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Le ministre de l'Intérieur aurait "confirmé" que "la société Dominion", qui fournit du matériel de vote électronique serait mandatée pour "compiler les résultats de l'élection 2022" en France, prétendent des publications relayées par des milliers d'internautes. Cette société avait été accusée par Donald Trump et ses soutiens d'avoir facilité des fraudes lors des élections américaines de 2020, ce qui, un et demi plus tard, n'a pas été prouvé. Le ministère de l'Intérieur ainsi que l'entreprise ont cependant démenti l'affirmation auprès de l'AFP. Deux spécialistes du vote électronique ont indiqué n'avoir aucune connaissance d'un tel contrat entre l'Etat français et Dominion, tout en soulignant que le vote électronique, qui concerne une minorité d'électeurs en France, reste, dans son utilisation actuelle, trop "opaque"."G.Darmanin a confirmé la Société Dominion pour compiler les résultats de l'élection 2022 la même qui est accusée aux USA d’avoir manipulé les votes lors de la dernière élection", prétendent des tweets (ici, là) partagés à plusieurs milliers de reprises depuis le 18 mars, et dont les textes ont été largement repris sur Facebook, VKontakte et sur des sites. Capture d'écran Twitter, prise le 23/03/2022 Capture d'écran Facebook, prise le 23/03/2022 Une large partie de ces publications relaie une prétendue intervention de "Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères", qui aurait affirmé que "l'élection en France est totalement truquée, c'est bien pire qu'aux Etats-Unis". D'autres posts assurent aussi que des responsables politiques d'autres pays, s'inquiéteraient de ce prétendu contrat passé avec Dominion. A tel point que ce mot-clé a fait partie des sujets les plus discutés sur Twitter les 18 et 19 mars, ayant apparu dans plus de 25.000 publications chacun de ces deux jours, selon l'outil de mesure des tendances sur Twitter de Visibrain.Des accusations de fraude liées au vote électronique après les élections américaines de 2020L'entreprise à laquelle il est fait référence, Dominion Voting Systems, est spécialisée dans la commercialisation de matériel et de logiciels permettant le déploiement du vote électronique. Plusieurs états américains avaient fait appel aux services de cette société lors des élections présidentielles de 2020 opposant Donald Trump à Joe Biden, et remportées par ce dernier.Après sa défaite, Donald Trump avait affirmé que l'élection avait été "truquée", notamment à l'aide de Dominion qui aurait "effacé" des votes en sa faveur, sans cependant présenter de preuves appuyant ces allégations. Plusieurs autorités électorales locales et nationales, dont l'agence de cybersécurité et de sécurité des infrastructures américaine (CISA), qui dépend du ministère de la Sécurité intérieure, avaient quant à elles écarté la possibilité d'une manipulation des votes sur machines, comme le relatait l'AFP. Des soutiens de Donald Trump manifestent dans le comté de Maricopa, à Phoenix, dans l'Arizona, le 6 novembre 2020 ( AFP / OLIVIER TOURON)En mars 2021, Geoffrey Hale, directeur de "l'initiative de sécurité électorale" de la CISA, chargée d'enquêter sur de potentielles fraudes électorales, avait alors assuré auprès de l'AFP qu'aucun "cas crédible de manipulation des votes" n'avait alors été trouvé concernant les dernières élections présidentielles américaines.La société Dominion a elle aussi démenti à plusieurs reprises les allégations de manipulations électorales concernant ses produits, comme cela est détaillé sur une page dédiée de son site.Beauvau et Dominion démentent les allégationsContactée par l'AFP, une représente de la société a confirmé le 25 mars que "Dominion Voting Systems n'opère pas en France". L'entourage de Gérald Darmanin dément lui aussi formellement le fait que du matériel de cette entreprise puisse être utilisé lors des élections présidentielle et législative en 2022. "Le ministère de l'Intérieur ne fait pas et n'a jamais fait appel aux services de la société Dominion dans le cadre de l'organisation des élections", assure ce dernier le 22 mars 2022 auprès de l'AFP.Sur son site, l'entreprise ne fait par ailleurs nulle mention de contrat signé avec les autorités françaises. Une recherche dans les archives du Bulletin officiel des annonces des marchés publics, consultables en ligne, ne permet pas non plus de retrouver la mention d'un tel contrat.Les publications sur les réseaux sociaux indiquent que Dominion interviendrait pour "compiler les résultats". Or, le ministère de l'Intérieur assure ne pas faire appel à des prestataires extérieurs lors du décompte des bulletins. Le dépouillement lors des élections législatives le 11 juin 2017 à Châteaulin, dans l'est de la France. ( AFP / FRED TANNEAU)"Le dépouillement des résultats est public. Tout électeur de la commune peut y assister. Des représentants de chaque candidat peuvent y assister et toute anomalie peut-être reportée sur le procès-verbal de dépouillement", rappelle ainsi le ministère."Les résultats du dépouillement des votes dans chaque commune sont communiqués le soir de l'élection en temps réel au ministère de l'Intérieur par les communes, via les préfectures, au moyen de systèmes informatiques de centralisation des résultats développés par les services informatiques du ministère de l'Intérieur depuis plusieurs années, qui font l'objet de tests et d'une homologation de sécurité sous l'égide notamment de l'ANSSI afin d'éviter toute tentative de manipulation. C'est ce système qui permet de connaître très rapidement, dès 20h, le résultat de l'élection au niveau national. Le ministère de l'Intérieur ne pas fait appel à des prestataires extérieurs dans le cadre de ces opérations de centralisation des votes", détaille-t-il. Des recherches avancées sur Internet (dont le principe est détaillé ici) à partir des propos attribués dans les publications virales sur les réseaux sociaux du ministre de l'Intérieur français ou à la porte-parole russe, en français ou en russe, ne mènent par ailleurs vers aucun résultat pertinent provenant de sites officiels ou de médias reconnus. Quel "vote électronique" en France ?Outre les allégations liées à la société Dominion, de nombreuses publications sur les réseaux sociaux s'inquiètent plus largement au sujet de l'utilisation du "vote électronique" en France lors des élections 2022. Ces termes désignent à la fois le vote réalisé à l'aide de "machines à voter" par des électeurs se déplaçant dans les bureaux, ainsi que le vote par Internet, qui concerne exclusivement les Français résidant à l'étranger. Ce dernier a lieu uniquement lors des élections législatives et consulaires, comme indiqué dans le code électoral, et ne sera donc pas en place en avril 2022, lors du scrutin pour la présidentielle. Si la mise en place de ce vote en ligne est confiée à un prestataire, celui qui a été retenu pour les législatives de 2022 n'est pas non plus Dominion, assure le ministère de l'Intérieur auprès de l'AFP. "S'agissant du vote électronique pour les Français de l'étranger, il s'agit de la société VOXALY-DOCAPOSTE", une branche du groupe La Poste, spécialisée notamment dans le vote en ligne. Véronique Cortier, chercheuse CNRS au laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (Loria) confirme que "pour les élections législatives 2022, c'est Voxaly, filiale de Docaposte, qui a remporté le marché". Cette information avait en effet été relayée dans un article du média spécialisé La Lettre A en octobre 2020, et mentionnée par Sébastien Jaunet, sous-directeur de l'administration des Français, à la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire lors d'une audition au Sénat en septembre 2021.Le déploiement des "machines à voter" restreint depuis 2008"Les fausses rumeurs concernant le recours à la société Dominion feraient croire à un risque de manipulation du vote dans les communes dotées de machines à voter", déplore par ailleurs le ministère de l'Intérieur. L'utilisation de ces dernières en France a été autorisée en France dès 1969 par une loi modifiant certaines dispositions du code électoral. En 2022, ces "machines à voter" peuvent ainsi être utilisées "dans les bureaux de vote des communes de plus de 3.500 habitants figurant sur une liste arrêtée dans chaque département par le représentant de l'Etat", sous réserve de satisfaire plusieurs conditions, ainsi que d'être d'un modèle "agréé par arrêté du ministre de l'Intérieur", selon le code électoral.Depuis 2008,le nombre de communes pouvant utiliser de telles machines est néanmoins limité. Faisant suite à des "controverses" liées à l'utilisation des "machines à voter" en 2007, un groupe de travail a été mis en place, aboutissant à un moratoire restreignant "l'utilisation des machines à voter aux seules communes qui avaient opté pour cette modalité à cette date". En d'autres termes, si une commune était équipée de "machines à voter" avant 2008, elle peut continuer à en utiliser, mais à l'inverse, de nouvelles communes souhaitant en acquérir ne sont pas autorisées à le faire.Ainsi, selon le ministère de l'Intérieur, en mars 2022, "seulement 63 communes françaises en sont équipées", ce qui représenterait, toujours selon le ministère "1,3 million d'électeurs".L'Observatoire du Vote, un institut indépendant qui observe le déroulement de scrutins et produit des analyses au sujet des dispositifs de vote lors des élections françaises, recensait plus de 80 communes françaises ayant utilisé des "machines à voter" en 2007, et 66 lors de l'élection présidentielle de 2017, soit "1,3 million d'électeurs". Une employée municipale insère sa carte pour activer une "machine à voter" à Issy-les-Moulineaux, le 6 mai 2007 ( AFP / PIERRE VERDY)"Un seul modèle de machine à voter" utilisé en France en 2022Selon le site du ministère de l'Intérieur, trois modèles de "machines à voter" sont agréés (dont aucun commercialisé par Dominion), et peuvent donc théoriquement être utilisés en France. Deux de ces modèles "ne sont plus commercialisés" ni "utilisés" en France, selon le ministère de l'Intérieur.Ainsi en 2022, "un seul modèle de machine à voter est utilisé en France, le modèle ESF1 de la société néerlandaise NEDAP commercialisé par la société France Elections qui n'a aucun lien avec la société Dominion", selon le ministère, qui assure par ailleurs qu'"aucune fraude ou tentative de fraude n'a jamais été constatée dans les communes utilisant les machines à voter en France". L'étude menée par Chantal Enguehard, maîtresse de conférences au département d'informatique à l'université de Nantes et spécialiste des questions liées au vote électronique, et l'Observatoire du Vote sur les élections présidentielle et législatives de 2017 note néanmoins que les écarts entre le nombre de votes et d'émargements sont "4,3 à 5,4 fois plus fréquents et d'ampleur plus grande" dans les bureaux de vote équipés de "machines à voter", par rapport aux bureaux où se pratique le vote à l'urne. Des "machines à voter" trop "opaques"Pour les défenseurs des "machines à voter", ces dernières permettent d'accélérer l'annonce des résultats, et de limiter les risques sanitaires, ce qui a été mis en avant pendant la pandémie. En février 2021, Le Monde a ainsi publié la tribune d'un collectif de 38 élus, appelant le gouvernement à étendre le recours au vote électronique face aux inquiétudes posées par le Covid-19. La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) avait ensuite aussi recommandé, dans un avis publié en novembre 2021, la levée du moratoire de 2008.Plusieurs chercheurs remettent émettent cependant des réserves quant à l'utilisation de ces machines en France. Chantal Enguehard regrette ainsi l'"opacité" de leur fonctionnement. "Quand vous appuyez sur le bouton, ce geste se transforme en une impulsion électrique, cette impulsion électrique est elle-même transformée pour donner des codages informatiques, puis ces codages informatiques sont transformés à plusieurs reprises, en-dehors du contrôle de quiconque pour assurer la confidentialité du vote. A la fin, vous n'avez aucune preuve que parmi ces multiples transformations, le choix que vous avez fait a bien été respecté", développe la chercheuse spécialisée dans les questions liées au vote électronique auprès de l'AFP le 22 mars.Sa consœur Véronique Cortier, chercheuse au Loria, dit elle aussi ne pas voir "l'intérêt les machines à voter en France : on perd en sécurité, et on gagne en pas grand chose. Aux Etats-Unis, s'il y a plusieurs questions, qui concernent l'élection du gouverneur, du shérif, du procureur général... il peut y avoir un intérêt car c'est moins long et compliqué à dépouiller". "Même dans un programme parfait, sur un ordinateur parfait, il peut y avoir une erreur d'exécution (...) C'est d'ailleurs pourquoi dans les avions, il y a plusieurs ordinateurs, qui fonctionnent par paire, pour que d'autres se mettent en route en cas de panne", prévient Chantal Enguehard.Véronique Cortier relève aussi que ces machines sont anciennes car datant d'avant le moratoire de 2008, et "sont stockées pendant des mois", ce qui rend envisageable le fait qu'une personne mal intentionnée puisse y avoir accès entre les échéances électorales. Un électeur vote sur une "machine à voter" à Mulhouse le 22 avril 2012, lors du premier tour des élections présidentielles ( AFP / SEBASTIEN BOZON)Le vote sur Internet "pas prêt pour assurer autant de sécurité que le vote papier"Concernant le vote par Internet, Véronique Cortier estime que s'il peut être justifié pour les législatives des Français de l'étranger, il serait néanmoins prématuré de vouloir l'étendre à tous les électeurs. "Les Français de l'étranger ne vont pas tous pouvoir se déplacer à l'urne. Leurs options sont soit le vote électronique, soit le vote par correspondance. D'un point de vue de la sécurité, le vote par correspondance est vraiment nul, donc le vote par Internet peut être préféré", détaille-t-elle. Mais à l'échelle de tous les électeurs, la chercheuse estime qu'"à l'heure actuelle, même en théorie, le vote électronique n'est pas prêt pour assurer autant de sécurité que le vote papier à l'urne pour des élections à grands enjeux comme des présidentielles ou des législatives", résume-t-elle.Assurer plus de sécurité avec le vote électronique nécessiterait "des moyens colossaux", estime de son côté Chantal Enguehard. Véronique Cortier regrette en outre un manque de "transparence" mais ajoute tout de même qu'il a "du mieux", précisant par exemple que son laboratoire lorrain a été "contacté par le Ministère des Affaires Etrangères pour prendre part à une partie de la vérification des résultats" des élections législatives des Français de l'étranger en 2022.Ce n'est pas la première fois que des inquiétudes au sujet du vote électronique en France mènent à la diffusion d'affirmations fausses ou infondées sur les réseaux sociaux ces dernières années. L'AFP a déjà dédié plusieurs articles de vérification à ce thème (ici, ici, là). De nombreuses allégations infondées au sujet de l'utilisation de technologies de la société Dominion au cours des élections présidentielles américaines de 2020 ont aussi fait l'objet d'articles de vérifications par les équipes anglophones de l'AFP. D'autres publications liant de façon trompeuse l'entreprise à des élections ont aussi fait surface dans d'autres pays, dont l'Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, en Allemagne ou encore en Birmanie.26 mars 2022 Correction de la formulation du dernier intertitre [Le vote sur Internet "pas prêt pour assurer autant de sécurité que le vote papier"]
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