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Une photo en noir et blanc de Charles de Gaulle, les bras croisés, a été partagée plus de 600 fois sur Facebook au Mali depuis le 16 janvier. Elle est utilisée par les internautes pour affirmer que le général français "a dirigé la France pendant 14 ans" entre 1944 et 1958, sans élection légitimant sa présence au pouvoir. Ceux-ci font le parallèle avec la situation au Mali, où la junte prévoit de continuer à diriger le pays pendant plusieurs années sans organiser d'élection. Pourtant, cette analogie n'est pas pertinente selon plusieurs historiens consultés par l'AFP: Charles de Gaulle n'a pas dirigé la France entre ces deux dates.Le général de Gaulle, les bras croisés, fixe l'objectif. Cette image en noir et blanc est surmontée de deux phrases qui affirment que le "militaire (aurait) dirigé la France pendant 14 ans", entre 1944 et 1958, avant "d'organiser des élections libres pour revenir à la 'légalité' dans le cadre de la 5e République".Les internautes qui partagent cette image l'agrémentent de différents commentaires: l'un d'entre eux demande "quelle leçon peut-on recevoir de la France?", tandis qu'un autre appelle "Macron, le dirigeant français aussi les chefs d'etat de la Cedeao (sic)" à "venir lire" ce court texte. Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 24 janvier 2022Tous, y compris les internautes dans les commentaires, utilisent cette affirmation pour s'indigner du soutien de la France à la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) qui a pris une batterie de mesures économiques et diplomatiques à l'encontre du Mali.Ces mesures sanctionnent notamment le fait que la junte soit revenue sur sa promesse d'organiser le 27 février prochain des élections présidentielle et législatives qui auraient ramené des civils à la tête du pays.Selon les nombreux internautes qui commentent ces publications partagées plus de 600 fois depuis le 16 janvier (1, 2, 3, 4...), la France appliquerait une politique de "deux poids, deux mesures" en critiquant la junte, puisque le général de Gaulle aurait "dirigé la France pendant 14 ans" sans élections. "On n'en parle pas ça", approuve l'un d'entre eux; "Ils viennent donner quelle leçon au Mali et en Afrique?", interroge un autre. "La forces des archives! La France dégage!", s'indigne un autre. Captures d'écran de commentaires Facebook, réalisées le 24 janvier 20211944-1946: le général de Gaulle, fondateur de la France libre puis chef du gouvernement provisoirePourtant, selon plusieurs historiens consultés par l'AFP, cette affirmation est fausse: le général de Gaulle n'était pas au pouvoir en France entre 1944 et 1958. "Il n'a pas dirigé la France de 1944 à 1958", a déclaré à l'AFP le 20 janvier Frédérique Neau-Dufour, historienne spécialiste du général de Gaulle et notamment co-autrice d'une bande dessinée biographique chez Glénat/Fayard."C'est exactement l'inverse de la situation historique", a abondé Vincent Giraudier, chef de département au musée de l’Armée en charge de l’Historial Charles de Gaulle, auprès de l'AFP le 21 janvier. "Il quitte le pouvoir le 20 janvier 1946, et il revient au pouvoir en 1958 après l'insurrection en Algérie qui a lieu cette année-là", précise encore Frédérique Neau-Dufour.Le général fonde la France libre en 1940 et à partir de là, "il n'a eu de cesse d'essayer de lui donner une légitimité non pas électorale parce qu'on ne pouvait pas organiser des élections, mais démocratique, en créant l'Assemblée consultative à Alger, en faisant siéger dans cette Assemblée tous les représentants de tous les partis de gauche, de droite, les syndicats", détaille Frédérique Neau-Dufour. Un procédé qui montre pour l'historienne "une volonté de légitimer aux yeux du monde une vraie volonté démocratique".Le 3 juin 1944, cette France libre dirigée par un Comité français de libération nationale devient le gouvernement provisoire de la République française. Charles de Gaulle devient donc "chef de gouvernement provisoire".Il restera à cette fonction jusqu'à ce qu'il démissionne deux ans plus tard "parce qu'il est isolé par rapport aux partis, par rapport à l'Assemblée nationale, avec les grands partis et en particulier le Parti communiste qui lui est hostile", explique l'historienne. De 1944 à 1946, contrairement à ce que les publications affirment, le général de Gaulle dirige donc "légalement" la France "à partir du rétablissement de la légalité républicaine à l'été 1944", résume Vincent Giraudier. 1946-1953: fondation d'un "mouvement" politiqueLorsqu'il quitte le pouvoir, le général "est absolument convaincu que, très vite, la République, la France vont le rappeler", souligne Guillaume Piketty, professeur titulaire d'histoire au Centre d'Histoire de Sciences Po, auprès de l'AFP le 21 janvier.Sauf que l'homme politique est "sur la touche", note l'historien, en désaccord avec le régime parlementaire qui est mis en place par le projet de Constitution adopté en octobre 1946.Un an plus tard, le général fonde le Rassemblement du peuple français (RPF), un mouvement qui "jusqu'à 1951 est une force politique avec laquelle il faut vraiment compter" et qui va "notamment connaître de beaux succès aux élections municipales d'octobre 1947", poursuit Guillaume Piketty. Attention cependant: si le RPF dirige de grandes villes françaises, il ne se trouvera jamais en capacité de contrôler le Sénat ou l'Assemblée nationale. "Rien à voir donc avec la possibilité de diriger un gouvernement" pendant cette période, insiste cet expert. 1953-1958: période de "vaches maigres" "La période du 20 janvier 1946 au mois de mai 1958 est ce qu'on va appeler symboliquement la 'traversée du désert', parce qu'elle correspond pour De Gaulle à une période de vaches maigres politique", reprend Frédérique Neau-Dufour. Mais c'est au début des années 1950, lorsque le RPF qu'il a fondé "va péricliter", que "c'est vraiment la traversée du désert" pour le général, selon l'historienne. Le militaire en tire les conséquences et dissout son mouvement en 1955."Il est alors essentiellement basé à Colombey-les-deux-églises [son lieu de résidence jusqu'à sa mort, ndlr], il va à Paris une fois par mois environ (...) et donne quelques audiences mais il n'existe pas" politiquement, rappelle Guillaume Piketty. Pendant cette période et jusqu'en 1959, un an après son retour au pouvoir, il publie ses "Mémoires de guerre", "un moyen de se rappeler au bon souvenir des Français et de faire à nouveau valoir l'importance de son action pendant la Seconde Guerre mondiale", juge l'historien. "C'est la crise en Algérie qui détermine le président de la République [René Coty, ndlr] à faire appel à lui pour qu'il revienne", note Vincent Giraudier, de l'Historial De Gaulle. Dans une "ambiance de coup d'Etat", comme la qualifie Guillaume Piketty, le général est rappelé par le pouvoir français, secoué par les militaires favorables à l'Algérie française. Il est alors investi comme chef du gouvernement par "une large majorité" à l'Assemblée nationale, en juin 1958 , en posant les conditions de son retour au pouvoir : les pleins pouvoirs pour gérer la crise et un changement de Constitution vers un régime présidentiel, qui est approuvé par 80% des Français lors d'un référendum quelques mois plus tard.Dernier Président du conseil - l'équivalent du Premier ministre actuel - de la IVe république, le général de Gaulle se fera par la suite élire en tant que premier Président de la Ve république en décembre 1958. Revenu dans un contexte de crise à la tête de la France, le général de Gaulle n'a donc pourtant pas pris le pouvoir d'une manière comparable à celle de la junte malienne. Si en 1958 une partie de la gauche "hurle à la dictature" selon Vincent Giraudier, des élections organisées très rapidement après ce rappel à la tête du pays ont montré qu'une majorité des votants étaient favorables à ce retour.Extrême tension entre Paris et BamakoCette infox circule dans un contexte d'extrême tension entre la France et le Mali. Les relations sont exécrables entre la junte au pouvoir à Bamako et Paris et posent la question du maintien d'une présence française et européenne au Mali, même si l'option d'un retrait est peu évidente, entre campagne présidentielle et présidence française de l'Union européenne.Depuis le début de l'année 2022, les putschistes maliens ont franchi l'une après l'autre les lignes rouges fixées par les pays voisins et les partenaires étrangers du Mali: refus d'organiser des élections à brève échéance en vue de rendre le pouvoir aux civils, et recours au sulfureux groupe paramilitaire russe Wagner, réputé proche du Kremlin, selon les Occidentaux, ce que dément la junte. Un Griot - une caste de conteurs, de chanteurs et d'historiens oraux - porte un drapeau russe, un portrait du président malien Assimi Goïta et une pancarte souhaitant "bonne fêtes les armées Maliennes" lors d'une cérémonie pour la fête de l'armée nationale à Kati, le 20 janvier 2022. ( AFP / FLORENT VERGNES) C'est dans ce contexte que les fake news comme celle-ci, "destinées au public malien pour montrer combien la France joue un double jeu", circulent, soulignait pour l'AFP le 21 janvier Ibrahim Yahaya Ibrahim, analyste senior à l'International Crisis Group (ICG) spécialisé dans l'étude des conflits au Sahel. Mais ces rumeurs prolifèrent en réalité "dans toute la sous-région", insiste cet expert."Les réseaux sociaux n'ont pas inventé le discours anti français mais l'ont amplifié à un niveau jamais atteint par le passé", poursuit Ibrahim Yahaya Ibrahim, qui estime néanmoins que les voix "moins controversées, moins extrêmes, peinent à se faire entendre" en ligne mais "sont probablement majoritaires" dans le pays.
(fr)
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