électricité, de la bonbonne de gaz ou de l'essence. Ce sont donc les consommateurs qui sont gagnants et pas les entreprises productrices : ces situations sont tout à fait incomparables avec celle de la France", poursuit-il. C'est le cas de la Tunisie, où "les prix des produits pétroliers à la sortie de la raffinerie et à l'importation sont fixés par un arrêté conjoint du ministre chargé de l'énergie et du ministre chargé des finances", au même titre que "le prix de vente au public ainsi que les marges de gros et de détails", qui sont "fixés par une décision conjointe du ministre chargé de l'énergie et du ministre chargé du commerce", ainsi que le précise le ministère tunisien de l'Industrie, des mines et de l'énergie. Pour Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste des énergies, établir un parallèle cohérent entre des pays aussi distincts nécessiterait plutôt d'effectuer une comparaison entre le cours international du prix du diesel raffiné hors taxe (0,62€/l au 9 février selon l'Ufip) et le prix proposé à la pompe ensuite : "Il faut distinguer entre les pays exportateurs de pétrole, qui peuvent prendre une partie du prix à leur charge, ce qui revient à subventionner le prix à la pompe, et les pays importateurs, qui n'ont pas cette possibilité. L'Inde, par exemple, importe beaucoup de pétrole, donc elle ne peut pas subventionner le prix du diesel. A l'inverse, le Brésil, en tant qu'exportateur, est libre de fixer le prix qu'il souhaite car il n'est pas lié aux cours internationaux.""Les prix à la pompe inférieurs à 0,60€/l relèvent de la subvention, tandis que ceux qui y sont supérieurs relèvent du profit ou de la taxe", ajoute Thierry Bros. Ainsi, en France, les taxes (TVA + TICPE) représentent entre 50% et 60% du prix final, comme le détaille le site du ministère de l'Economie. Pour faire face à la récente flambée des prix du carburant, le gouvernement a mis en place deux mesures d'aide ces derniers mois : une prime de 100 euros, valable pour 38 millions de personnes, et une revalorisation de 10% du barème de l'indemnité kilométrique pour les ménages imposés déclarant leurs frais professionnels Reste que, selon François Lévêque, la comparaison la plus pertinente consisterait à "mettre la France en parallèle avec des pays dont le niveau de développement économique est similaire, tels que l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne ou l'Italie." De fait, comme le montre le site de l'IRU, le prix du diesel au litre de ces pays européens s'avère quasi-identique à celui de la France : 1,65€/l en Allemagne, 1,72€/l en Italie, 1,78€/l au Royaume-Uni (1,50 livre britannique/l) et 1,46€/l en Espagne.
(fr)
|