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Une vidéo montrant des hommes armés battre et entasser d'autres hommes à l'arrière d'une voiture circule massivement sur Facebook en Afrique de l'Ouest. Elle montrerait l'"arrestation de terroristes au Mali" le 19 avril, selon les internautes qui la partagent. Attention: selon les déclarations des autorités locales et comme plusieurs indices visuels en attestent, cette scène a été filmée au Nigeria. Elle n'a rien à voir avec le Mali, plongé depuis 2012 dans une crise sécuritaire profonde que le déploiement de forces étrangères n'a pas permis de régler. "PAUVRE AFRIQUE", s'attristent les internautes qui partagent une vidéo d'un groupe d'hommes armés, certains en treillis, forçant d'autres hommes à s'entasser à l'arrière d'un pick-up et les frappant violemment.Cette scène montrerait l'"arrestation de terroristes au Mali" au matin du 19 avril. Le pays fait en effet face à une crise sécuritaire de grande ampleur depuis 2012. Parties du nord du pays, les violences jihadistes qui le secouent se sont étendues vers le centre et le sud avant que le conflit ne se complique avec l'apparition de milices communautaires et de bandes criminelles. Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 22 avril 2022La publication la plus virale (capture d'écran ci-dessus) a été partagée plus de 8.600 fois depuis le 19 avril, majoritairement par des internautes d'Afrique de l'Ouest, sur Facebook. Il y existe d'autres publications avec une moindre viralité. Attention cependant: contrairement à ce qui est affirmé, cette vidéo n'a pas été prise au Mali mais au Nigeria. Elle montre un groupe de sécurité local arrêter plusieurs hommes, qu'ils suspectaient d'être des "bandits" ayant mené des attaques près de Kaduna, ville située dans l'Etat du même nom, dans le centre du Nigeria.Une supercherie que de nombreux internautes semblent soupçonner dans les commentaires: ils sont très nombreux à émettre des doutes sur le fait que la scène se passe bien au Mali. Capture d'écran de commentaires sur Facebook, réalisée le 25 avril 2022Plusieurs indices décelables dans la vidéo ainsi que la réaction du gouvernement local dans différents médias nigérians en attestent. Indices visuelsPremièrement, à 1 minute et onze secondes, on aperçoit un homme vêtu d'un gilet pare-balles noir sur lequel est inscrit en blanc "Coalition JTF Kujama". En cherchant ces termes dans Google, on tombe sur une page Facebook d'un groupe de sécurité, Coalition JTF, actif à Kaduna et dans ses environs.Dans cette publication fin 2019 qui illustre l'ouverture d'un bureau de ce groupe à Kujama, à une vingtaine de kilomètres à l'est de Kaduna, on voit un homme qui porte un gilet pare-balles identique, avec la même inscription et la même police de caractères. Capture d'écran d'une vidéo Facebook, réalisée le 25 avril 2022 Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 25 avril 2022 Contactée, la Coalition JTF n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP à date de publication de cet article.Deuxièmement, la bordure des routes dans l'Etat de Kaduna est identique à celle visible dans la vidéo - en pointillés noirs et blancs -, comme on peut s'en rendre compte en comparant cette photo de l'AFP prise à Kaduna et une capture d'écran de la vidéo que nous vérifions. Capture d'écran de la publication Facebook réalisée le 25 avril 2022 L'absence de trafic sur Constitution Road, à Kaduna, le 19 juin 2012. ( AFP / VICTOR ULASI) Un élément qu'on retrouve aussi dans plusieurs photos postées par le compte Twitter Kaduna State Roads Agency, ici ou encore ici. Enfin, ni les uniformes militaires, ni la langue parlée dans la vidéo n'évoque celles parlées au Mali, selon les journalistes de l'AFP à Bamako. Il s'agit du haoussa, langue parlée par l'ethnie du même nom, majoritaire dans le nord du Nigeria.Des résidents arrêtés par erreurSelon les journalistes de l'AFP travaillant au Nigeria, cette vidéo a fait le buzz sur les réseaux sociaux le 9 avril. Les internautes qui la partageaient alors affirmaient que les hommes jetés à l'arrière du pick-up étaient des "bandits" arrêtés après avoir attaqué Kakura, une communauté rurale de l'Etat de Kaduna. En réalité, il s'agissait de résidents d'un village qui ont été pris par erreur pour ces criminels par un groupe de sécurité local, selon les autorités locales. Une recherche d'image inversée sur la base d'images-clefs tirées de cette vidéo virale permet en effet de trouver deux articles de médias nigérians (1, 2) republiant cette vidéo. Dans l'un d'entre eux figure une capture d'écran d'un tweet semblant suggérer que la vidéo est passée à la télévision au Nigeria le 11 avril. On la retrouve en effet sur le site d'Arise TV, une chaîne de télévision londonienne présente au Nigeria, publiée à cette même date. La présentatrice qui l'évoque explique que le gouvernement de l'Etat de Kaduna a réagi à cette vidéo montrant "des hommes de l'armée nigériane paradant avec des terroristes présumés et les entassant à l'arrière d'un pick-up, après une intervention réussie à Chikun Local Governement Authority (LGA)", dont Kujama est le siège.A cette date, le gouvernement (1, 2) avait déclaré "être dans l'attente de retours du terrain" pour pouvoir mener l'enquête au sujet des agissements des forces de sécurité visibles dans la vidéo, après qu'elle a provoqué l'indignation d'une partie de l'opinion publique face à ces mauvais traitements.C'est deux jours plus tard que les autorités ont expliqué que ces hommes étaient en réalité des habitants de Kakura partis à la recherche de criminels qui avaient attaqué leur village."Les mêmes criminels ont attaqué une communauté Fulani voisine et ont fait fuir leur bétail", selon Yekini Ayoku, le commissaire de police responsable de cet Etat cité par plusieurs médias nigérians (1, 2, 3). Un groupe de "vigilantes" (justiciers) de Kakura, parti à la recherche de ces "bandits", aurait ensuite attaqué les Fulani partis à la recherche de leurs bêtes, les prenant pour les coupables. Selon ces mêmes sites d'actualité, trois personnes sont mortes dans cet affrontement et plusieurs ont été blessées.Le point sur la situation au MaliLe Mali est plongé depuis 2012 dans une crise sécuritaire profonde que le déploiement de forces étrangères n'a pas permis de régler. La junte militaire au pouvoir s'est rapprochée de Moscou en même temps qu'elle se détournait de la France, engagée militairement dans le pays contre les jihadistes depuis 2013.Le 24 avril encore, l'armée malienne a annoncé la mort de six soldats dans trois attaques simultanées avec des "véhicules bourrés d'explosifs", contre trois camps militaires dans le centre du Mali, des assauts revendiqués par un groupe lié à Al-Qaïda.Ces attaques ont fait au total "six morts" et 20 blessés dans les trois camps visés, à Sévaré, Bapho et Niono, par des "groupes armés terroristes (qui) ont utilisé des véhicules kamikazes bourrés d'explosifs", a affirmé l'armée malienne dans un communiqué.Le conflit a fait des milliers de morts, civils et combattants, et le centre du Mali est actuellement un des principaux foyers de la crise sahélienne.
(fr)
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