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Une vidéo virale partagée près de 40.000 fois depuis le 28 octobre dénonce "une supercherie" sur l'épidémie de Covid-19. Selon elle, si l'on se base sur les chiffres officiels, "les hôpitaux ne sont pas débordés". C'est faux, les lits de réanimation sont bien occupés au-delà de 100% des capacités initiales, expliquent à l'AFP les autorités sanitaires et un syndicat de médecins-réanimateurs.Après la première vague épidémique de Covid-19, le nombre total de lits de réanimation a été relevé à 5.800. Il est désormais menacé de saturation.Les hôpitaux français ne "sont pas débordés" assure pourtant l'auteur d'une vidéo virale sur Facebook, publiée le 28 octobre après-midi, quelques heures avant l'allocution d'Emmanuel Macron annonçant un nouveau confinement.Pour dénoncer "cette supercherie", l'auteur se base sur la plate-forme statistiques du gouvernement qui annonçait 2.918 patients en réanimation l'après-midi du 28 octobre.Il insiste sur "un détail qu'on oublie" : l'onglet information de la plate-forme (voir ci-dessous) précise que ces patients sont "en réanimation ou en soins intensifs". Capture d'écran du site du gouvernement le 30 octobre à 16h30L'auteur compare donc ce chiffre de 2.918 aux capacités de lits de réanimation et de soins intensifs recensés par l'administration dans son dernier rapport."5.400 lits de réanimation plus 5.800 de soins intensifs (...) le cumul c'est 11.000 lits" affirme l'auteur de la vidéo. "On n'est pas débordé", "ils nous mentent" conclut-il.Si les chiffres avancés sont bien authentiques, le raisonnement de cette vidéo est faux pour trois raisons. Capture d'écran prise le 30 août 20201/Les malades non-covid aussi ont besoin de litsL'auteur oublie un détail essentiel : des milliers de patients sont pris en charge sur ces lits de réanimation pour des pathologies autres que le Covid-19.Aux 2.918 patients gravement malades du Covid-19, "il faut ajouter les infections pulmonaires, les accidents cardiaques, cardio-vasculaires ou de la route, les pancréatites, les tentatives de suicides...etc." explique Franck Verdonk, président du syndicat national des jeunes anesthésistes-réanimateurs.Selon cet anesthésiste-réanimateur à l'hôpital Saint-Antoine à Paris "en réanimation, en moyenne le taux d’occupation est compris entre 85 et 90%, tout au long de l'année. Là, on passe à plus de 100%, et c'est bien le problème".Contacté le 30 octobre par l'AFP, le ministère de la Santé avance des chiffres similaires au niveau national.Si l'on raisonne "en capacité initiale", c'est-à-dire en rapportant le nombre de patients toutes pathologies confondues en réanimation au nombre de lits disponibles avant la deuxième vague "le taux d'occupation global des lits dépasse les 100%", ajoute le ministère.Au 30 octobre, 60% des lits de réanimation du pays étaient occupés uniquement par des patients Covid-19, selon les chiffres officiels du ministère se basant toujours sur la capacité initiale pré-deuxième vague.2/ Des lits transformables, un jeu de vases communicantsPour comparer avec les capacités hospitalières officielles, l'auteur de la vidéo se demande combien de patients Covid sont réellement placés en réanimation, et combien restent en soins intensifs.Ce raisonnement démontre "une méconnaissance du système hospitalier en très forte tension" déplore le ministère à l'AFP."On ne peut pas faire un ratio comme cela" conteste pour sa part le Dr. Verdonk.La réanimation est réservée "aux patients dans un état critique", avec 2 organes touchés, tandis que les soins intensifs, "moins équipés", sont destinés aux patients avec "moins de défaillance vitale", explique-t-il.Selon les explications du ministère : "un même patient Covid peut passer de soins intensifs à de la réanimation en 48h, une semaine en réanimation, puis récupérer progressivement en soins intensifs".Pour absorber les nouvelles arrivées massives de patients Covid-19, les hôpitaux transforment alors des lits de soins intensifs en lits de réanimations, mais le défi logistique est immense.Selon les derniers chiffres officiels communiqués à l'AFP, 600 lits de soins intensifs ont ainsi été tranformés en lit de réanimations, portant leur total à 6.400 au 30 octobre.Ce défi logistique revient à réaliser un jeu de "vases communicants" résume le ministère.Et ce jeu n'est pas déclinable à l'infini, car "il y aura toujours des infarctus, des crises asthmes aïgues" et d'autres pathologies ayant besoin de lits de soins intensifs, ajoute Franck Verdonk.Pendant la première vague de l'épidémie le système de santé français a quasi doublé son nombre de de réanimation, jusqu'à 9.860 lits, détaille l'étude FrenchICU, menée par 17 anésthésistes-réanimateurs français.Au pic épidémique le 8 avril, 7.148 patients Covid-19 occupaient ces lits .Comme le montre ce graphique tirée de l'étude, l'augmentation de l'offre de soins en réanimation s'est réalisée aux dépens des lits de soins intensifs et de soins continus (les courbes jaunes et vertes), en déprogrammant des interventions et opérations non urgentes. Evolution du nombre de lits de réanimation, de soins intensifs et de soins continus en France durant la première vague épidémique selon l'étude French IcuPour le réanimateur Franck Verdonk, la saturation est donc plus un problème logistique et humain qu'arithmétique :"Pour la réa, il faut des tas de prises électriques, de l’oxygène, plus d'espace. Il faut mobiliser des informaticiens pour installer des cables, tout réorganiser", raconte-t-il."La vrai question c'est le personnel : il manque du personnel paramédical, des infirmières suffisamment formées" pour s'adapter à ces lourdes transformations des services hopistaliers, ajoute-t-il. 3/ L'épidemie progresseEnfin, en basant son calcul sur un chiffe brut (2.918 patients gravement malades au 28 octobre) pour conclure à "une supercherie" la vidéo virale omet de prendre en compte la dynamique de l'épidémie.Entre le moment de la publication de la vidéo, et la rédaction de cet article le 30 octobre, le nombre de patients Covid-19 placés en réanimation ou soins intensifs a grimpé à 3.156, soit 238 patients de plus en 48h.A ce rythme, "selon les projections de l'Institut Pasteur, le nombre de patients Covid en réanimation atteindrait (...), sans action nouvelle, plus de 9.000 patients le 15 novembre", explique le ministère à l'AFP, laissant donc peu de places aux patients atteints d'autres pathologies graves."A un moment on pourrait être obligé de choisir entre un patient Covid et un infarctus" redoute le Dr. Verdonk. Lits de réanimation occupés par des malades Covid-19 en France (K.Tian)Le 29 octobre, le gouvernement prévoyait un pic d'hospitalisations en novembre "plus élevé qu'en avril", alors que le bilan de l'épidémie a dépassé les 36.000 morts dans le pays.EDIT : Mis à jour le 31 octobre, ajoute graphique, données de l'étude French ICU et précise la définition de "capacité initiale".
(fr)
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