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Des publications qui comparent le nombre de morts du Covid-19 avec les décès liés à d’autres causes ou maladies dans le monde circulent sur les réseaux sociaux depuis début avril. Visant généralement à relativiser la portée de l’épidémie et à critiquer la mise en place de mesures de confinement, ces comparaisons sont toutefois trompeuses, et l'absence de chiffre fiables sur l'épidémie rend toute interprétation difficile pour l’instant. "Il faut cesser d’avoir peur! Regardez les chiffres et détendez vous! Ne vous laissez plus manipuler par tous les stratèges qui font leur miel de vos peurs!", annonce cette publication, partagée plus de 4 500 fois sur Facebook depuis le 6 avril, qui classe le nombre de décès du coronavirus loin derrière ceux de la malaria, du tabac ou du cancer dans le monde. "Quelques chiffres intéressants, histoire de remettre les choses en perspective…", indique une publication similaire sur Facebook, qui renvoie vers le site à l’origine de ces chiffres. Capture d'écran de la publication Facebook prise le 15 mai 2020Une autre comparaison (1, 2), partagée le 11 mai par l’ancienne ministre Christine Boutin - et qui a fait beaucoup réagir en incluant le nombre d’avortements dans les "décès" dans le monde - relativise aussi l’ampleur de l’épidémie actuelle. "C’est le faible chiffre du covid19 qui m’interpelle !" écrit-elle en-dessous de son tweet du 11 mai, partagé plusieurs centaines de fois avant d’être supprimé. Capture d'écran du tweet de Christin Boutin le 14 mai 2020L’ex-footballeur international et candidat de la France insoumise (LFI) à la Mairie de Paris, Vikash Dhorasoo, a aussi été très critiqué pour avoir diffusé un graphique similaire, mettant en doute l’efficacité du confinement. "Quelqu’un pourrait me rappeler pourquoi on a mis le monde entier en confinement pour la maladie classée 17 au rang mondial en nombre de morts?", écrivait-il dans un tweet du 13 mai. Comme de nombreux internautes lui ont toutefois signalé, ce graphique avait été réalisé le 9 mars - autrement dit, avant que la plupart des pays du monde ne prennent des mesures de confinement plus ou moins strictes. Quelqu’un pourrait me rappeler pourquoi on a mis le monde entier en confinement pour la maladie classée 17 au rang mondial en nombre de morts?? pic.twitter.com/GOCpvoaI6F — Vikash Dhorasoo (@vikash_dhorasoo) May 13, 2020Si les chiffres affichés dans ces différentes publications renvoient à de véritables estimations, c’est leur comparaison qui pose problème, en particulier en l’absence de chiffres fiables pour les décès liés à la pandémie de Covid-19. Comparaison trompeuseComme l’indiquent plusieurs publications, les chiffres utilisés dans la plupart de ces comparaisons proviennent du site Worldometers. "Worldometers.info utilise [des] données et statistiques provenant des organisations et bureaux de statistiques les plus réputés du monde", indique le site dans sa présentation, citant parmi ses sources l’ONU et de nombreux instituts nationaux officiels. Les compteurs en "temps réel" qui apparaissent sur sa page d’accueil sont des "chiffres actuels estimés", reposant sur différentes "statistiques et projections"."Les chiffres de Worldometers sont plutôt justes et à jour, et nous utilisons fréquemment leurs données sur le Covid-19 en plus de celles de l’Université américaine Johns Hopkins", explique Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). "Le problème, c’est plutôt ce que l’on fait dire à ces chiffres dans ces publications".En effet, ces graphiques comparent le nombre de morts du Covid-19, une maladie infectieuse transmissible, avec des décès causés par des pathologies chroniques comme le cancer, des décès accidentels sur les routes, et des morts provoquées par la malnutrition ou le tabagisme. Des comparaisons qui, selon l’enseignant-chercheur en psychologie sociale Jocelyn Raude (EHESP), n’ont tout simplement "pas de sens"."D’un côté, on a des éléments prévisibles, quantifiables, comme les effets du tabac ou de l’alcool, et des maladies dont la prévalence est extrêmement stable d’une année à l’autre, comme le cancer [...] et de l’autre, on a une épidémie très instable par nature, qui peut changer avec des mutations virales, s’endémiser comme la grippe tous les hivers, ou disparaître dans plusieurs mois", détaille le sociologue. Pour des maladies comme le Sida, dont les chiffres sont "extrêmement stables" d’une année sur l’autre, une projection est réalisée pour l’année 2020, et une division permet ensuite d’estimer le nombre de décès quotidiens. Un tel calcul n’est pas réalisable pour le Covid-19, qui n’est apparu qu’au mois de décembre 2019, et dont le nombre de décès fluctue chaque jour. Par essence, faire une moyenne du nombre de morts chaque jour, comme le fait la publication partagée par Vikash Dhorasoo, ne donne pas un résultat représentatif de la réalité. Capture d'écran du graphique tweeté par Vikash Dhorasoo le 13 mai 2020Contrairement aux chiffres du cancer ou des morts sur les routes, la progression du coronavirus suit en effet celle d’une courbe épidémique, avec une forte hausse de décès pendant la phase dite exponentielle. "Faire le bilan d’une épidémie alors qu’elle n’est pas terminée n’a pas de sens" explique Pascal Crépey. De plus, pour certaines maladies qui apparaissent dans le tableau comme la grippe saisonnière, des remèdes ou des vaccins existent déjà, alors qu’aucun traitement n’a encore prouvé son efficacité contre le Covid-19 malgré de nombreux tests et essais en cours. Les chiffres affichés manquent aussi d’une remise en perspective plus générale. Au vu du taux de transmission du Covid-19, des mesures de distanciation physique généralisées ont été nécessaires dans le monde entier - ce qui n’est pas le cas des autres maladies figurant dans le tableau. Des mesures qui, de fait, ont ralenti la progression et l’ampleur de l’épidémie. Une étude de l’EHESP relève d’ailleurs que le confinement aurait pu éviter la mort de 60 000 personnes en France. "Si rien n’avait été fait, le bilan aurait été phénoménal, et il se compterait en millions de décès dans le monde", estime l’épidémiologiste Pascal Crépey. Ces publications s’inscrivent toutefois dans une vague de critiques et de scepticisme autour des mesures de distanciation physique, recommandées par de nombreux experts et appliquées à divers degrés dans le monde. Aux États-Unis, au Brésil ou en Europe, des protestations plus ou moins virulentes s’élèvent contre cette réponse à l’épidémie, jugée "disproportionnée", encouragées parfois par les chefs d’États eux-même comme Donald Trump ou Jair Bolsonaro. "D’expérience, quand une mesure de prévention fonctionne, elle est attaquée parce qu’elle a justement fonctionné. On évite des morts, et du coup, on se demande si c’était vraiment utile, car l’impact a été relativement faible [...] Pourtant, les mesures de confinement ou de distanciation physique ont permis d’infléchir la courbe épidémique", estime pour sa part l’épidémiologiste Pascal Crépey. Mortalité "très sous-estimée" pour le Covid-19Au delà de la comparaison de ces chiffres, se pose la question du comptage des morts du coronavirus : un nombre qui, selon de nombreux experts, reste encore très sous-estimé. "En France, il est déjà compliqué de compter tous les décès", relève Pascal Crépey, faisant référence notamment aux décès à domicile. "On peut donc imaginer que dans des pays où le système de surveillance est moins performant, les chiffres qui remontent ne sont pas les bons". Au Brésil par exemple, qui compte officiellement 16 118 décès et s’est classé 4e pays du monde en termes de personnes infectées (241 080), les scientifiques jugent les chiffres largement sous-estimés par rapport à la réalité. Enterrement à Manaus, en Amazonie brésilienne - Michael DANTAS / AFPPour des raisons politiques, ces chiffres peuvent être aussi "minimisés" dans d’autres pays, avance l’épidémiologiste. Comme il le rappelle, la Russie relève officiellement 2418 morts sur son sol au 15 mai, suscitant l'étonnement des experts, et la Chine, berceau de la pandémie, est toujours au coeur de la polémique pour son bilan de 4634 décès jugé très opaque.Comme le résume cette dépêche du 15 mai, les chiffres de surmortalité du coronavirus esquissent aussi déjà un bilan plus lourd que celui affiché aujourd’hui, particulièrement dans les zones les plus touchées comme l’Italie, l’Espagne ou la France. "Tant que l’on n’est pas arrivés "jusqu’au bout" de l’épidémie, on aura très peu de visibilité", estime l’épidémiologiste Pascal Crépey. "Quoi qu’il en soit, les arguments que l’on voit dans ces graphiques sont de moins en moins crédibles : si on les refaisait aujourd’hui, on verrait que le coronavirus a autant de poids qu’une maladie comme le paludisme (NDLR : malaria en anglais)". La pandémie du Covid-19 a fait au moins 315 270 morts dans le monde depuis les premiers cas officiels en décembre en Chine, selon un bilan établi à partir de sources officielles par l’AFP le 18 mai. D’après de nombreux épidémiologistes, il faudra plusieurs mois, voire plusieurs années, pour préciser le bilan de cette pandémie. "Je ne sais même pas si on pourra un jour l’estimer", reconnaît l’épidémiologiste Pascal Crépey.
(fr)
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