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Des publications Facebook, partagées près de 40 000 fois sur Facebook en trois semaines, prétendent montrer la photo d'un "nid de tiques", et incitent les internautes à les "brûler" s'ils les rencontrent en forêt. Mais selon les experts interrogés par l'AFP cette photo ne peut pas montrer des oeufs de ces acariens, dont certaines espèces sont responsables de la transmission de certaines pathologies en France. Capture d'écran Facebook prise le 27/05/2020Sur la photo qui accompagne cette publication, un amas de ce qui ressemble à des oeufs bleus foncé ou noirs, est visible sur un sol, visiblement en l'extérieur. "Ceci est un nid de tiques. Il y en a de plus en plus et ceci menace la vie de plusieurs animaux en forêt! Vous devez les brûler immédiatement!", affirment les publications, alors que nous sommes en plein dans la période de vigilance concernant ces acariens. Il existe un peu moins de 900 espèces de tiques différentes dans le monde dont 41 sont présentes en France. La plus répandue étant Ixodes Ricinus, "susceptible de s’infecter ou de transmettre un ou plusieurs agents pathogènes dont les agents de la maladie de Lyme mais également le virus de l'encéphalite à tiques", comme l'explique ici l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Les tiques en général sont répandues partout en France (bien que certaines espèces ne survivent pas dans certains climats), surtout en dessous de 1500 m d’altitude. Elles vivent dans des zones boisées et humides, les herbes hautes des prairies, les jardins et les parcs forestiers ou urbains. Les contaminations humaines sont plus fréquentes à la période d’activité maximale des tiques, en France entre le début du printemps et la fin de l’automne, selon Santé publique France. Mais les experts contactés par l'AFP réfutent l'idée que cette photo montre un "nid de tiques".Taille et couleur"Premièrement les tiques ne font pas de nid", ont tenu à préciser les scientifiques interrogés par l'AFP. En effet pour se reproduire, la tique au stade de larve fait un premier "repas de sang" en s'accrochant à un animal, elle devient alors une nymphe, fait un deuxième repas de sang et passe au stade de la tique "adulte". Enfin, les femelles adultes font un dernier repas de sang, au terme duquel elles éclatent et meurent, libérant au cours de plusieurs semaines des milliers d'oeufs. A chaque stade d'évolution, de nombreuses tiques meurent sans parvenir au stade suivant. Concernant la photo : "il ne s'agit pas d’œufs de tiques. Je ne sais pas ce que c'est, mais les œufs sont beaucoup trop gros et noirs (les œufs d'Ixodes ricinus, l'espèce la plus commune chez nous, font moins d'1 mm)", explique à l'AFP Jonas Durand, ingénieur au sein du programme de recherche collaboratif CiTique, rattaché à l’Institut de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui étudie les tiques et les agents infectieux qu'elles transmettent."Vu la taille, ça ne peut absolument pas être des oeufs de tiques, je suis formel", renchérit le Dr. Olivier Plantard, responsable de l'équipe de recherche "Tiques et pathogènes transmis par les tiques", sous la double tutelle de l'Inrae et de l'école nationale vétérinaire Oniris Nantes. (AFP / Jean-christophe Verhaegen)"Ca me paraît un peu gros effectivement", abonde le Dr. Gwenaël Vourc'h, spécialiste en épidémiologie vétérinaire et directrice de recherche au Centre INRAE Clermont-Auvergne-Rhône-Alpes. "Nous, on passe notre temps à étudier les tiques, et on n'en a jamais vu dans la nature" (des oeufs de tiques, NDLR), poursuit-elle. "C'est de l'ordre du demi-millimètre, ce serait une prouesse d'en observer comme ça". "Les pontes s'observent rarement dans la nature car elles se trouvent dans la litière des feuilles et présentent un bon mimétisme avec la végétation", confirme Nathalie Boulanger, enseignante-chercheur en parasitologie à l'université de Strasbourg, et entomologiste médicale au Centre National de Référence Lyme. "Les tiques pondent plutôt dans des crevasses pour protéger les œufs de la dessication et des prédateurs. Je n'en ai personnellement jamais trouvé dans la nature. La couleur non plus ne correspond pas. Ce serait plutôt des pontes de batraciens", souligne le Dr Laurence Malandrin, spécialiste des maladies transmises par les tiques, chargée de recherche à l'INRA, et qui fait également partie de l'équipe de recherche "Tiques et pathogènes transmis par les tiques. "Cela semble fortement être des œufs de grenouilles non ingérés comme on en rencontre parfois. A ce stade et dans ce cas, c’est généralement le résultat d’une prédation par un mustélidé (loutre, putois, vison, etc…) ou un oiseau (rapaces, corvidés, échassiers, etc..)", juge le professeur Alexandre Teynié, herpétologue à l'INRAE. Olivier Plantard estime de son côté qu'il peut peut-être également s'agir d'oeufs de lompe, placés au sol.On retrouve la même photo sur d'autres publications, plus complètes, et accompagné d'un second cliché semblant montrer un amas d'oeuf marron clair (à gauche sur la publication ci-dessous). Capture d'écran Facebook, prise le 26/05/2020Dans ce cas précis, "on voit une vraie photo de femelle de tique en train de pondre des œufs : on peut voir que les œufs sont beaucoup plus petits et sont de couleur clair", confirme Jonas Durand, à l'instar des autres chercheurs contactés par l'AFP.Brûler des "oeufs" ? DéconseilléEn revanche tous s'accordent à dire que le conseil de brûler des "oeufs" trouvés dans la nature, est au mieux inadapté, au pire dangereux. "La question ne se pose pas car on en trouve rarement. Si on en trouvait, en période de sècheresse, je ne proposerais pas de les brûler. De toute façon, ce n'est pas le brulis d'une ponte qui permettra de maîtriser la population des tiques mais une approche plus globale", souligne Nathalie Boulanger."Il est presque impossible d'en trouver mais détruire ces oeufs aurait de toute façon un effet presque nul sur la population de tiques en France", estime Olivier Plantard. "Recommander de brûler quoique ce soit en forêt est très dangereux avec les températures que nous avons ces dernières années : vous risqueriez plutôt de provoquer un feu de forêt ! Cela tuerait effectivement beaucoup de tiques mais ce ne serait pas la seule conséquence", abonde Jonas Durand. "Vous n'avez pas besoin de détruire ces œufs car cela n'aura pas de grande influence sur la population de tiques présente à cet endroit. De plus, vous ne saurez probablement pas les reconnaitre et vous détruiriez probablement les œufs d'un autre animal", alerte-t-il.Dans sa charte, l'Office national des forêts rappelle qu'il est strictement interdit d'allumer un feu en forêt, et conseille plutôt d'appliquer des gestes de précaution pour se prémunir d'une piqûre de ces acariens. "Pensez à vous couvrir les bras et les jambes avec des vêtements longs et des extrémités fermées pour empêcher les tiques de passer sous le tissu. Se protéger la tête est également important car la détection des tiques sur le cuir chevelu s'avère compliquée", recommande l'ONF, qui conseille également d'"inspecter minutieusement votre corps, notamment les aisselles, les plis de peau, le cuir chevelu, le derrière des oreilles et le cou", en rentrant d'une sortie en forêt. Attention aux symptômes...et aux jardinsEn cas de piqûre de tique, pour la retirer, évitez la méthode du coton et du savon. Les recommandations de Santé publique France, affiliée au ministère de la Santé, sont claires :"Il faut retirer la tique le plus rapidement possible à l’aide d’un tire-tique et surveiller la zone piquée pendant un mois. Si une plaque rouge et ronde apparaît ou s’il existe des signes inhabituels (fatigue, paralysie, etc.), il faut consulter sans tarder un médecin. Un traitement antibiotique pourra alors être prescrit".Depuis 2016, un plan de lutte contre la maladie de Lyme a été lancé en France, afin d'améliorer le diagnostic et la prise en charge de cette affection complexe. Elle provoque dans certains cas des troubles invalidants et douloureux, notamment neurologiques, articulaires et musculaires. Le nombre de nouveaux cas de maladie de Lyme a connu une augmentation significative en 2018, avec plus de 104 cas pour 100 000 habitants contre 69 pour 100 000 en 2017 selon Santé publique France.En février 2020, plusieurs associations comme la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques (FFMVT), qui réclament des mesures urgentes dans ce domaine, ont regretté le manque d’avancées de ce plan, critiquant sa "lenteur exaspérante". Pour mieux comprendre les conditions de vie de ces parasites amateurs de sang frais, leurs interactions avec leur environnement, dans quelles conditions ils se développent et où le risque de se faire piquer est le plus grand, les chercheurs comptent sur le programme de recherche participative Citique, coordonnée par l'Inrae et son application "Signalement Tique" dont une nouvelle version est maintenant disponible.N'importe qui peut y signaler ses piqûres, puis envoyer les tiques piqueuses, dont les chercheurs manquent cruellement.Enfin il ne faut pas penser que le risque de se faire piquer par une tique n'existe qu'en forêt ou dans un champ. "30% des signalements de piqûres d'être humains que nous recevons dans le cadre du programme de recherche participative CiTIQUE proviennent de jardins privés. Il faut donc aussi faire attention dans des milieux plus familiers", souligne Jonas Durand.Edit du 28/05 : corrige coquille
(fr)
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