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Une commission d'enquête sur les soupçons de corruption au Parlement européen par le Qatar sera bien créée, comme l'ont voté les députés européens le 15 décembre. Pourtant, quelques jours plus tard, plusieurs publications sur Twitter ont déclaré qu'une majorité d'entre eux avait voté contre sa mise en place. En réalité, ces députés ont uniquement rejeté un amendement du groupe d'extrême droite Identité et Démocratie (ID) qui demandait la création "immédiate" d'une telle commission. Un amendement contraire au Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, comme l'ont indiqué le service de presse du Parlement européen et l'ONG Transparency International à l'AFP. En revanche, une commission sera bien créée "à l’issue des enquêtes pénales et des éventuelles procédures judiciaires", comme le décrit la résolution du Parlement du 15 décembre. "436 députés contre 125 refusent de créer une commission d'enquête , sur la corruption au sein de l'Institution, sont-ils tous corrompus ?". Alors que le Parlement européen est frappé par les soupçons de corruption depuis les révélations de versements d'argent par le Qatar auprès d'eurodéputés, plusieurs publications sur Twitter partagées quelques milliers de fois prétendent que l'organe parlementaire a rejeté les demandes de commission d'enquête. Ce rejet démontrerait la "corruption généralisée" au sein de l'institution, comme le soutient un autre tweet partagé plus de 600 fois depuis le 20 décembre. Dans ce scandale qui a provoqué une onde de choc au Parlement européen et des tensions entre le Qatar et l'UE, quatre suspects, dont l'eurodéputée grecque Eva Kaili, ont été incarcérés par la justice fédérale belge après une inculpation pour "participation à une organisation criminelle", "blanchiment d'argent" et "corruption".Une commission d'enquête après le travail de la justicePour autant, le Parlement européen a bien voté une résolution, dans laquelle est prévue la mise en place future d'une commission d'enquête. Soutenue par la majorité des groupes parlementaires (Renew, Verts, PPE, S&D, The Left, ECR), cette résolution a toutefois été rejetée par le groupe d'extrême-droite Idée et démocratie (ID), dont fait partie le Rassemblement national (RN).Comme précisé dans le document adopté, le Parlement s'est engagé "à créer une commission d’enquête", "à l’issue des enquêtes pénales et des éventuelles procédures judiciaires" en cours. Cette commission aura pour objectif "d’enquêter sur les cas de corruption et d’abus de pays tiers en vue d’une prise d’influence au Parlement européen". Plusieurs articles, dont une dépêche de l'AFP ont aussi mentionné l'adoption de la résolution et la mise en place future d'une telle commission. Un amendement du groupe ID rejetéD'où sont donc issues ces fausses affirmations ? D'une mauvaise interprétation des déclarations d'eurodéputés français du groupe ID.Le nombre de 436 députés ayant prétendument rejeté la commission d'enquête selon les tweets en question fait en réalité référence au nombre de députés européens ayant voté contre un amendement du groupe ID le 15 décembre.L'amendement en question demandait au Parlement la mise en place d'une commission d'enquête dans les plus brefs délais, à savoir dès "la prochaine session plénière", en vertu de l'article 226 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.Dès l'amendement rejeté, de nombreuses personnalités à l'extrême droite, comme la députée du Rassemblement national Virginie Joron, le président du RN Jordan Bardella, et le député Nicolas Dupont-Aignan (Debout La France) ont dénoncé le refus du Parlement européen de mettre en place "immédiatement" une commission d'enquête. Tweet de Virginie Joron, députée du Rassemblement national au sein du groupe ID (Capture d'écran du 22/12/2022)"En refusant la création d’une commission d’enquête parlementaire dès aujourd’hui sur le #QatarGate comme nous l’avons proposé, le Parlement européen cherche à enterrer l’affaire", a notamment déclaré le nouveau président du RN, sur le plateau de Quelle Epoque sur France 2, le 18 décembre.Impossible de créer une commission quand une procédure judiciaire est en coursMais était-il seulement possible de créer une telle commission "immédiatement" ? Non, au vu du règlement européen. L'article 226 sur lequel s'appuyait l'amendement dispose en effet que le Parlement européen ne peut pas constituer de commission "si les faits allégués sont en cause devant une juridiction et aussi longtemps que la procédure juridictionnelle n'est pas achevée". Comme l'a aussi précisé le service de presse du Parlement européen à l'AFP le 23 décembre, une commission temporaire d'enquête ne peut examiner des faits en cause devant une juridiction nationale ou communautaire avant que celle-ci ne soit achevée. Cette règle est rappelée dans le règlement intérieur du Parlement européen, (article 2, alinéa 3). L'article 226 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (capture d'écran du 22/12/2022)Cette raison a aussi été invoquée par l'ONG Transparency International, qui met en avant une raison "juridique et légale". "L'article 226 dit bien que la commission d'enquête ne peut pas être constituée si les faits sont en cause devant une juridiction, ou aussi longtemps que la procédure juridictionnelle n'est pas terminée", explique Shari Hinds, policy assistant pour Transparency International EU à l'AFP le 22 décembre. Des réformes "d'ampleur" pour le Parlement européen en 2023En plus de la future commission d'enquête, le Parlement a aussi pris d'autres mesures face aux accusations.La présidente du Parlement européen Roberta Metsola a annoncé le 15 décembre des réformes "d'ampleur" pour 2023, lors d'un sommet européen à Bruxelles, mentionnant en particulier le renforcement de la protection des lanceurs d'alerte et l'interdiction des groupes d'amitié non-officiels avec des pays tiers. Si une commission d'enquête n'est pas encore possible, le Parlement a par ailleurs préconisé dans sa résolution du 15 décembre de mettre en place une commission spéciale à même de travailler pendant l'enquête de la justice belge, afin "de détecter les lacunes potentielles du règlement intérieur du Parlement européen en matière de transparence, d’intégrité et de corruption". Le même jour, les eurodéputés ont voté à la quasi-unanimité un texte dans lequel ils demandent "instamment la suspension des titres d'accès des représentants d'intérêts qatariens" le temps des enquêtes judiciaires. Cette décision doit ensuite être prise par la présidente du Parlement européen. Se disant "consterné(s)" par ces actes présumés de corruption et de blanchiment d'argent, les eurodéputés ont aussi décidé de suspendre "tous les travaux sur les dossiers législatifs relatifs au Qatar", en premier lieu ceux concernant une libéralisation des visas pour le Qatar et le Koweit et un accord sur l'aviation. Eva Kaili, au Parlement européen, le 7 décembre 2022 ( EUROPEAN PARLIAMENT / Eric VIDAL)Le Parlement européen a par ailleurs déchu mardi de sa vice-présidence l'eurodéputée grecque Eva Kaili, soupçonnée d'être impliquée dans ce scandale et toujours détenue. Le 22 décembre, la justice belge a même prolongé sa détention provisoire d'un mois. Son compagnon, Francesco Giorgi, est également en détention préventive, de même que l'ancien eurodéputé Pier-Antonio Panzeri. Une quatrième personne, Niccolo Figa-Talamanca, responsable de l'ONG "No Peace Without Justice", a aussi été maintenu en détention.
(fr)
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