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En France comme en Belgique, il est déconseillé, voire interdit, de nourrir les animaux sauvages. Des publications partagées plusieurs milliers de fois depuis un an conseillent pourtant aux internautes de déposer leurs citrouilles d'Halloween en forêt une fois la fête passée, assurant que celles-ci sont "bonnes pour la faune sauvage". Mais, comme l'expliquent à l'AFP des associations de protection de la faune, ce mauvais conseil peut entraîner la modification des habitudes des animaux et des problèmes de cohabitation avec l'être humain, voire les intoxiquer.A l'approche de la fête d'Halloween, un texte a ressurgi sur les réseaux sociaux depuis début octobre 2022. Il suggère de ne pas jeter les citrouilles après la fête, qui a eu lieu le 31 octobre, et donne un conseil aux internautes: "Trouvez une forêt ou un champ près de chez vous et brisez les citrouilles pour que les animaux puissent se nourrir". Selon ce texte trompeur, partagé plusieurs milliers de fois, les citrouilles "sont bonnes pour la faune sauvage et les graines agissent comme un vermifuge naturel". Capture d'écran réalisée le 02/11/2022 sur FacebookLe texte est accompagné d'une photo montrant des cerfs en train de manger une citrouille.Des associations de protection des animaux, l'Office national des forêts français et le département de la Nature et des Forêts de Wallonie ont toutefois mis en garde contre ce prétendu conseil, relayé des dizaines de milliers de fois en France, en Belgique et au Canada depuis octobre 2021, et expliqué à l'AFP qu'il pouvait être dangereux pour les animaux. Le même texte a également été partagé en allemand et vérifié par l'AFP dans cette langue.Un risque de modification de l'équilibre écologique"On n'incite pas les gens à donner de la citrouille aux animaux sauvages", a déclaré le 27 octobre 2022 à l'AFP Laurence Delcourt, responsable "soin" au Centre de revalidation des espèces animales vivant à l'état sauvage (Creaves) de Namur, qui vient en aide aux animaux sauvages blessés ou en danger. "Si les animaux ont faim, ils trouveront toujours à manger".En région de Bruxelles-capitale, il est interdit de nourrir les animaux sauvages dans les réserves naturelles et forestières et dans les parcs publics. Sur son site, la commune de Seneffe (Wallonie) explique que cela "modifie les habitudes des animaux qui tombent dans la facilité et la dépendance vis-à-vis de cette source de nourriture" et bouleverse l'équilibre écologique de l'habitat: "Plus il y a de nourriture, plus il y a d’individus pour une même surface". "Le taux de reproduction des animaux est lié" à la nourriture disponible dans leur habitat naturel, a aussi expliqué à l'AFP Damien Bertrand, responsable biodiversité de l'Office national des forêts (ONF), interrogé le 28 octobre 2022. "Par exemple, le nombre de marcassins d'un sanglier dépend de la glandée" - la production de glands par les chênes. Au-delà de l'impact visuel des déchets, nourrir des animaux a donc "une conséquence sur l'écosystème". "Même si je comprends la bonne intention, dans la nature il est mieux d'aménager l'espace pour les animaux, plutôt que d'apporter de la nourriture extérieure", en favorisant par exemple la diversité des arbres ou l'aménagement de clairières, a ajouté M. Bertrand. Des conflits de cohabitation avec l'Homme Encourager le nourrissage d'animaux sauvages "peut avoir de nombreuses implications", a déclaré Adrien Chevalier, chargé de mission biodiversité à la Ligue royale belge pour la protection des oiseaux (LRBPO). "Comme nous, les animaux aiment se faciliter la vie, et favorisent donc les sources de nourriture leur demandant le moindre effort. Après avoir été nourris par l'homme, ils peuvent avoir tendance à se rapprocher de lui et des habitations. Cela ne serait bénéfique ni pour l'homme, ni pour les animaux ", a-t-il expliqué à l'AFP le 28 octobre 2022, pointant les risques de "conflits de cohabitation". Par ailleurs, "l'illustration de la publication, montrant des cervidés se nourrissant de restes de cucurbitacées, est trompeuse", a-t-il estimé. "En effet, de la nourriture laissée dans la nature sera probablement d'abord mise à profit par d'autres animaux beaucoup plus communs", tels que les rats, renards, corvidés, etc. "Ces animaux ont encore mauvaise réputation auprès de beaucoup, il est donc préférable de ne pas favoriser un rapprochement de ces espèces avec l'être humain, pour éviter d'aboutir à des situations conflictuelles". "Le risque d’aller jeter ces citrouilles dans un bois, c’est qu’elles soient aussi accessibles à d’autres espèces parfois indésirables, comme les ratons laveurs, qu’il ne faudrait idéalement pas aller nourrir dans des habitats naturels", a ajouté le 27 octobre 2022 Vinciane Schockert, experte au Département de l'étude du milieu naturel et agricole (DEMNA) du SPW Wallonie (ministère). Par ailleurs, cette action n'aurait que peu d'impact selon elle: "Avec une glandée comme cette année et la douceur très marquée de cet automne, l’importance de telles ressources anthropiques apportées par des particuliers n’est qu’anecdotique, d’autant que nos populations de cervidés ne sont pas en souffrance". Des cerfs à Jurvielle (Pyrénées), le 6 octobre 2022 ( AFP / Lionel BONAVENTURE)En France, l'ONF explique dans un document publié en 2015 que "l’apport de nourriture en lisière de forêt ou en zone urbaine modifie le caractère sauvage des animaux. Ces derniers, lorsque la faim les tenaille, quittent la forêt pour s’aventurer en ville dans l’espoir d’y glaner quelques restes alimentaires. Gourmands et opportunistes, les sangliers comme les renards s’adaptent très facilement à la présence humaine liée à la nourriture. Puis, ils ne fuient plus et reviennent régulièrement réclamer leur pitance."L'Office national des forêts alerte notamment sur les risques d'accidents de la route ou de dégradations de biens liés au rapprochement de ces espèces des espaces urbains.Les autorités canadiennes déconseillent également de nourrir les animaux sauvages, qui peuvent alors perdre "leur crainte naturelle des humains" et risquent d'être abattus "pour assurer la sécurité des humains". Des risques de toxicité pour les animauxLes citrouilles d'Halloween peuvent également poser des problèmes sanitaires, a expliqué à l'AFP la Fondation allemande pour la faune sauvage le 18 octobre: "Les citrouilles sculptées (qu'il s'agisse de citrouilles géantes, de courges musquées ou de courges de jardin) sont généralement déjà abîmées après Halloween et ne sont donc plus adaptées à la consommation par les mammifères". Ni les courges comestibles, ni les courges décoratives ne font partie du spectre alimentaire naturel de la plupart des animaux sauvages vivant en liberté et "des problèmes de santé ne sont pas à exclure. Ceux-ci peuvent aussi être causés par des restes de cire ou des moisissures", a commenté le 18 octobre 2022 l'Association allemande de protection des animaux (Deutscher Tierschutzbund)."Il faut également tenir compte du fait qu'en Allemagne, contrairement aux Etats-Unis, les cucurbitacées ne sont pas une famille de plantes indigènes et ne constituent donc pas une source de nourriture habituelle pour la faune de ce pays", a expliqué à l'AFP Yvonne Würz, porte-parole de la branche allemande de l'association de défense des animaux PETA, le 19 octobre 2022.Quant à une éventuelle action vermifuge des graines de citrouilles sur les animaux, elle n'est pas suffisamment prouvée scientifiquement, a-t-elle précisé, ajoutant que PETA déconseille "fortement de nourrir les animaux sauvages avec des citrouilles d'Halloween en les déposant dans les forêts et les champs". Par ailleurs, "une infestation par des parasites est considérée comme normale et ne constitue pas un problème pour les animaux en bonne santé", a précisé la porte-parole de l'Association allemande de protection des animaux. Parc animalier de Pairi Daiza, province de Hainaut, Belgique ( AFP / Kenzo TRIBOUILLARD)Sur son site, la Ligue française pour la protection des oiseaux (LPO) déconseille le dépôt de nourriture en forêt, dont l'éventuel pourrissement peut provoquer "des cas de maladies ou intoxications pour les animaux" et favoriser "les risques de zoonose". En revanche, explique la ligue, "il est possible de laisser à disposition des bacs d’eau peu profonds avec des pierres ou des branches dépassant du bac" pour éviter les noyades des petites espèces animales.Sur son site, l'Institut bruxellois pour la gestion de l'environnement explique que donner des restes de nourriture, qui peuvent potentiellement pourrir ou être contaminés, peut être à l'origine de maladies chez les animaux, comme la peste porcine chez les sangliers. En revanche, la situation est légèrement différente pour les animaux en captivité, a expliqué l'Association allemande de protection des animaux, puisqu'on connaît alors la quantité de citrouilles consommées par les animaux et qu'elles sont moins susceptibles de pourrir avant d'être mangées."Il est certain que les courges sont comestibles, du moins pour certaines espèces animales. Il faut bien sûr toujours tenir compte des besoins de l'espèce concernée et ne fournir que des variétés et des quantités de citrouilles qui ne présentent aucun risque", a ajouté la porte-parole de PETA. Production mondiale de courgesL'auteur du texte que nous vérifions affirme également que "sur les 2.5 milliards citrouilles produites, seulement un cinquième se fait réutiliser", le reste finissant "par se décomposer dans les décharges créant des gaz nocifs qui nuisent à l’environnement".La société allemand Agrarmarkt Informations-Gesellschaft (AMI), spécialisée dans les données concernant le marché agricole, a déclaré à l'AFP le 18 octobre 2022 que les statistiques de culture de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture font état d'une récolte mondiale de 28 millions de tonnes de courges. "Toutefois, ce lot comprend également des courgettes, ainsi qu'une quantité notable de courges destinées à la transformation (aliments pour bébés, huile de citrouille, etc.)", a précisé Michael Koch, porte-parole de l'AMI.Selon l'office belge de statistiques Statbel, contacté le 28 octobre 2022, "13 800 tonnes de citrouilles ont été cultivées sur quelque 690 hectares en Belgique en 2021".
(fr)
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