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Une invitée d'une émission américaine, présentée comme "experte médicale" prétend, documents à l'appui, que les vaccins anti-Covid à ARN messager rendraient les "bras magnétiques" par un phénomène de "magnétofection" observé ces dernières semaines dans des vidéos virales. Mais cette affirmation est fausse, expliquent à l'AFP des experts, qui soulignent que la liste des ingrédients fournie aux autorités sanitaires ne fait état d'aucun élément métallique. De plus, la documentation sur la magnétofection citée provient d'une société allemande qui a expliqué à l'AFP que ses travaux, sans rapport avec la vaccination anti-Covid, ont été détournés.Sur Instagram, Facebook, ou TikTok … les vidéos prétendant montrer des bras magnétiques auxquels resteraient collés clés, aimants ou encore téléphone portable après une injection anti-Covid continuent à circuler de façon virale sur les réseaux sociaux. Pour l'expliquer, une Américaine, présentée à la fois comme "experte médicale" et "économiste internationale de la santé", a avancé en juin une théorie dans l'émission "The Stew Peters Show". Capture d'écran prise le 01/07/21"Nous savons ce qui est derrière ces phénomènes magnétiques où les gens ont des objets qui se collent à eux", assure-t-elle sur ce qui ressemble au plateau de télévision d'une chaîne d'information en continu américaine. Elle explique que les vaccins à ARN messager "ajoutent une technologie de champs magnétiques à l'intérieur et autour de l'enveloppe de nanoparticules lipidiques afin que l'ARNm entre dans vos cellules" par un "procédé appelé magnétofection". Pour appuyer ses propos, Jane Ruby montre des captures d'écran de documents d'une société allemande, Chemicell, et assure, en la citant, que "les réactifs de magnétofection sont développés, conçus et prévus, pour la recherche", et ne doivent pas être utilisés "pour tout médicament destiné à l'homme". L'extrait de deux minutes, publié à l'origine sur les réseaux sociaux américains, a été sous-titré en français et partagé sur plusieurs sites (1,2) ainsi que près d'un millier de fois au total sur Facebook et Twitter (1) ou Odysee depuis le début du mois de juin. Capture d'écran prise le 01/07/21 Capture d'écran prise le 01/07/21 Capture d'écran prise le 01/07/21Pourtant, les affirmations de Jane Ruby sont erronées, ont expliqué plusieurs experts à l'AFP. Des vaccins pour entraîner l'organismeActuellement, en France, deux vaccins contre le virus Sars-CoV-2 utilisent l'ARN messager : ceux des laboratoires Pfizer/BioNTech et Moderna. Cette technique consiste à injecter dans l'organisme une molécule d'ARN messager qui contient le code génétique d'une protéine du Sars-CoV-2, le virus à l'origine du Covid-19. La cellule du patient va lire ce code et produire elle-même la protéine Spike du virus, déclenchant du même coup une réponse immunitaire dans l'organisme. Ainsi entraîné, le corps saura se défendre contre une vraie infection de Sars-CoV-2 si la personne venait à le contracter. Seulement, les molécules d'ARN messager sont fragiles, c'est pourquoi Pfizer/BioNTech et Moderna utilisent des enveloppes lipidiques pour les protéger. Ces lipides, molécules composées d'acides gras, "permettent d'encapsuler l'ARN messager", et contribuent à "l'efficacité en termes de traduction sous forme de la protéine Spike", a expliqué Patrick Couvreur, professeur émérite à l'Institut Galien Paris-Saclay et spécialiste des nanotechnologies médicales. Ces lipides sont bien des nanoparticules, mais cela ne veut pas dire qu'ils sont dangereux pour autant, comme cela a pu être avancé de nombreuses fois sur les réseaux sociaux. "Les nanoparticules sont, par définition, des particules dont la taille est de l'ordre du nanomètre, soit 0.000000001 m", rappelle Claire Marrache, physicienne des matériaux et maître de conférences à l'Université Paris Saclay, interrogée par l'AFP le 28 juin. Mais alors, les nanoparticules lipidiques injectées peuvent-elles avoir un effet magnétique, comme l'affirme Jane Ruby? Cette allégation "n'a aucun sens car il n'y a pas de susceptibilité magnétique des lipides" contenus dans les vaccins de Pfizer et Moderna, a estimé auprès de l'AFP le biopharmacien Patrick Couvreur le 30 juin.Les fiches d'information fournies par les autorités sanitaires américaines ne font également mention d'aucun autre ingrédient à base de métal dans les vaccins de Pfizer et Moderna. L'Agence américaine de contrôle des maladies (CDC), qui a réfuté cette rumeur virale, explique même en détail que les vaccins contre le Covid autorisés aux Etats-Unis, dont font partis ceux de Pfizer et Moderna, " ne contiennent pas de métaux tels que le fer, le nickel, le cobalt, le lithium et les métaux de terres rares, ainsi que de produit manufacturé tels que la microélectronique, les électrodes, les nanotubes de carbone et les nanofils semi-conducteurs".Le Dr Thomas Hope, professeur de biologie cellulaire et à l'école de médecine Feinberg de l'université Northwestern, lui-aussi confirmé qu'un tel phénomène ne pouvait pas être observé à la suite d'une vaccination anti-Covid: "C'est impossible. Il n'y a rien (dans les vaccins, ndlr) avec lequel un aimant puisse interagir, ce sont des protéines et des lipides, des sels, de l'eau et des produits chimiques qui maintiennent le pH".Des travaux sur la magnétofection détournésPourtant, Jane Ruby assure que cet effet magnétique après une vaccination à ARNm existerait bien, et s'appellerait la magnétofection. La magnétofection est une méthode nouvelle de transfection, - c'est-à-dire pour introduire un ADN étranger dans une cellule in vitro - , consistant à utiliser des champs magnétiques pour concentrer des particules contenant l'acide nucléique dans des cellules ciblées. "En culture de cellules, on a fait de la transfection d'ADN en encapsulant, par exemple, de l'ADN dans des nanoparticules de fer et en soumettant la culture de cellules à un champ magnétique. On a vu que ça favorisait la transfection et donc l'expression de la protéine correspondante", explique Patrick Couvreur. "Mais dans le cas de vaccins anti-Covid à ARN, on n'est pas du tout dans ce contexte puisqu'il n'y a pas de particules d'oxyde de fer. Des simples phospholipides ne peuvent pas induire de la magnétofection".Pour prouver sa théorie, Jane Ruby montre une capture d'écran du site de la société allemande Chemicell expliquant le procédé de magnétofection. Capture d'écran prise le 01/07/21 Capture d'écran prise le 01/07/21 Contactée par l'AFP le 27 juin, Chemicell a répondu fabriquer des "particules magnétiques à des fins de recherche, en laboratoire", en expliquant que ses travaux n'ont aucun rapport avec la vaccination anti-Covid à ARNm. "La magnétofection a été étudiée expérimentalement par des chercheurs travaillant sur des cellules en culture. À notre connaissance, la magnétofection n'a jamais été testée sur l'homme", a poursuivi la société allemande, regrettant que son "site soit utilisé de manière abusive pour répandre de fausses informations qui sont totalement infondées et alimentent des peurs irrationnelles".Le succès du #magnetchallenge sur les réseaux sociauxContrairement à ce que veut faire croire Jane Ruby, une injection anti-Covid à ARN ne rend donc pas magnétique, et les vidéos mettant en scène des bras aimantés après un vaccin sont des canulars, comme l'ont déjà souligné des experts dans ce précédent article de l'AFP. Comment, alors, expliquer le succès de cette théorie sur les réseaux sociaux?Pour Romy Sauvayre, sociologue des croyances à l’université de Clermont Auvergne et au CNRS, cet engouement s'explique par la force de la preuve par l'expérience. "Le fait de voir ces magnets se fixer aux bras des usagers sur les réseaux sociaux conduit les internautes à se dire que ce qu'ils voient est vrai. Il y a également un côté surprenant qui facilite la diffusion de cette théorie puisque chacun s'attend à ce que le magnet tombe au sol. Ensuite, si ces internautes sont déjà défavorables ou méfiants vis-à-vis des vaccins, ils auront plus tendance à considérer cette théorie comme vraie", a expliqué la sociologue à l'AFP le 28 juin.Sur le réseau social TikTok, le #magnetchallenge, qui regroupe des vidéos d'internautes réalisant le défi pour rire et des utilisateurs adhérant réellement à cette théorie, cumule ainsi plus de 7,3 millions de vues grâce à sa "forme ludique, facile à mettre en pratique, à filmer et à partager". Capture d'écran prise le 01/07/21 sur TikTokEt à l'image de l'application la plus téléchargée au monde, les réseaux sociaux peuvent se révéler, de manière générale, un terreau particulièrement favorable à la propagation de fausses rumeurs chez un jeune public . "Les plus jeunes ont tendance à consommer de l'information sur les réseaux sociaux plutôt que d'avoir recours aux médias traditionnels. Ils sont de fait susceptibles de considérer ce qu'ils voient sur les réseaux sociaux comme vrai, alors qu'aucune vérification n'a été réalisée avant la publication du message, contrairement à ce qui est fait par les médias traditionnels", conclut Romy Sauvayre.
(fr)
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