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Une étude montrerait que l'ARN messager des vaccins anti-Covid pourrait s'intégrer à notre ADN : c'est ce qu'affirment des publications sur internet depuis fin février, certifiant qu'elle vient ainsi battre en brèche l'une des bases de la biologie moléculaire: à savoir que l'ARN ne se transpose pas spontanément en ADN dans l'organisme. Mais la théorie d'une altération de l'ADN par les vaccins -devenue un classique de la désinformation sur le sujet- est toujours infondée, selon la communauté scientifique. En l'occurrence, l'étude -notamment relayée sur Twitter par Didier Raoult- ne prouve pas cela et elle a fait l'objet de critiques de plusieurs scientifiques qui en soulignent les limites.Le titre d'un article du Epoch Times est catégorique : "le vaccin Covid-19 de Pfizer pénètre dans les cellules du foie et se convertit en ADN, selon une étude". Publié le 2 mars, le texte affirme que "L’ARN messager (ARNm) du vaccin Covid‑19 de Pfizer est capable de pénétrer dans les cellules du foie humain et de se convertir en ADN, selon des chercheurs suédois de l’université de Lund". ll a été partagé plus d'une centaine de fois depuis sur des pages et comptes publics Facebook depuis, selon le logiciel de mesure d'audience des réseaux sociaux Crowdtangle. Capture d'écran du site du Epoch Times, faite le 17 mars 2022L'étude en question se trouve ici (lien archivé là) et a pour titre "Intracellular Reverse Transcription of Pfizer BioNTech COVID-19 mRNA Vaccine BNT162b2 In Vitro in Human Liver Cell Line" - ("Transcription inverse du vaccin Covid-19 à ARNm BNT162b2 de Pfizer BioNTech dans une lignée cellulaire de foie" en français). Elle a été publiée dans la revue "Current Issues in Molecular Biology" le 25 février dernier. Elle a aussi été relayée dans un tweet de Didier Raoult du 28 février, partagé depuis plus de 7.600 fois et "liké" presque 12.000. Ainsi que là aux Etats-Unis, dans un texte qui défend notamment l'idée que "ces produits injectables sont de parfaites armes biologiques", une antienne complotiste depuis le début de la pandémie.Mais comme nous allons le voir, non seulement le titre de l'article du Epoch Times est un raccourci plus que trompeur de ce que dit l'étude mais cette dernière comporte plusieurs limites importantes qui ne permettent pas de tirer de conclusions sur ce qui se passerait en conditions réelles.Fondé par des membres de la diaspora chinoise aux Etats-Unis, le média The Epoch Times relaie régulièrement des informations non-vérifiées voire des théories complotistes, selon l'analyse de l'entreprise Newsguard, qui évalue la fiabilité des sites.Que dit cette étude ? "Dans cette étude, nous présentons la preuve que le vaccin Covid-19 à ARN messager BNT162b2 peut pénétrer la lignée cellulaire Huh7 in vitro. Le [vaccin] est retro-transcrit de façon intracellulaire dans l'ADN après 6 heures d'exposition in vitro" au produit, écrivent les auteurs, de l'Université de Lund en Suède. Contactés par l'AFP le 17 mars, les auteurs de l'étude n'ont pas donné suite. Capture d'écran de l'étude citée par les publications, faite le 17 mars 2022En apparence, cette observation semble s'opposer à l'une des bases de la biologie moléculaire, expliquée par les scientifiques du monde entier depuis que se profilent les vaccins à ARN messager contre le Covid : l'ARN ne se transforme pas spontanément en ADN. Ce n'est pas la première fois que les milieux antivax affirment qu'une étude vient battre en brèche ce postulat, ce qui selon eux montre que l'ARN messager des vaccins pourrait dangereusement intégrer et modifier notre ADN. Une étude de biochimie avait notamment été détournée ainsi comme expliqué dans cet article de l'AFP Factuel de juillet 2021.La communauté scientifique a pourtant expliqué à de très nombreuses reprises que l'intégration de l'ARN messager à notre génome n'était pas possible et ce, pour plusieurs raisons, ne serait-ce que parce que l'ARN n'entre pas dans le noyau de la cellule (où se trouve notre ADN) mais reste dans le cytoplasme. Moult instituts de recherche, universités ou agences sanitaires l'ont expliqué : l'Inserm, les CDC américains, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).... L' AFP Factuel a abordé cette question plusieurs fois, ici et là notamment.ARN et ADN : qu'est-ce que la "transcription" ?Pour pouvoir fonctionner, les cellules du corps humain ont besoin de différentes protéines, qui ont une multitude de fonctions essentielles. Pour fabriquer ("synthétiser") la protéine dont elle a besoin, la cellule a besoin des informations - la recette de la protéine, ou son plan de construction - contenues dans nos gènes, comme l'explique l'Inserm ici sur son site internet.Pour pouvoir transmettre ce plan, notre ADN en crée une copie à usage unique : ce duplicata s'appelle l'"ARN messager", une molécule chimiquement très proche de l'ADN. Ce processus de copie a pour nom scientifique la "transcription" car l'ADN est "transcrit" en ARN.Comme expliqué par les scientifiques du monde entier, le processus de "transcription" ne se fait que dans un seul sens : de l'ADN vers l'ARN. Le processus inverse - où l'ARN serait "rétro-transcrit" en ADN - ne se fait pas spontanément dans l'organisme. Un laborantin en train de séquencer un génome en France en février 2022 ( AFP / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK)Interrogée par l'AFP le 3 mars 2022, Annette Beck-Sickinger, professeure de biochimie à l'Université de Leipzig en Allemagne confirme à nouveau: "l'ARN messager est situé dans le cytoplasme, l'ADN dans le noyau. Dans une cellule humaine, l'ARN messager ne peut pas en conditions normales être transcrites en ADN (car) la cellule n'a pas l'enzyme pour ça".En revanche, certains virus appelés rétrovirus, ont cette capacité : c'est le cas du VIH, virus à ARN à l'origine du Sida. Le VIH dispose en effet d'une enzyme appelée "transcriptase inverse", capable d'intégrer de l'ARN issu de l'ARN viral dans le génome de la cellule. Comme aussi expliqué dans cet article de vérification de l'AFP Factuel, certaines enzymes (polymérases) présentes dans l'organisme ont une toute petite fonction de transcriptase inverse pour pouvoir utiliser des fragments d'ARN et procéder à de petites réparations de l'ADN en cas de besoin, mais elle est limitée à ces minuscules fragments de matériel génétique et à des circonstances bien précises. Cela ne suppose pas transcription spontanée de molécules entières d'ARN en ADN, et encore moins une intégration au génome, qui nécessite encore une autre enzyme, l'intégrase (que produit le VIH). Une étude portant de nombreuses limitesComme pointé par plusieurs scientifiques, l'étude de l'Université de Lund comporte plusieurs limites qui empêchent d'en tirer une conclusion sur ce qu'il pourrait se passer en situation réelle dans un corps humain vacciné.Premier point important, l'étude est faite in vitro: c'est- à-dire en laboratoire, dans des conditions expérimentales. Or, ce qui se passe dans une éprouvette n'est pas directement transposable en vie réelle, les données in vitro sont très préliminaires et de portée limitée. Elles peuvent permettre de tester des hypothèses.Par exemple, on peut tuer des cellules malades en les exposant à une forte dose d'eau de Javel dans une boîte de Petri : pour autant on ne peut pas faire ingurgiter de l'eau de Javel à un individu pour le guérir de ladite maladie... Laborantin dans un laboratoire en Chine en décembre 2021 ( AFP / NOEL CELIS)Sur le fond des conclusions de l'étude, "je résumerai[s] en disant que les données présentées dans cette étude ne sont pas du tout convaincantes et mal contrôlées. Elles laissent penser que l'ARNm du vaccin Pfizer pourrait dans les cellules du foie être transformé en ADN. Or, ces données ne le prouve[nt] vraiment pas", a écrit sur Twitter le 28 février Nathalie Grandvaux, professeur au Département de biochimie et médecine moléculaire de l'Université de Montréal (Canada).Entre autres limites, elle s'interroge aussi sur la dose de vaccin auxquelles les cellules hépatiques ont été exposées. "Comment la dose de BNT162b2 [de l'expérience] correspond à la dose qu'on pourrait observer dans le foie d'une humain vacciné, n'est pas clair", dit-elle.David Gorski, oncologue américain très actif dans la lutte contre la désinformation en santé, a lui-aussi émis un certain nombre de critiques sur cette étude dans cet article du blog Sciencebasedmedecine publié le 28 février.Il relève lui aussi "qu'une très grande concentration de vaccin a été utilisée", ce qui "en soi est très artificiel".Autre particularité de l'expérience, qui limite sa portée, les cellules auxquelles le vaccin a été exposé sont issues de cellules hépatiques cancéreuses. Elles ont la particularité d'exprimer en grande quantité des "rétrotransposons" du gène LINE-1, des éléments de l'ADN ayant une activité de transcriptase inverse. Ces séquences mobiles d'ADN ont la faculté de se "copier-coller" elles-mêmes à différents endroits du génome en fabriquant de l'ARN et en convertissant cet ARN en ADN via une transcriptase inverse.Le rôle de cette LINE-1 dans le cancer est notamment expliqué dans cette étude de 2015 publiée dans Nature. Interrogée par l'AFP, Ann Ehrenhofer-Murray, professeure de biologie moléculaire des cellules à l'Université Humboldt à Berlin, a confirmé le 16 mars 2022 que les éléments LINE étaient "très rarement réactivés" dans les cellules normales."Si j'avais été un relecteur de cette étude, j'aurais demandé que les auteurs utilisent une lignée cellulaire plus normale d'un point de vue génomique", ajoute David Gorski.Annette Beck-Sickinger, estime elle aussi qu'il y a bien un problème avec les cellules utilisées."Huh7 est une lignée cellulaire cancéreuse, dans laquelle une protéine importante dans la réparation cellulaire fait défaut. De plus, son génome est connu pour être très instable", ce qui empêche d'en tirer des conclusions sur des cellules hépatiques saines, a-t- elle ajouté.Enfin, comme le pointent plusieurs scientifiques qui se sont penchés sur cette étude, les auteurs ne montrent pas d'insertion génomique d'ARN messager dans l'ADN. "A ce stade, nous ne savons pas si de l'ADN rétro-transcrit s'intègre dans le génome de la cellule", écrivent-ils d'ailleurs eux-mêmes noir sur blanc dans leur texte.
(fr)
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