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Des publications partagées plus d'un millier de fois assurent que les vagues de chaleur qui s'abattent sur l'Inde et le Pakistan ont fait monter les températures de l'air à "62 degrés Celsius", un niveau jamais atteint sur le globe. La canicule dans ces deux pays est bien réelle mais ces affirmations sont inexactes : elles s'appuient sur une image satellite largement diffusée en ligne qui montre la température de surface du sous-continent indien, un indicateur différent de la température de l'air utilisée dans les bulletins météorologiques. Selon les autorités, le pic de température de l'air dans ces deux pays s'est en réalité établi en avril entre 47,4 et 49°C, un niveau déjà considéré comme extrêmement dangereux pour la santé humaine."Sinon, on en parle de l'#Inde et du #Pakistan ? 1 milliard de personnes sont en train de suffoquer. Jusqu'à 62°C dans l'air, 50°C au sol, incendies, coupures d'électricité, pénuries agricoles... ", a tweeté le 5 mai un internaute dans une publication relayée près de 1200 fois depuis le 5 mai dernier.Ce tweet, également partagé sur Facebook, fait écho à d'autres publications alarmistes publiées à la fin du mois d'avril et qui relaient une même image satellite du sous-continent indien (1, 2, 3) recouverte de rouge écarlate : "Jusqu'à 62° C en Inde dans certaines régions", alerte un site d'actualités réunionnais quand un autre internaute écrit : "En Inde on est arrivé à 62°C". Capture d'écran Facebook effectuée le 13 mai 2022 Capture d'écran Twitter effectuée le 13 mai 2022 Ce visuel a également été diffusé, accompagné d'affirmations comparables en anglais, en espagnol, en portugais et en thaï.Ces publications ont circulé alors qu'une vague de chaleur record s'abattait en avril sur l'Inde et le Pakistan, provoquant des coupures d'électricité et des pénuries d'eau pour des millions d'habitants qui devraient subir cette fournaise de plus en plus fréquemment à l'avenir, selon des experts du changement climatique. Comme l'a expliqué l'AFP au mois d'avril, les vagues de chaleur ont tué plus de 6.500 personnes en Inde depuis 2010. Les scientifiques affirment qu'en raison du changement climatique, elles sont plus fréquentes mais aussi plus sévères.Température de l'air et de surface, deux mesures différentesCes publications sont pourtant inexactes : l'image en question décrit les différentes températures de surface observées sur le sous-continent indien. Or cela ne correspond pas à la température de l'air que l'on mobilise habituellement dans les bulletins météorologiques.Une recherche d'image inversée sur Google a permis d'identifier l'origine de ce visuel : c'est le 29 avril 2022 que cette image satellite a été publiée sur Twitter par ADAM platform, une plateforme spécialisée dans la mise à disposition des données sur le climat.The current extreme #heatwave in #Pakistan and #India as seen today, on the fourth intense hot day, by #Copernicus#Sentinel3 LST (Land Surface Temperature, not Air!). LST collected on April 29 shows max value exceeding 62°C/143°F. Gaps due to cloud/snow/nodata. #ClimateEmergencypic.twitter.com/0MCMkcSg0t — ADAM Platform (@PlatformAdam) April 29, 2022 Comme expliqué en légende, cette carte présente "la vague de chaleur extrême telle qu'observée aujourd'hui au Pakistan et en Inde, en ce quatrième jour de forte chaleur, par [les satellites d'observation européens] Sentinel-3 [du programme] Copernicus". Et la plateforme de préciser expressément qu'il s'agit de la "température de surface, pas de [la température de] l'air !", dont "les valeurs maximales collectées le 29 avril ont pu dépasser 62° Celsius". La température de surface (en anglais, "land surface temperature") n'est ainsi pas identique à la température de l'air, comme l'expliquent plusieurs experts."La température de surface correspond à la température de la surface terrestre à un endroit donné, alors que la température de l'air correspond à [une mesure effectuée] dans l'air, au-dessus du sol", a expliqué à l'AFP Cascade Tuholske, géographe et post-doctorant à l'université de Columbia de New York, le 4 mai 2022.La température de l'air, bien plus que la température de surface, est une mesure importante "pour la compréhension des impacts de la chaleur sur la santé humaine", précise le chercheur.C'est cet indicateur qui est largement mobilisé "pour fournir des informations au grand public lors des bulletins météorologiques", décrit Omar Baddour, spécialiste des données climatiques au sein de l'Organisation météorologique mondiale (OMM).Pour pouvoir mesurer la température de l'air, "le thermomètre ou la sonde est placé à 1,5 m du sol dans un abri ajouré", précise Météo-France sur son site internet, même si, selon les organismes de météorologie, cette hauteur peut varier jusqu'à deux mètres, comme l'indique la NASA."Cet abri laisse ainsi circuler l'air et protège l'instrument de mesure du rayonnement direct du soleil. Pour effectuer leurs mesures, les services météorologiques respectent des normes définies par l'Organisation météorologique mondiale. Ces observations, réalisées dans des conditions identiques partout dans le monde, peuvent ainsi être échangées, comparées et intégrées dans les modèles de prévision du temps", ajoute Météo-France.Selon Clare Nullis de la communication de l'OMM, "la température de l'air mesurée à deux mètres de hauteur correspond habituellement à la température que l'on ressent (si l'on pense à la taille moyenne d'un adulte)".C'est la Vallée de la mort ("Death Valley"), située dans le désert des Mojaves, à l'ouest de la ville de Las Vegas aux Etats-Unis, qui détient le record de la température la plus élevée jamais enregistrée sur Terre : 56,7°C, en juillet 1913.Un niveau frôlé de peu en août 2020, rapporte l'OMM : 54,4°C avaient alors été relevés au même endroit selon une mesure qui, en cas d'homologation, serait la troisième température la plus chaude jamais enregistrée sur Terre et la plus haute de l'ère moderne de la météorologie.A quoi sert donc la mesure de la température de surface, exposée sur ce visuel devenu viral ?"La température de surface mesure les émissions de radiations thermiques depuis la surface de la Terre, là où l'énergie en provenance du Soleil interagit avec le sol et le réchauffe, ou depuis la surface de la canopée dans les régions recouvertes par la végétation", expliquent des spécialistes dans un ouvrage paru en 2019. De quoi constituer, selon ces chercheurs, "un bon indicateur du partitionnement énergétique à la frontière entre la surface de la Terre et son atmosphère, et un indicateur qui s'avère sensible à l'évolution des conditions en surface". Comme l'explique la NASA, "les scientifiques [la] surveillent parce que la chaleur qui s'élève depuis le sol de la planète influence (et est influencée par) la météo mondiale et les régimes climatiques".En effectuant son suivi, les experts du climat souhaitent identifier à quel point "les émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère influencent la température de la surface terrestre, et dans quelle mesure son augmentation affecte les glaciers, les calottes glaciaires, le pergélisol et la végétation des écosystèmes", ajoute la NASA.Mais contrairement à la température de l'air, la mesure de la température de surface se fait à distance, grâce à des satellites. Ces mesures sont accessibles librement, notamment sur le site la NASA.47,4°C relevés en Inde en avrilEn date du 12 mai 2022, ni l'Inde ni le Pakistan n'ont relevé de températures de l'air supérieures à 60°C, contrairement aux affirmations de ces publications virales.La température la plus élevée mesurée en avril 2022 en Inde est de 47,4°C. Elle a été identifiée le 29 april et le 30 avril à Banda, dans la municipalité de l'Uttar Pradesh, rapporte le Service météorologique indien. La barre des 48°C a même été franchie le 12 mai dans le district de Barmer, dans la province du Rajasthan, où les températures ont atteint 48,1°C. Selon le Service météorologique pakistanais, la ville de Jacobabad, dans la province du Sind, a été le lieu le plus chaud du pays en avril 2022 lorsque le mercure a atteint 49°C le 30 avril. Le 12 mai, le mercure y est même monté jusqu'à 49,5°C, selon le Service météorologique pakistanais (PMD). Des éléphants se rafraîchissent alors que la température atteint 38 degrés Celsius le 10 mai 2022, dans un zoo de Karachi au Pakistan. ( ANADOLU AGENCY / ANADOLU AGENCY VIA AFP / SABIR MAZHAR) Une personne essore une serviette humide sur la tête d'une enfant pour contrer la vague de chaleur à Karachi, au Pakistan, le 1er mai 2022 ( ANADOLU AGENCY / ANADOLU AGENCY VIA AFP / SABIR MAZHAR) Une région parmi les plus vulnérables aux caniculesMême si ces températures restent donc inférieures à celles indiquées sur ces publications virales, la chaleur accablante qui frappe l'Inde et le Pakistan depuis deux mois est sans précédent. Et l'avenir s'annonce encore bien pire, mettent en garde des scientifiques alors que le changement climatique s'accélère. Plus d'un milliard d'habitants d'Asie du Sud ont subi en mars et avril des températures extrêmes, bien au dessus de 40°C, avant même le début de la mousson. Et ce n'est pas terminé."Cette canicule pourrait tuer des milliers de personnes", alerte Robert Rohde, scientifique au groupe Berkeley Earth. Ce nombre de morts, notamment dans la population pauvre et âgée, ne pourra être connu que plus tard. Graphique sur les symptômes les plus courants et les effets sur la santé causés par la chaleur extrême ( AFP / Gal ROMA, Sophie RAMIS)La mortalité liée aux canicules en Inde, déjà victime de vagues de chaleur meurtrières en 2015 et 2019, a augmenté de plus de 60% depuis 1980, selon le ministre indien des Sciences de la Terre. Et d'autres "impacts en cascade" sur l'agriculture, l'eau, l'approvisionnement en énergie sont déjà visibles, a souligné début mai le patron de l'Organisation météo mondiale (OMM) Petteri Taalas. En Inde et au Pakistan, les experts climats de l'ONU (Giec) prévoient d'ailleurs "des canicules plus intenses, plus longues, plus souvent".Pour les climatologues, c'est loin d'être une surprise : "Ce qui me surprend, c'est que la plupart des gens sont choqués, alors qu'on les a prévenus depuis longtemps que de telles catastrophes se profilaient", déclare à l'AFP Camilo Mora, chercheur à l'université d'Hawaï. "Cette région du monde, et la plupart des zones tropicales, sont parmi les plus vulnérables aux canicules". Des personnes se reposent sous un pont, près du lit de la rivière Yamuna, lors d'une chaude journée d'été à New Delhi, en Inde, le 10 mai 2022 ( ANADOLU AGENCY / ANADOLU AGENCY VIA AFP / AMARJEET KUMAR SINGH)Dans une étude de référence publiée en 2017, Camilo Mora et son équipe avaient estimé que près de la moitié de la population mondiale serait exposée à une "chaleur mortelle" au moins 20 jours par an d'ici 2100, même si le réchauffement ne dépassait pas 2°C de plus par rapport à l'ère préindustrielle, objectif principal de l'accord de Paris.D'après un nouveau bulletin sur le climat publié le 9 mai par l'OMM, il est également très probable (93%) qu'au moins une des années comprises entre 2022 et 2026 devienne la plus chaude jamais enregistrée. Ce record est actuellement détenu par l'année 2016, qui avait été marquée par un puissant épisode El Niño, phénomène océanique naturel qui entraîne une hausse des températures.Il est également probable à 93% que la moyenne de la température pour la période 2022-2026 soit supérieure à celle des cinq dernières années (2017-2021).
(fr)
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