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Il existe aujourd'hui un consensus scientifique établissant que le dérèglement climatique est causé par les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine. Pourtant, un graphique circulant sur les réseaux sociaux prétend prouver que le réchauffement du climat n'est pas provoqué par l'Homme, puisqu'il faisait plus chaud sur la Terre il y a des milliers d'années. C'est faux : ce graphique ne représente pas les températures terrestres globales au fil du temps mais celles d'une carotte de glace du Groenland, et les données s'arrêtent à la fin du 19e siècle - avant même le début réchauffement provoqué par l'Homme au cours des dernières décennies. Il est aujourd'hui établi que la Terre s'est réchauffée particulièrement rapidement ces dernières années, du fait d'émissions de gaz à effet de serre causées par l'Homme."Voilà la variation des températures en 9500 ans.... Clair pour tout le monde ?", interroge une publication vue près de 80.000 fois sur Telegram depuis le 6 décembre 2022, diffusant un graphique dont la courbe représente des larges variations de température, allant jusqu'à une augmentation de 2,5 degrés, par rapport à une valeur moyenne représentée par une ligne rouge."Il faisait plus chaud à l'époque de Jésus qu'aujourd'hui", ajoute la description d'une publication Facebook relayant le même visuel. Ce dernier a aussi circulé sur Twitter (1, 2, 3) , Facebook et sur des blogs. Ces publications sous-entendent que le graphique montrerait que le réchauffement climatique n'est pas dû à l'activité humaine, puisque les températures ont pu être plus élevées il y a plusieurs milliers d'années qu'aujourd'hui. Il a également été partagé avec des allégations semblables, virales en anglais et en allemand sur les réseaux sociaux. Capture d'écran sur Telegram, prise le 26/01/2023 Capture d'écran sur Facebook, prise le 26/01/2023 Le titre du graphique, en anglais, assure qu'il montre les "anomalies de température", c'est-à-dire les variations de température par rapport à une température de base, calculée en prenant des valeurs moyennes, de "7643 avant J-C à aujourd'hui". Le graphique est daté de 2004 et attribué à "R. B Alley".On y observe des périodes au cours desquelles la température indiquée est plus élevée que celle de la fin du graphique. La légende suggère ainsi que le réchauffement actuel de la planète est donc, en termes relatifs, très minime en comparaison avec ce qui a pu avoir lieu par le passé.En réalité, ce graphique et la légende qui l'accompagne sont trompeurs, pour plusieurs raisons.D'abord, il ne montre pas l'évolution historique des températures sur la Terre, mais met en images des données issues d'une carotte de glace (un cylindre de glace obtenu en forant verticalement l'épaisseur d'un glacier), prélevée au Groenland au début des années 1990. La courbe montre ainsi des températures du centre du Groenland, et non l'ensemble du climat terrestre, comme l'ont expliqué plusieurs experts du climat à l'AFP.Ensuite, elle ne dit rien sur l'évolution actuelle du climat, puisque les années représentées sur l'axe des abscisses (horizontal) s'arrêtent en 1885 et non "aujourd'hui", contrairement à ce qu'indiquent les publications sur les réseaux sociaux. Le graphique ne montre donc pas la récente hausse des températures mondiales, qui est bien due aux émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine.Des données d'une carotte de glace du GroenlandLe graphique circule en fait depuis plusieurs années sur internet, et a déjà été partagé accompagné de légendes trompeuses. La plateforme spécialisée dans la désinformation autour du changement climatique "Carbon Brief" financée par la Fondation européenne pour le climat, avait réalisé un article de vérification sur ce graphique en 2019.Dans la légende, figure le nom du géologue et climatologue Richard B. Alley, qui est aussi professeur à Penn State, l'université d'État de Pennsylvanie aux États-Unis, et qui a travaillé avec le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) des Nations Unies. Contacté par l'AFP, Richard Alley a indiqué le 7 décembre 2022 que le visuel utilise en réalité des recherches publiées par d'autres scientifiques dans le "Journal of Geophysical Research : Oceans" en 1997, dans laquelle les auteurs revenaient sur l'histoire des températures du Groenland.Pour ce faire, les chercheurs s'étaient fondés sur des données du "Greenland Ice Sheet Project 2" (ou GISP2), un programme, aujourd'hui terminé, de forage mené alors par des instituts de recherche américains, qui avait permis d'extraire des carottes de glace de la calotte glaciaire du Groenland, dont une carotte de plus de 3.000 mètres de long qui contenait des informations sur le climat du Groenland au cours des 110.000 dernières années.Les données des carottes de GISP2 ont par la suite servi de base à de nombreuses études, dont certaines ont reconstitué les températures au Groenland au cours des 10.000 dernières années (ici, là). Richard Alley a co-rédigé l'une des principales études utilisant les données GISP2, publiée en 2004. Ces données sont analysées par les chercheurs en paléoclimatologie, l'étude du climat des époques passées. Ils utilisent ce qui est appelé des "archives climatiques", dont font partie les calottes de glaces, mais aussi les anneaux des troncs des arbres, les stalagmites ou encore les sédiments, afin d'obtenir des informations sur les conditions climatiques des temps passés. Un glaciologue français manipulant une carotte de glace sur la station franco-italienne Concordia au cœur de l'Antarctique ( Archives / AFP)Richard Alley a par ailleurs déclaré à l'AFP qu'il recevait régulièrement des demandes au sujet de ce graphique depuis une dizaine d'années. Il a renvoyé vers une réponse détaillée aux allégations entourant ce graphique, qu'il avait développée dans un article d'opinion publié sur le site de la revue du "New York Times" en 2010.Il y avait souligné qu'"aucun relevé individuel de température, provenant d'où que ce soit, ne peut prouver ou réfuter le réchauffement climatique, car cette température est un relevé local, et un site ne représente pas le monde entier".Bo Vinther, professeur associé à l'Institut Niels Bohr de l'université de Copenhague et auteur principal d'une étude publiée en 2009 dans la revue de référence Nature, qui a reconstruit les températures du Groenland sur la base de six carottes de glace différentes, a aussi déclaré à l'AFP en décembre 2022 qu'"aucune conclusion ferme sur le climat du Groenland ou sur le climat de la Terre ne peut être tirée de ces données" citées dans le graphique. L'axe du temps se termine avant la hausse actuelle des températuresL'axe horizontal du graphique présente par ailleurs des dates se terminant en 1885, bien avant les recherches modernes sur le réchauffement actuel du climat terrestre.Stefan Rahmstorf, climatologue à l'Institut de Potsdam pour la recherche sur l'impact du climat (PIK), a écrit sur Twitter le 20 novembre 2022 que le graphique actuellement diffusé ne montrait pas la température moyenne mondiale et qu'il s'arrêtait avant le début du réchauffement climatique moderne provoqué par l'Homme.Il a aussi fait remarquer qu'"il existe de nombreuses variantes" de l'affirmation véhiculée par des "négationnistes du climat qui postent une courbe paléoclimatique qui ne montre pas la température moyenne globale (c'est souvent le Groenland) et qui se termine avant même le réchauffement moderne".Pour les paléoclimatologues et les archéologues, l'année 1950 est considérée comme une année de référence. Les données du GISP2 considèrent ainsi l'année 1950 comme le "présent" ("Present" ou "P" en anglais). Les données GISP2 les plus récentes sont datées de 95 ans avant cette date (ou "Before Present", "BP" en anglais), ce qui correspond à l'année 1855.Nous n'avons pas réussi à retrouver la source des données présentées sur le graphique, mentionnant l'année 1885. Richard Alley a également indiqué que l'origine de ces dernières n'était pas claire, et a confirmé à l'AFP que le "présent" du GISP2 correspond à l'année 1950, et que la donnée de température la plus récente dans la série de données du GISP2 est donc bien 1855.Une étude de 2013, combinant 73 reconstructions historiques de températures du monde entier avec des données de mesure récentes, montre une courbe différente de celle présentée dans les posts actuellement partagés.Il apparaît aussi que, pendant certains millénaires, il faisait nettement plus chaud sur la Terre qu'aujourd'hui. Mais par ailleurs, une hausse abrupte des températures des dernières décennies y est clairement visible. Les anomalies de températures globales au cours des derniers 11.300 ans, par rapport à la moyenne historique (1961-1990) ( Marcott et al., Science 339 (2013), S. 1199)Le géologue Richard Alley a également expliqué que la température sur la Terre a effectivement été plus élevée pendant une longue période que dans un passé récent. Par conséquent, de vastes régions de la planète auraient été inhabitables pour l'Homme en raison des températures élevées.Déjà à cette époque, le CO2 présent dans l'atmosphère a été le facteur moteur du réchauffement de la planète, selon lui. "Les températures élevées de ces époques passées étaient principalement dues à des niveaux élevés de CO2. Mais celles-ci avaient des causes naturelles et le réchauffement était beaucoup plus lent que maintenant. La hausse actuelle n'est pas naturelle, elle est causée par nous".Selon le chercheur, le fait qu'il y ait eu par le passé de grands changements climatiques sans intervention humaine ne signifie pas que l'Homme ne peut pas être responsable du changement climatique actuel. Le climat change pour de nombreuses raisons, mais surtout en raison de la modification de la teneur en CO2 dans l'atmosphère, a-t-il expliqué. Une augmentation des températures mondiales ces dernières annéesEn effet, les températures sur la Terre ont augmenté au cours des 50 dernières années à un rythme et dans un laps de temps sans précédent depuis 2.000 ans, constate le GIEC dans son sixième rapport d'évaluation publié en avril 2022. Ce document constitue l'évaluation la plus complète des connaissances scientifiques actuelles sur le changement climatique. Selon lui, la température moyenne mondiale augmentera de 1,5 degré au cours des deux prochaines décennies.Les auteurs y passent en revue des centaines d'études. Le rapport conclut qu'il existe des preuves "évidentes" que l'humanité contribue au réchauffement du climat mondial, en brûlant des combustibles fossiles. Le GIEC s'appuie sur le travail de milliers de chercheurs du monde entier (dont, d'ailleurs, le géologue Richard Alley).Le programme européen sur le changement climatique Copernicus (C3S) a annoncé début janvier que les années 2015 à 2022 ont été les huit plus chaudes jamais enregistrées dans le monde, dépassant toutes de plus d'un degré les températures pré-industrielles."Environ 1,2°C" plus chaude que la moyenne de la période 1850-1900, l'année 2022 confirme la tendance du réchauffement climatique avec des sécheresses et des inondations exceptionnelles, ainsi qu'une nouvelle augmentation de la concentration des gaz à effet de serre", souligne le rapport annuel de ce programme européen. Anomalies de température en 2022, par rapport à la moyenne 1981-2010 ( AFP / Simon MALFATTO, Paz PIZARRO, Sylvie HUSSON)"Aujourd'hui, il n'y a plus de débat : il y a un consensus scientifique à 100% sur le fait que l'Homme influence le climat", commentait Xavier Fettweis, climatologue à l'université de Liège, dans un précédent article de vérification de l'AFP.Bien que l'origine humaine du dérèglement du climat fasse aujourd'hui consensus au sein de la communauté scientifique, la responsabilité de l'Homme dans le dérèglement du climat est régulièrement remise en cause sur les réseaux sociaux. L'AFP a récemment vérifié des allégations prétendant à tort que le Soleil serait la principale cause du réchauffement climatique, qu'il n'y aurait pas de lien entre les émissions de CO2 et le réchauffement du climat, ou encore qu'il n'existerait pas de consensus à ce sujet.
(fr)
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