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L'accord européen prévoyant l'arrêt de la vente de véhicules neufs émetteurs de CO2 à partir de 2035 devrait être formellement adopté dans l'année qui vient. Des publications relayées des milliers de fois sur Facebook et Twitter depuis la mi-décembre prétendent que l'Italie "vient de décider de ne pas respecter cette interdiction". L'AFP n'a cependant pas trouvé trace d'une telle déclaration officielle, ni dans la presse française, ni dans la presse italienne. Par ailleurs, un gouvernement européen ne peut légalement déroger à l'application d'un règlement, loi européenne qui vise directement les citoyens des Etats membres de l'UE. Enfin, la primauté du droit européen sur le droit national est inscrite dans une déclaration annexée au Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ratifié par l'ensemble des pays membres, ont expliqué deux spécialistes de droit européen à l'AFP. Pour tenter de faire face à l'urgence climatique, la Commission européenne prévoit l'adoption d'un accord visant à réduire à zéro les émissions de CO2 des voitures et véhicules légers neufs au sein de l'UE et ce, à partir de 2035. De quoi entraîner l'arrêt, à cette date, des ventes de véhicules essence, diesels et hybrides au profit de motorisations 100% électriques. Dans ce contexte, des publications virales diffusées sur Facebook et Twitter prétendent que le gouvernement italien s'est formellement engagé à ne pas respecter ce règlement, qui n'a pas encore fait l'objet d'une validation définitive :"L'Italie vient de décider de NE PAS respecter cette folie européenne d'interdire les voitures thermiques en 2035. La brèche est ouverte, d'autres vont suivre", assurent ainsi, à tort, des messages relayés plus de 10.000 fois sur Facebook (1, 2, 3,...) et près de 5.000 fois sur Twitter (4,5,...) depuis la mi-décembre 2022. Capture d'écran prise sur Facebook le 4 janvier 2023 Capture d'écran prise sur Facebook le 6 janvier 2023 En commentaire et pour étayer leurs assertions, plusieurs auteurs de ces posts joignent tantôt un article du site d'actualité automobile Turbo, tantôt celui du magazine spécialisé L'Auto-journal. Tous deux mis en ligne le 9 décembre 2022, ils font référence à des propos de l'actuel vice-Premier ministre italien et ministre des Infrastructures et des Transports Matteo Salvini, rapportés par l'agence de presse Bloomberg :"Le risque est celui d'un fondamentalisme pseudo-environnemental qui n'aide pas l'environnement, mais laisse des dizaines de milliers de travailleurs sans emploi [...] Interdire les voitures à essence et diesel d'ici 2035 tout en demandant le passage aux normes Euro7 d'ici 2025 n'a aucun sens sur le plan économique, environnemental et social", dit Matteo Salvini, mais n'est pas évoquée une décision formelle de l'Italie de déroger au règlement européen sur l’objectif zéro émission pour les voitures et les camionnettes en 2035.Par ailleurs, l'AFP n'a pas trouvé de déclaration officielle de ce type ni dans la presse française, ni dans la presse italienne. En tout état de cause, le gouvernement italien est soumis, comme l'ensemble des pays membres de l'Union européenne, au respect du droit européen tel que défini par ses traités.En cas de non-conformité avec un règlement en vigueur, il prendrait le risque des'exposer à d'importantes sanctions économiques, prévues par la Cour de justice de l'Union européenne. Aussi, les juges italiens pourront directement sanctionner les concessionnaires en cas de vente de véhicules émetteurs de CO2 à partir de 2035, dans la mesure où le droit européen prime sur le droit des Etats membres, comme l'ont expliqué à l'AFP deux spécialistes du droit européen. Un règlement européen pas encore entré en vigueurLes publications relayées sur les réseaux sociaux présentent plusieurs imprécisions. "L'Italie vient de décider de NE PAS respecter cette folie européenne d'interdire les voitures thermiques en 2035", prétendent-elles. Cependant, non seulement le gouvernement italien n'a pas formulé de décision en ce sens, mais en plus ledit règlement n'est pas même encore officiellement entré en vigueur. En effet, le calendrier de négociation, de validation et d'adoption définitive d'un règlement européen s'étale sur plusieurs mois, voire sur plusieurs années. "Ça fonctionne à peu près comme un processus législatif classique", a expliqué à l'AFP Vincent Couronne, directeur des Surligneurs (association de juristes spécialisés dans la lutte contre la désinformation juridique) et docteur en droit européen, le 4 janvier."La proposition législative est faite par la Commission européenne. Ensuite, le Parlement européen (chambre basse, équivalent de l’Assemblée nationale, en quelque sorte) et le Conseil (chambre haute, équivalent du Sénat), débattent du texte chacun de leur côté, l’amendent et l’adoptent", poursuit Vincent Couronne."Au Parlement, il est adopté de manière très classique, à la majorité des votants. Au Conseil, c’est un peu plus complexe, c'est un système de vote à la majorité qualifiée", ajoute le spécialiste. Dans ce système de vote, au moins 55% des Etats membres doivent exprimer un vote favorable (ce qui correspondant à 15 Etats sur 27) et les Etats membres qui soutiennent la proposition doivent représenter au moins 65% de la population de l’UE, est-il précisé sur le site d'information sur les questions européennes Toute l'Europe. Les principaux corps décisionnels de l'Union européenneDans le cas de l'accord sur l’objectif de zéro émission pour les voitures et camionnettes neuves en 2035, la proposition législative a été formulée par la Commission européenne en juillet 2021, les Etats membres se sont mis d’accord sur leur position le 29 juin 2022 lors d’une réunion des ministres européens de l’Environnement à Luxembourg, et un accord provisoire sur la révision des normes d’émission de CO2 pour les véhicules particuliers et utilitaires légers neufs a été conclu par le Parlement et le Conseil le 27 octobre 2022."Les négociateurs de l’UE sont parvenus à un accord avec les États membres sur la proposition initiale de la Commission pour atteindre une mobilité routière à émission nulle d’ici à 2035 (un objectif de réduction de 100% des émissions pour l’ensemble de la flotte de l’UE par rapport à 2021 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers neufs)", peut-on lire sur le site du Parlement européen.Nous venons de finir les négociations sur les standards CO2 des voitures. Décision historique de pour le climat qui confirme définitivement l’objectif de 100% véhicules zéro émissions en 2035 avec des étapes intermédiaires en 2025 et 2030. (1/2) — Pascal Canfin (@pcanfin) October 27, 2022 Pour autant, le texte doit encore être validé formellement par un vote au Parlement européen et par un feu vert du Conseil, avant d'être publié au Journal officiel de l’UE et d'entrer vigueur :"Le texte final doit encore être voté, mais c’est une formalité, l’accord politique a déjà été trouvé sur ce sujet", a noté auprès de l'AFP Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Programme Europe à l’Institut de l’Economie pour le Climat, le 6 janvier. Par ailleurs, cet accord ne prévoit pas l'interdiction des voitures thermiques comme signalé dans les publications relayées sur les réseaux sociaux, mais la fin de la vente des voitures et véhicules utilitaires légers qui émettent du CO2.Il s'inscrit plus globalement dans le cadre d'un ensemble de textes présentés par la Commission européenne en 2021, appelé "Fit for 55" ("Paré pour 55"), un paquet de 12 propositions législatives avec l'objectif, d'ici à 2030, de réduire les émissions de CO2 de 55% par rapport à 1990, puis de viser la neutralité climatique en 2050, comme mentionné dans le Pacte vert pour l'Europe."C’est un des éléments clés du Green Deal (Pacte vert pour l'Europe, NDLR), priorité numéro un de la Commission européenne, qui a adopté en 2021 la loi européenne pour le climat. Cette loi-là prévoit plusieurs objectifs, en particulier la neutralité climat en 2050", pointe Thomas Pellerin-Carlin.Le gouvernement italien : légalement soumis au respect du droit européen A plusieurs reprises, depuis son investiture, le gouvernement souverainiste italien a manifesté des réticences vis-à-vis du projet d'interdiction de la vente des moteurs émettant du CO2 à partir de 2035.Dernière déclaration en date, jeudi 29 décembre, par la voie de sa Première ministre italienne Giorgia Meloni lors de sa conférence de presse de fin d’année : "Je ne le considère pas comme raisonnable. Je considère que c'est profondément préjudiciable à notre système de production. Il me semble que c'est une question sur laquelle il y a une convergence transversale au niveau italien, et j'ai l'intention d'utiliser cette convergence pour soulever avec force la question". La Première ministre italienne Giorgia Meloni et le vice-Premier ministre et ministre des Infrastructures, Matteo Salvini, lors d'une conférence de presse le 22 novembre 2022 à Rome ( AFP / FILIPPO MONTEFORTE)Le gouvernement italien ne pourra toutefois pas légalement s'opposer à l'application de l'accord une fois entré en vigueur :"Juridiquement, a priori, il est impossible que l’Italie décide de ne pas appliquer cet accord. Il s’agit d’un règlement : un acte législatif européen que les Etats membres ont l’obligation de respecter et d’appliquer", explique Vincent Couronne."La particularité d’un règlement européen est qu’il est directement applicable dans les Etats membres de l’Union européenne. C’est donc d’abord aux citoyens et aux entreprises italiens qu’il revient de le respecter. Concrètement, les vendeurs de voiture n’auront plus le droit, à partir de janvier 2035, de vendre une voiture qui émet du CO2", ajoute le docteur en droit. "Contrairement à une directive, qui s'applique aux Etats membres, un règlement est une loi européenne qui contraint directement les acteurs clés, dans ce cas, les constructeurs automobile", abonde Thomas Pellerin-Carlin."Si un vendeur décidait de continuer à commercialiser ce type de moteur, ce serait à l’Italie de le sanctionner, parce qu’il a violé le droit européen. Mais si l’Italie ne le sanctionne pas, si elle ne s’assure pas que ses vendeurs ne vendent plus de voitures qui émettent du CO2, c’est elle qui sera responsable au regard de l’Union européenne et qui pourra faire l’objet de sanctions financières de la part de la Cour de Justice de l'Union européenne pour non-respect du règlement européen", complète Vincent Couronne. De plus, il n'est pas du ressort d'un gouvernement de contourner l'application d'un règlement européen. En effet, "il faudrait que l'Italie modifie sa loi pour interdire aux juges et aux Italiens de respecter ce règlement. Il n’y a qu’un Parlement qui pourrait le faire", détaille le directeur des Surligneurs. "De toute façon, même si le Parlement adoptait ce genre de loi, le Conseil constitutionnel italien viendrait la censurer automatiquement car cela porterait notamment atteinte à l’indépendance de la justice."Primauté du droit européen sur le droit national Concrètement, l'application de ce règlement européen sera aussi encadré par les juges nationaux (italiens, espagnols, français...), qui sont directement soumis au droit européen.En effet, "il y a un principe de primauté du droit de l’Union européenne", pointe Vincent Couronne. "Il est inscrit dans une déclaration annexée au TFUE (Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, NDLR), dans laquelle les Etas membres reconnaissent le principe de primauté et sa validité."Cette déclaration est disponible en ligne, sur le site EUR-Lex, passerelle qui fournit l'accès officiel aux documents juridiques de l'UE : Capture d'écran prise sur le site EUR-Lex le 5 janvier 2023"Si une ONG italienne, type 60 Millions de consommateurs ou Greenpeace le souhaite, elle pourra porter plainte, en 2035, en utilisant le droit européen, à Luxembourg auprès de la justice européenne ou directement auprès du juge italien", abonde Thomas Pellerin-Carlin. "S’il y a un conflit entre le doit italien et le droit européen, c’est le droit européen qui gagne, c’est ce qu’on appelle le principe de primauté. Il veut que toute législation européenne prime sur l’ensemble du droit national", ajoute le spécialiste. Aucun gouvernement européen ne sera donc légalement en mesure de déroger à l'application du règlement sur les standards de CO2 des voitures.Un amendement dit "amendement Ferrari", notamment porté par des eurodéputés italiens, a néanmoins été ajouté au texte législatif provisoire. Il prévoit que les exigences de réduction d'émissions pour tous les constructeurs présents sur le marché de l'Union européenne doivent être harmonisées, "sauf pour les constructeurs qui représentent moins de 1000 véhicules neufs immatriculés au cours d'une année civile." Il profitera particulièrement aux marques de luxe italiennes.Une "clause de revoyure" est également prévu par l'UE, pour faire un premier bilan en 2026, mais elle "doit vraiment être comprise comme une forme de sympathie politique. Comme certains Etats membres sont opposés à cet accord, dans une logique de compromis, l’Union européenne fera le point en 2026 mais cela n’a aucune contrainte législative", indique Thomas Pellerin-Carlin. Dans la dernière ligne droite des négociations au niveau du Conseil (des Etats membres) en juin 2022, l'Italie de Mario Draghi, soutenue par quatre autres pays, a proposé de reporter à 2040 la fin de la vente de voitures à moteur thermique dans l'UE, contre 2035 dans la proposition initiale de la Commission.Cette demande n'a pas été entendue puisque, collégialement, les Etats membres ont arrêté leur position sur 2035 : date définitivement retenue.Retrouvez l'ensemble des articles de vérification de l'AFP consacrés aux enjeux de l'énergie, du climat et de la biodiversité ici.
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