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Deux photos de véhicules blindés circulent massivement sur les réseaux sociaux au Sénégal. Selon les internautes qui les partagent, elles montrent "l'armée française" qui "s'invite" au Sénégal pour "réprimer la résistance sénégalaise", en réponse aux manifestations qui agitent le pays depuis l'arrestation de l'opposant politique Ousmane Sonko le 3 mars. Or, ces images montrent respectivement l'armée française au Tchad et l'armée sénégalaise positionnée dans les rues de Dakar. Les troubles qui ont secoué le Sénégal ces derniers jours ont fait au moins cinq morts.Sur une première photo, un char d'assaut apparaît le canon braqué vers l'avant: trois militaires, dont un conducteur blanc, sont montés à son bord. Sur une deuxième, des véhicules blindés remontent une large rue en file indienne, sous les yeux des passants. C'est "l'armée coloniale française" venue voler "au secours" du président sénégalais Macky Sall, s'indigne l'internaute qui partage ces deux images sur Facebook.Le Sénégal traverse une crise politique d'une rare intensité depuis l'arrestation du principal opposant politique Ousmane Sonko le 3 mars. Cette interpellation a entraîné de violentes manifestations, durant lesquelles des intérêts français (Auchan, Total, Eiffage...) ont été pillés ou incendiés. Capture d'écran d'une publication Facebook réalisée le 10 mars 2021Les deux photos ont été partagées plusieurs centaines de fois sur Facebook depuis le 6 mars (1, 2, 3, 4…), ensemble ou individuellement. Elles sont accompagnées de textes évoquant la remise en question de la souveraineté du Sénégal et l'intervention de troupes françaises en appui au pouvoir en place.Dans les commentaires, les internautes s'inquiètent de la présence d'une armée étrangère sur leur sol ("Pauvre Afrique") et dénoncent l'impérialisme supposé de la France ("Charte de l'impérialisme toujours vivante et appliquée").Cette méfiance vis-à-vis d'une intervention supposée de l'Hexagone imbibe les réseaux sociaux, où circulait déjà le 3 mars un faux tweet d'Emmanuel Macron annonçant le déploiement de 1.500 militaires français sur le sol sénégalais.Char français au Tchad, blindés sénégalais à DakarPourtant, aucune des deux photos en question ne montre l'armée française intervenant au Sénégal. Une recherche d'images inversée sur le moteur de recherches Google Image avec la première photo permet de retrouver son origine: comme en atteste le site web de l'ambassade française au Tchad, elle a été prise fin janvier 2021, lors d'une "cérémonie officielle" au cours de laquelle "la France a livré 9 ERC-90 [blindés français légers] à l’armée nationale tchadienne". Capture d'écran du site web td‧ambafrance.org, réalisée le 10 mars 2021La seconde photo, quant à elle, a bien été prise au Sénégal. Mais elle montre des blindés appartenant à l'armée sénégalaise, et pas à la France. Une recherche d'images inversée sur le moteur de recherches Google Image conduit à un article du média sénégalais Emedia, où la photo est publiée en meilleure qualité et le photographe, Pape D. Diallo, est crédité.Selon ce média, ces images montrent "le déploiement de l'armée [sénégalaise] à Dakar" le 8 mars, "au Plateau, en passant par Centenaire et Colobane", quartiers situés dans le sud de la capitale. Capture d'écran du site emedia‧sn, réalisée le 10 mars 2021Capture d'écran du site emedia‧sn, réalisée le 10 mars 2021Quelques indices dans l'image permettent de confirmer qu'elle a bien été prise à Dakar. A l'arrière-plan, un logo arborant les lettres "TMC" accompagné d'une flèche indiquant l'emplacement d'une boutique, permet de retrouver l'enseigne qu'ils promeuvent, Touba Mondial Cosmetics.Cette entreprise sénégalaise possède plusieurs magasins à Dakar. Un rapide passage en revue de leurs emplacements permet de localiser le passage des blindés devant une boutique située avenue Georges Pompidou, dans le quartier du Plateau. Les signes indiquant la présence du magasin TMC (en bleu), l'architecture du balcon qui le surplombe (en vert), le lampadaire (en rouge) et la présence du même bâtiment blanc en arrière-plan (en jaune) confirment qu'il s'agit du même endroit. Capture d'écran du site web emedia‧sn, réalisée le 10 mars 2021Capture d'écran de Google Maps réalisée le 10 mars 2021Contacté le 10 mars par l'AFP, M. Diallo a confirmé être l'auteur de la photo. Cette dernière a été prise "en ville, dans l'avenue William Ponty [également nommée avenue Georges Pompidou] à Dakar" le 8 mars au matin, "lorsqu'Ousmane Sonko devait être libéré", a-t-il raconté. Il précise n'avoir "pas eu à constater [la présence de] l'armée française", uniquement "l'armée sénégalaise".L'image du photographe, de meilleure qualité que celle partagée sur Facebook, permet de fait de distinguer la présence de petits drapeaux sénégalais sur les plaques d'immatriculations des deux premiers véhicules. Ces plaques suivent le même format d'immatriculation que celles des véhicules militaires sénégalais, comme le répertorie ce site. Capture d'écran du site web emedia‧sn, réalisée le 10 mars 2021Capture d'écran du site web plaque.free.fr, réalisée le 10 mars 2021Contactée par l'AFP le 10 mars, la Direction de l'information et des relations publiques de l'armée sénégalaise (Dirpa) confirme que le véhicule blindé en photo dans cette publication appartient au Sénégal. Il s’agit d’"un véhicule blindé de transport de troupes l'infanterie type "Bastion"", "fabriqué par la firme française ACMAT", a précisé la Dirpa.Comme l'atteste ce tweet de la Dirpa daté du 9 mars, les blindés de l'armée sénégalaise étaient positionnés ces derniers jours dans le quartier du Plateau (sud), à Dakar, qui accueille le palais présidentiel ainsi que plusieurs autres centres de pouvoir.En soutien à la Police et la Gendarmerie nationales, les Armees participent depuis le 7 mars 2021 au rétablissement de l'ordre public, en protégeant des édifices publics et points sensibles prioritaires sur l'ensemble du territoire national. pic.twitter.com/66hLS5fSzP — DIRPA (@CHEFDIRPA) March 9, 2021Pire crise politique depuis 2012Le Sénégal est le théâtre d'affrontements entre jeunes et forces de l'ordre, de pillages et de saccages depuis l'arrestation d'Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux candidats à celle de 2024. Cet événement a déclenché les pires affrontements que le Sénégal ait connus depuis 2012. Des manifestants se rassemblent place de la Nation à Dakar, le 8 mars 2021, après que l'opposant politique Ousmane Sonko a été inculpé pour viols. (AFP / John Wessels)M. Sonko a été inculpé le 8 mars dans un dossier de viols présumés ouvert à la suite d'une plainte déposée par une employée d'un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser. Le juge l'a laissé rentrer chez lui en le plaçant sous contrôle judiciaire. L'opposant crie au complot, accusant M. Sall de vouloir l'écarter de la prochaine présidentielle, ce que le chef de l'Etat a réfuté. Les tensions sont retombées au moins temporairement le 9 mars, au lendemain de la libération de M. Sonko et d'une allocution du président Macky Sall appelant à "l'apaisement". Lors d'un point presse, M. Sonko a appelé ses sympathisants à renforcer leur "mobilisation", tout en réclamant que la "révolution" selon lui en cours soit "pacifique". Le principal opposant politique sénégalais Ousmane Sonko, inculpé pour viols, s'exprime face aux médias au sein du quartier général de son parti à Dakar, le 8 mars 2021, après avoir été libéré sous contrôle judiciaire. (AFP / Seyllou)Le même jour, le collectif sénégalais de contestation Mouvement de défense de la démocratie (M2D), qui soutient l'opposant, a appelé à des manifestations "pacifiques" à Dakar et dans tout le pays le 13 mars pour réclamer la libération des prisonniers qu'il qualifie de "politiques".Dans un communiqué lu devant la presse, le M2D a aussi appelé à une journée de deuil national en hommage aux personnes tuées dans les troubles qui ont eu lieu depuis le 3 mars. Selon un décompte de l'AFP, cinq personnes au moins ont perdu la vie dans ces affrontements.
(fr)
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