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Vingt-quatre heures après la gifle infligée au président Emmanuel Macron lors d'un déplacement dans le sud de la France, une photo a circulé sur Facebook, montrant le chef de l'Etat français la main posée sur la joue de son homologue burkinabè Roch Kaboré. Les internautes qui la partagent disent se réjouir de l’agression du locataire de l'Elysée, qui viendrait "rembourser" une gifle que ce dernier aurait administrée au dirigeant ouest-africain. Ces publications sont en réalité trompeuses: la vidéo de l'interaction montre qu'Emmanuel Macron n'a fait que brièvement poser sa main sur la joue du Burkinabè, sans violence. A l’époque, ce geste avait néanmoins été considéré comme déplacé par des médias et des personnalités africaines.Sur la capture d’écran, Emmanuel Macron et Roch Kaboré se font face, devant plusieurs personnes en costume sombre. Le président français a la main posée sur la joue de son homologue burkinabè, dont le regard est masqué par des lunettes de soleil.Des internautes ont partagé cette image plus de 500 fois sur Facebook depuis le 9 juin (1, 2, 3), accompagnée de captures d'écran de la vidéo désormais célèbre du président français giflé la veille lors d'un déplacement dans le sud du pays. Selon eux, ce geste est venu "rembourser" un affront similaire fait au président Kaboré. Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 14 juin 2021Le 8 juin, le président Emmanuel Macron a été giflé par un jeune homme de 28 ans lors d’un déplacement à Tain-l'Hermitage (Drôme), alors qu'il s'était approché d'un groupe d'habitants réunis derrière une barrière en métal.Son agresseur, Damien Tarel, a été aussitôt interpellé. Jugé en comparution immédiate le 10 juin, il a été condamné à 18 mois de prison dont quatre ferme, avec mandat de dépôt. L'information a été relayée par les médias du monde entier (1, 2, 3, 4…) et a donné lieu à de multiples fausses nouvelles, vérifiées par l’AFP (ici ou là) ou par d’autres médias.Un geste jugé déplacé mais sans violenceC'est dans ce contexte qu'a refait surface l'image du président français et de son homologue burkinabè. Mais contrairement à ce que laissent entendre les publications virales sur Facebook, Emmanuel Macron n'a jamais giflé Roch Kaboré. Une recherche d'images inversée sur le moteur de recherches Bing permet de retrouver la vidéo dont est issue la capture d'écran: elle montre un échange entre M. Kaboré et M. Macron à Ouagadougou, lors de la première visite africaine du président français en novembre 2017. La tenue portée par le chef d'Etat burkinabè correspond à celle qu'il portait le dernier jour de la visite d'Emmanuel Macron dans le pays, le 29 novembre 2017. Capture d'écran d'une vidéo YouTube, réalisée le 14 juin 2021Le président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré (centre, gauche) et le président français Emmanuel Macron arrivent à la cérémonie d'inauguration d'une centrale fonctionnant à l'énergie solaire à Zaktubi, près de Ouagadougou, le 29 novembre 2017. (AFP / Ludovic Marin) Dans ces images, on voit Emmanuel Macron poser très brièvement sa main sur la joue de Roch Kaboré (à 0:01), puis sur son épaule? après une réaction d’apparente surprise du président burkinabè (à 0:02). Il prend ensuite les mains de son homologue et les serre dans les siennes (à 0:04), avant de s’éloigner.A aucun moment dans cette vidéo on n'aperçoit un geste brusque ou bien violent qui s’apparenterait à une gifle et qui mériterait d'être "remboursé", comme l’assurent les internautes qui partagent cette photo. A l'époque, la gestuelle du président français avait néanmoins agacé, voire outré une partie de l'opinion publique africaine. Des médias sénégalais et guinéens avaient par exemple qualifié ce geste de "vilain" (1, 2, 3). La star ivoirienne du reggae Alpha Blondy avait lui dénoncé sur le plateau de TV5Monde un geste "mal élevé” contraire au "protocole" en vigueur entre chefs d’Etat. Un "jeune comme lui n'a pas le droit de tapoter sur la joue un président, un aîné, qui pourrait être son père", avait tranché le musicien. Capture d'écran d'une vidéo YouTube, réalisée le 14 juin 2021"Interprétations différentes voire contradictoires"Invitée par l’AFP à analyser cette scène et les réactions qu’elle a suscitées, la sémiologue Elodie Mielczareck, autrice de "Human Decoder" (Ed. Courrier du Livre), estime qu’Alpha Blondy "soulève un point important" lorsqu’il critique la façon dont Emmanuel Macron s’adresse à son homologue burkinabè, de vingt ans son aîné."À un certain niveau, notre gestuelle correspond à des codes incorporés, dépendant de notre éducation, de notre culture et de nos expériences", explique la chercheuse, pour qui "certains gestes connaissent ainsi des interprétations différentes, voire contradictoires selon la langue des locuteurs."Néanmoins, "dans cette vidéo, Emmanuel Macron franchit sans hésitation l’espace intime du Président Kaboré", note la sémiologue: en touchant directement son visage, il "se positionne comme étant très proche du président, faisant partie de son cercle intime, ce qu'il n'est apparemment pas, au vu de la gestuelle réflexe en retrait" du président burkinabè, analyse-t-elle.Plutôt qu'une dynamique "amicale", la spécialiste lit dans ce geste un "rapport hiérarchique de domination". "Toucher la joue d’une personne dont on n’est pas si proche, c’est une manière (parfois inconsciente) de rappeler à l’autre qui est « le chef »", pointe Elodie Mielczareck. "On comprend que ce soit cette dimension implicite contenue dans le geste qui ait choqué, au-delà même des différences culturelles", conclut-elle.Une plaisanterie polémiqueLa première visite d'Emmanuel Macron en tant que chef d'Etat au Burkina Faso avait été marquée par une autre polémique, née d’une plaisanterie sur le président burkinabè lors d'un débat organisé avec les étudiants de l'université de Ouagadougou, où Emmanuel Macron était venu faire un discours sur sa vision de la politique africaine de la France. Le président français Emmanuel Macron s'exprime à l'université de Ouagadougou, à Ouagadougou, le 28 novembre 2017, lors de son premier voyage en Afrique depuis son élection. (AFP / Ludovic Marin)Interrogé sur les coupures d'électricité affectant la climatisation de l'université, M. Macron avait répliqué à une étudiante : "Mais moi je ne veux pas m'occuper de l'électricité (...) c'est le travail du président du Burkina Faso !" Le président français ayant aperçu Roch Kaboré en train de quitter la salle, il l’avait interpellé sur le ton de la plaisanterie. "Du coup il s'en va... Reste là !", avait-t-il lâché, avant de lancer à l'assistance: "Du coup il est parti réparer la climatisation !"Interrogé sur un possible impair diplomatique, Emmanuel Macron avait à l’époque jugé "ridicule" la polémique provoquée par ses propos. "Nous plaisantons ! Cela l'a fait rire, tout ça est ridicule ! Le rire est une relation d'égal à égal", avait-il plaidé sur France 24 et RFI.
(fr)
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