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Plusieurs historiens ont expliqué à l'AFP qu'il n'existe aucune preuve historique permettant d'affirmer que l'empereur Constantin le Grand ait ordonné la mort de "45 000 chrétiens" croyant en la "réincarnation", contrairement à ce qu'affirment des publications partagées des milliers de fois sur Facebook, et qu'il n'a pas non plus "créé" la Bible. Selon ces spécialistes, ce texte comporte de nombreuses approximations et plusieurs des dates présentées ne correspondent à rien de connu."En 325, au concile de Nicée, Constantin le Grand créa l'Église catholique après un génocide de 45 000 chrétiens, où il les tortura pour qu'ils renoncent à la Réincarnation. En même temps les livres religieux de tous les villages de l'empire sont collectés et créent ainsi la Bible", assure l'auteur de cette publication trompeuse, partagée près de 7.000 fois depuis le 20 mars 2022, qui poursuit: "En 327, Constantin, connu comme l'empereur de Rome, ordonna à Jérôme de traduire la version Vulgate en latin, en changeant les noms propres hébreux et en falsifiant les écritures". Suit une série de dates censées marquer l'apparition de différents dogmes et règles du christianisme: "En 594, le purgatoire est inventé, en 610, le titre de PAPE est inventé", etc. Capture d'écran réalisée le 08/07/2022 sur FacebookCe texte, relayé sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années, a notamment été partagé au Cameroun, en Côte d'Ivoire et en France. Pourtant, il comporte des éléments complètement faux ainsi que de nombreuses approximations, ont expliqué plusieurs historiens à l'AFP: Constantin le Grand, s'il est bien considéré comme le premier empereur chrétien, n'est pas à l'origine de la création de l'Eglise catholique ou de la Bible. Rien n'indique non plus qu'il ait fait tuer "45 000 chrétiens". Par ailleurs, plusieurs dates listées dans cette publication ne correspondent à rien de connu. Constantin le Grand, premier empereur chrétienConstantin le Grand, considéré par les historiens comme le premier empereur chrétien, s'est converti quelques années après avoir été proclamé empereur (en 306), mais n'a été baptisé que sur son lit de mort, en 337. Durant son règne, il a néanmoins favorisé l'essor de cette religion en accordant notamment, via l'édit de Milan en 313, la permission aux chrétiens de pratiquer librement leur religion.Le concile de Nicée (325) a été un moment important de l'histoire de la chrétienté. Premier concile oecuménique, rassemblant des représentants de divers courants du christianisme, il fut organisé par Constantin pour résoudre plusieurs questions dogmatiques qui divisaient les croyants et unifier certaines procédures - comme la nomination des évêques ou le jour de la célébration de la fête de Pâques.Cependant, il ne s'agit pas de la "création de l'Eglise catholique" comme l'affirment les publications que nous vérifions, mais plutôt du "début d'un long processus avant que le christianisme ne devienne une religion d'Etat", a commenté Régis Burnet, professeur de théologie à l'Université catholique de Louvain (UCL), ajoutant que "l'église romaine catholique n'est pas centralisée avant le Moyen-Age". Comme l'explique Vincent Puech, maître de conférences en Histoire ancienne à l'université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, dans le résumé de son livre consacré à cet empereur: "Constantin a adopté le christianisme dès 312, mais il prit garde que la population de l’empire reste majoritairement païenne. Dans le domaine du culte impérial, il chercha à prohiber les sacrifices sanglants, mais se résolut à accepter d’autres manifestations et offrandes héritées du paganisme. La fondation de Constantinople reposa d’abord sur des cérémonies païennes, l’implantation de cultes romains et la préservation des cultes locaux. Enfin, la vaste gamme des cultes païens fut largement tolérée, à l’exception de pratiques jugées moralement dangereuses, qu’il s’agisse de magie, de divination ou de déviances sexuelles". "Constantin est considéré comme le premier empereur chrétien et en effet les personnes hostiles au christianisme lui en veulent d'avoir introduit cette religion dans l'Empire. Mais il l'a fait de façon très souple, il ne l'a pas imposée. Avant lui, il était illégal d'être chrétien, même si ça a été longtemps toléré tant qu'il n'y avait pas de provocation", a commenté Vincent Puech, interrogé par l'AFP le 29 juin 2022. Pas de trace d'un "génocide de 45 000 chrétiens" ordonné par Constantin Contrairement à ce qu'affirme la publication que nous vérifions, rien ne permet d'affirmer que Constantin le Grand ait été à l'origine du "génocide de 45 000 chrétiens", un chiffre qualifié de "délirant" par Vincent Puech: "La plus grande persécution de chrétiens a eu lieu quelques années avant l'arrivée au pouvoir de Constantin et on n'a aucun chiffre la concernant", a-t-il déclaré.Plus généralement, les historiens interrogés par l'AFP ont expliqué n'avoir pas connaissance de persécutions ordonnées par Constantin."Il y a eu des persécutions de chrétiens au IIIème siècle, mais beaucoup d'historiens ont renoncé à l'idée d'une persécution générale", a ajouté Régis Burnet, interrogé le 6 juillet 2022.Avant Constantin, "des empereurs ont ordonné des persécutions de chrétiens, mais elles n'ont pas fait autant de morts" qu'évoqué dans la publication, a ajouté Vincent Puech. "Quelques milliers de chrétiens ont été tués entre 304 et 308 parce qu'ils étaient chrétiens à l'époque où l'Empereur ne l'était pas", a également ajouté Claire Sotinel, professeure d'histoire ancienne à l'université de Paris-Est Créteil, interrogée le 29 juin par l'AFP.Quant à la question de la réincarnation, supposée être la raison de la persécution des chrétiens selon le texte que nous vérifions, il s'agissait "d'une opinion présente mais minoritaire au IIIème siècle", a expliqué Claire Sotinel. "Elle a été condamnée au IVème siècle, mais personne n'a été tué ou torturé pour ça". Dans le Dictionnaire des religions paru sous la direction de Paul Poupard et cité sur le site des Bibliothèques municipales de la ville de Genève, il est indiqué que "la croyance en la réincarnation a été admise par de nombreux peuples avec, chaque fois, des nuances particulières. […] Dans les milieux chrétiens des premiers siècles, la doctrine de la réincarnation, qui n'a aucun appui dans les Ecritures (quoi qu'on ait pu parfois en dire) n'a été soutenue par personne". Aujourd'hui, les chrétiens ne croient pas à la réincarnation mais à la résurrection de Jésus Christ, fêtée le jour de Pâques. La Bible existait bien avant Constantin Le texte que nous vérifions affirme également que l'empereur est à l'origine de la création de la Bible.Pourtant, il existait des exemplaires de la Bible bien avant Constantin, explique Claire Sotinel: "Le Canon des écritures a été constitué lors d'une série de plusieurs conciles au cours desquels ont été éliminés des évangiles et lettres apocryphes des apôtres. Tout cela est accompli au début du IIIème siècle, un siècle avant le règne de Constantin. Par ailleurs, ce travail consistait davantage à éliminer des textes qu'à en rassembler". L'empereur a néanmoins eu un rôle dans la constitution de la Bible puisqu'il tenta, durant son règne, d'en déterminer la meilleure édition possible, demandant notamment "à son évêque préféré, Eusèbe de Césarée, de lui procurer les meilleurs exemplaires possibles" via des collectes organisées dans les villes, a expliqué Vincent Puech. Quant à la Vulgate, il s'agit d'une traduction de la Bible en latin, réalisée par Jérôme de Stridon en 386, des années après le décès de l'empereur. Plutôt que de traduire le texte du grec au latin, comme le faisaient la plupart des traducteurs à l'époque, il la traduit depuis l'hébreu, langue dans laquelle furent écrits les premiers textes religieux du christianisme. "Saint Jérôme jugeait les traductions latines de la Bible fautives et voulait rendre les textes accessibles à tout le monde. Les spécialistes considèrent que son travail est vraiment vigoureux", explique Claire Sotinel. "Il a amélioré la traduction du Nouveau Testament et a procédé à une traduction à partir de l'hébreu alors que, jusqu'à présent, les latins lisaient l'ancien testament traduit du grec", a ajouté Régis Burnet.La révision des traductions en latin de la Bible fut confiée à Jérôme de Stridon par le pape Damase Ier. D'autres éléments faux, des dates approximativesAprès plusieurs paragraphes à propos de l'empereur Constantin, la publication se poursuit avec une liste de dates censées marquer l'apparition de plusieurs dogmes et règles de la religion chrétienne.Si certaines de ces dates correspondent à de véritables évènements, de nombreux éléments de cette liste ne sont que partiellement vrais, voire faux.Ce qui est faux L'auteur de cette publication affirme ainsi que le titre de pape a été inventé en 610. Mais "'pape', c'est une latinisation d'un vieux titre en hébreu. Il est utilisé bien avant 610", a expliqué Régis Burnet. En revanche, "il n'existe pas réellement de date à laquelle le pape devient chef de l'Eglise". Ce titre a peu à peu pris la place d'"évêque" pour désigner l'évêque de Rome et le chef spirituel des chrétiens. Le pape François bénit un enfant avant de célébrer la messe dans un stade de baseball à Nagasaki (Japon), le 24 novembre 2019 ( AFP / Vincenzo PINTO)"Le titre de Pape existe depuis longtemps. Il s'agit d'un titre d'honneur et non d'une fonction", a déclaré Claire Sotinel, qui n'a "pas connaissance de la création d'un titre de pape en 610". En 788, toujours selon ce texte, "le culte des divinités païennes est imposé". Il s'agit vraisemblablement d'une erreur, puisque les dieux païens sont plutôt condamnés dans la chrétienté: on peut considérer que l'auteur du texte voulait écrire "divinités non païennes", ou parler d'un culte proscrit.C'est également faux: la condamnation des dieux païens "se passe bien plus tôt, sous l'Empire romain", explique Claire Sotinel. "L'empereur Justinien, notamment, promulgua une loi interdisant de croire en autre chose que le Dieu des chrétiens". "Dès la fin de l'Antiquité, le christianisme est considéré comme la religion d'Etat par les empereurs romains et on interdit en théorie les cultes païens", a ajouté Nicolas Ruffini-Ronzani, médiéviste, docteur en histoire à l'université de Namur et aux archives de l'Etat belge, interrogé le 30 juin 2022.Par la suite, en 995, le sens du mot hébreu "kadosh", littéralement "être séparé",aurait été "changé en saint", selon cette publication. Cette affirmation n'a aucun sens, ont affirmé les historiens interrogés par l'AFP. Le mot "Kadosh", ou "Qadash", "a toujours été traduit en en latin par 'sanctus'", a expliqué Régis Burnet, qui n'a connaissance d'aucun changement particulier concernant ce terme et survenu en 995.Le texte affirme ensuite que le rosaire "est imposé" en 1090. Le rosaire est une forme de prière répétitive consistant à réciter cent cinquante fois la prière du "Je vous salue Marie". Il ne s'agit pas d'une pratique obligatoire dans la religion chrétienne."Non seulement le Rosaire n'est pas imposé par l'Eglise catholique, mais c'est une pratique qui date des dominicains (XIIIème siècle, ndlr)", a commenté Régis Burnet; "on dit souvent qu'il a été diffusé par un certain Alain de la Roche -un successeur de Saint Dominique - donc au XIVe siècle et pas du tout en 1090. Il est possible qu'il existait déjà un peu avant, en particulier dans les années 1100 dans l'ordre cistercien. Mais certainement pas en 1090".Dans la publication, l'auteur utilise le mot "batesimo" - "battesimo" avec la bonne orthographe - qui signifie "baptême" en italien, ce qui porte à croire que ce texte est une traduction de cette langue. Il affirme qu'"en 1311, le batesimo l'emporte". "La pratique du baptême existe depuis bien plus longtemps, puisque le Christ se fait baptiser", a commenté Nicolas Ruffini-Ronzani. Ce baptême est en effet raconté par les quatre évangélistes de Matthieu, Marc, Luc et Jean. "Le baptême, c'est le rite le plus ancien des rites chrétiens", a ajouté Régis Burnet, "Saint Paul pratiquait déjà des baptêmes, rapportés dans les premiers écrits du christianisme". Ce qui est en partie inexact Ce texte évoque à deux reprises le purgatoire, un lieu qui selon la religion chrétienne est situé entre l'Enfer et le Paradis, où se rendent les âmes mortes dites "en état de grâce", mais pas encore totalement purifiées de leurs pêchés. Il affirme que le purgatoire a été inventé en 594, ce qui est incorrect: dans un ouvrage de référence sur le sujet, La naissance du Purgatoire, l'historien français Jacques le Goff situe en effet l'origine de la théorie des peines purgatoires dans les premières années du IIIème siècle après Jésus-Christ. Cependant, le concept du purgatoire en tant que lieu situé dans l'au-delà et tel que connu par les chrétiens aujourd'hui n'apparaît qu'au début du XIIème siècle et fut reconnu par l'Eglise dans la moitié du XIIIème siècle par le pape Innocent IV.Le purgatoire est à nouveau évoqué plus bas dans la publication: "En 1439, le purgatoire inexistant est dogmatisé". Cette date est plutôt correcte, puisqu'elle correspond au concile de Florence, qui établit un canon, composé de plusieurs règles de disciplines et de concepts de foi. Parmi ceux-ci, "le concile émet un canon disant que le purgatoire n'est pas une métaphore, mais un temps et un lieu après la mort", a expliqué Claire Sotinel. Autre affirmation, invérifiable, les indulgences "sont vendues" en 1190, selon le texte. Les indulgences sont des "sommes d'argent versées en échange du rachat de péchés", a expliqué Nicolas Ruffini-Ronzani. "Si il y a peut-être eu une décision canonique concernant la vente d'indulgences en 1190, la réalité de ces ventes est bien antérieure à cette date", a-t-il ajouté. Des éléments exacts Enfin, certains éléments de ce texte sont plutôt corrects.Parmi eux, l'auteur de la publication affirme que le culte de la vierge a été inventé en 431. Il s'agit de la date du concile d'Ephèse (Turquie), qui a affirmé que la vierge Marie était "mère de Dieu" - et non pas seulement mère de Jésus Christ. "Le culte de la vierge existait déjà avant, mais le concile d'Ephèse normalise le fait que la vierge est considérée comme la mère de Dieu", a commenté Nicolas Ruffini-Ronzani. Ce concile définit donc que Jésus en tant qu'homme est indistinct de Jésus en tant que divinité, "une opinion partagée depuis longtemps par les chrétiens", a rappelé Claire Sotinel.L'auteur de la publication affirme également qu'1079, "le célibat des prêtres est imposé". C'est vrai: alors que le concubinage et le mariage des prêtres étaient précédemment tolérés, "en 1079, Grégoire VII interdit de recruter des prêtres parmi les hommes mariés", explique Claire Sotinel. Plusieurs dizaines d'années plus tard, en 1139, le deuxième concile du Latran (Rome) dogmatise l'interdiction de tout mariage et du concubinage des prêtres, diacres, sous-diacres, moines et nonnes. Le texte explique ensuite qu'en "1184, l'Inquisition est perpétrée". La date de 1184 correspond en effet au début d'une répression qui précéda la création de l'Inquisition, mais non à la création du tribunal pontifical lui-même. "En 1184 le pape Lucius III publie une décrétale confiant à l'Empereur Frédéric Barberousse la mission de réprimer l'hérésie", lançant ainsi la première politique de répression envers les hérétiques, a déclaré Claire Sotinel."L'inquisition est codifiée par le pape Innocent 3 en 1213. Elle est appliquée par Grégoire IX en 1231 et, à partir de là, elle mène un travail qui a perpétré un certain nombre de tortures".L'Inquisition mena, durant plusieurs siècles, des persécutions et tortures systématiques contre "les hérétiques".L'auteur du texte évoque aussi la confession imposée aux prêtres en 1215, date du quatrième concile du Latran, réuni par le pape Innocent III. Parmi les canons décidés lors de ce concile, le décret 21 rend obligatoire la confession individuelle au moins une fois par an. Cette obligation de confession ne concerne pas seulement les prêtres mais l'ensemble des fidèles. Cette forme de pénitence, qui consiste en l'aveu de ses péchés, a toujours existé, mais avant 1215 "elle concernait des péchés graves et se déroulait en public", explique Régis Burnet. "A partir de là, elle peut concerner des choses moins graves et se déroule en privé". Autre élément correct: le dogme de la Vierge Marie Immaculée conception a en effet été déclaré par le pape IX en 1854.Enfin, l'infaillibilité du pape a en effet été proclamée en 1870, lors du concile Vatican I, convoqué par le pape Pie IX (1792-1878). Ceci signifie qu'une déclaration du pape, dans des conditions très précises, ne peut être remise en cause et doit être considérée comme une vérité définitive. Comme l'explique cet article du Monde, l'infaillibilité du pape n'a été directement appliquée qu'une seule fois, en 1950, par le Pape Pie XII, lorsqu'il proclama le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie.Une publication trompeuseCette publication est trompeuse, conclut Nicolas Ruffini-Ronzani: "Elle donne l'impression que tout ce qui existe au sein de l'Eglise a été imposé du haut, alors que beaucoup de choses, comme la dévotion à la vierge, existaient mais ont été codifiées par la suite. On a l'impression que l'auteur critique le fait que dans le culte catholique, tout est construit, ce qui est tout à fait vrai, mais c'est le cas dans toutes les religions". "Ce qui me frappe, ce sont les vieilles lunes sur l'inventions du christianisme", a ajouté Régis Burnet. "On retrouve l'idée que le christianisme a perverti la religion juive et que tout ce qui fait la religion chrétienne n'a été inventé qu'au Moyen-Age. Il y a très longtemps que ce type d'affirmation existe, dans les années 20,30 ce mouvement a pris des proportions folles. Mais dans le cas de ces publications, il s'agit d'un tissu de bêtises", a conclu l'historien.
(fr)
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