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La société BioNTech, qui a développé un vaccin contre le Covid avec le laboratoire Pfizer, aurait déclaré ne pas être "en mesure de démontrer l'efficacité et l'innocuité" de son produit, selon des publications partagées plus de 4.000 fois depuis le 27 avril. Mais cette cette entreprise défend bien publiquement l'efficacité et la sécurité de son vaccin. Les publications se fondent sur un rapport de la biotech allemande envoyé aux autorités financières américaines en mars 2022, dans lequel elle liste une série de facteurs de risque théoriques pour l'avenir, comme par exemple l'hypothèse de nouveaux variants plus résistants, pour informer ses investisseurs potentiels, et s'assurer une forme de protection juridique. Une bonne partie n'est d'ailleurs pas liée au vaccin ou à sa composition. L'Agence nationale de sécurité du médicament en France défend également l'efficacité et l'innocuité du vaccin."ALERTE : BioNTech vient de déclarer qu'ils ne sont pas en mesure de démontrer l'efficacité et l'innocuité du vaccin COVID-19", a tweeté un internaute le 27 avril, avant de voir sa publication partagée plus de 3.000 fois. Des publications similaires ont également ciblé ce laboratoire pharmaceutique allemand, à l'origine du premier vaccin à ARN messager contre le Covid-19 en partenariat avec Pfizer, aussi bien sur Facebook (1, 2) que Twitter (1), Telegram ou des sites Internet (1, 2)."Visiblement ils viennent de se rendre compte que leur vaccin ne marche pas", a ainsi écrit une internaute le 26 avril dans un tweet partagé plus de 1.200 fois en relayant un extrait d'un document en anglais portant sur "les facteurs de risque" d'un "vaccin contre le Covid-19". "Boum !! Le château de cartes s'écroule", en conclut un autre utilisateur le 28 avril. Des affirmations virales qui circulent également en allemand, en italien et en néerlandais. Capture d'écran Twitter prise le 19 mai 2022Ces publications se fondent sur un document de BioNTech daté du 30 mars 2022. Ce rapport de 700 pages a été rédigé pour la Securities and Exchange Commission (SEC), l'organisme américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers.Résultats attendus, état financier de l'entreprise, capitalisation, facteurs de risque... Ce "formulaire 20-F" est un document standard que les sociétés étrangères cotées en bourse aux Etats-Unis sont dans l'obligation de remettre à la SEC. A la fois pour se conformer aux exigences du marché américain et pour permettre aux investisseurs potentiels de comparer plus aisément les entreprises étrangères aux compagnies américaines. Ces rapports doivent être remis chaque année à la SEC en vertu du Securities Exchange Act. C'est ce que BioNTech a fait en mars 2022 pour l'année fiscale écoulée. Un document similaire est également demandé aux entreprises américaines, c'est le formulaire 10-K : l'entreprise Moderna, qui a aussi développé un vaccin à ARN, l'a par exemple déposé le 25 février 2022.L'extrait pointé par les internautes se trouve à la page 12 du rapport de BioNTech. Voici ce que BioNTech écrit : "Il se peut que nous ne puissions pas démontrer une efficacité ou une sécurité suffisante de notre vaccin contre le Covid-19 pour obtenir une autorisation régulière et permanente de mise sur le marché dans les juridictions où il a bénéficié d'une autorisation conditionnelle ou d'urgence".L'entreprise allemande poursuit en expliquant que son vaccin "a obtenu une autorisation régulière de mise sur le marché aux Etats-Unis pour les individus âgés de plus de 16 ans, et une autorisation conditionnelle ou d'urgence dans plusieurs pays". Cependant, "il est possible que les données recueillies à l'issue de ces essais cliniques ne soient pas aussi favorables que les données" soumises aux autorités de ces pays pour obtenir ces autorisations conditionnelles, explique la biotech. "Notre vaccin contre le Covid-19 pourrait ne pas recevoir d'autorisation régulière (...) ce qui pourrait affecter nos perspectives commerciales", conclut BioNTech.C'est cet extrait qui a suscité des interrogations de la part des internautes, l'entreprise paraissant déclarer qu'elle doute des résultats de son vaccin. Néanmoins, cet extrait est sorti de son contexte. Car dans le même document, BioNTech met bien en avant les résultats positifs de son vaccin à ARN messager, tant concernant son efficacité que son innocuité, y compris contre les variants en circulation actuellement.Des experts expliquent que cette formulation relève d'une pratique courante des laboratoires pharmaceutiques pour se protéger juridiquement face aux investisseurs. La nature très hétéroclite des "facteurs de risque" listés - dont une minorité seulement concerne le produit phare de BioNTech - témoigne de cette démarche.BioNTech défend bien l'efficacité et l'innocuité de son vaccinCes affirmations sont "trompeuses", argue le laboratoire auprès de l'AFP. Aux pages 88 et 90 du document, BioNTech explique que "dans l'analyse finale de l'efficacité de l'essai clinique mondial de phase 3, le [vaccin] BNT162b2 a satisfait à tous les principaux critères d'efficacité (...) Les résultats ont montré que le BNT162b2 prévient les symptômes du Covid-19 et a un profil de sécurité bien toléré."Lors de cet essai clinique, explique BioNTech, son vaccin "a démontré une efficacité de 95% pour les personnes âgées de 16 ans et plus et de 94% pour les participants de plus de 65 ans. Le profil de sécurité était favorable, avec une faible fréquence d'événements indésirables de grade 3 (graves, NDLR) et des effets indésirables essentiellement habituels lors d'une vaccination." Capture d'écran du site de BioNTech effectuée le 16 mai 2022Et ces résultats d'essais cliniques ont ensuite été confortés dans les essais en vie réelle, explique l'entreprise allemande. Cette dernière rappelle dans son document que d'après ces essais, son produit confère une protection renforcée contre "les infections symptomatiques, les infections asymptomatiques, les infections graves, les hospitalisations et les décès". Cela "reflète la haute efficacité" et "confirme la sûreté" du vaccin, poursuit BioNTech, qui soutient l'utilité de son vaccin contre les variants en circulation au moment de la production de ce document. Il n'est donc pas possible d'affirmer que BioNTech "doute" des performances de son vaccin. Capture d'écran du formulaire remis par BioNTech aux autorités américaines effectuée le 17 mai 2022En revanche ce vaccin -comme celui de Moderna- a vu son efficacité réduite face au variant Omicron, même s'il protège encore contre les symptômes graves, les hospitalisations et la mort."Le vaccin et plus particulièrement la (3e) dose de rappel restent efficaces contre les hospitalisations conventionnelles et les hospitalisations en soins critiques après infection par le variant Omicron (plus de 70 % d’efficacité vaccinale pour les 20 ans ou plus). Le vaccin et la dose de rappel sont aussi particulièrement efficaces contre les décès (90 % d’efficacité vaccinale pour les 40 ans ou plus), même si l’efficacité est réduite par rapport au variant Delta", expliquait par exemple la Dress (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques ) dans une note en février dernier. Par ailleurs, le vaccin Pfizer-BioNTech est utilisé dans de nombreux pays – près de 146 l'ont autorisé, selon la plateforme de suivi des vaccins Covid-19 Vaccine Tracker. Les autorités sanitaires américaines, l'Organisation mondiale de la santé, l'Agence européenne des médicaments, le ministère fédéral allemand de la Santé ou encore l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) défendent entre autres sa sécurité et son efficacité.Alors pourquoi le laboratoire allemand a-t-il écrit qu'il pourrait ne plus être en mesure à l'avenir de "démontrer une sécurité ou une efficacité suffisante"? Plusieurs explications sont données par BioNTech.Premièrement, l'émergence de nouveaux variants pourrait amoindrir l'efficacité du vaccin : "Notre vaccin pourrait ne pas être aussi efficace" contre les variants futurs du virus "qu'il ne l'est contre la [souche d'origine à partir de laquelle le vaccin a été développé]", explique BioNTech en page 10. L'entreprise dit en outre développer des versions modifiées de son vaccin, mais qu'une "incapacité à s'adapter aux variants" pourrait un jour "affecter [ses] résultats financiers".Deuxièmement, dans de nombreux pays, comme en France par exemple, l'injection a obtenu une autorisation conditionnelle de mise sur le marché. C'est un dispositif qui permet "aux régulateurs d'approuver un médicament rapidement et d'une façon pragmatique quand il y a un besoin urgent", indique l'Agence européenne du médicament. Tôt ou tard, une autorisation standard pourrait lui être substituée, comme aux Etats-Unis, où le vaccin de Pfizer et BioNTech a reçu ce sésame en août 2021.Mais "cette procédure bureaucratique peut conduire à deux résultats (une autorisation, ou une non-autorisation, NDLR), il existe donc un risque" pour la santé économique de l'entreprise, explique Gunther Friedl, professeur de gestion d'entreprise et de contrôle de gestion à l'Université technique de Munich. A la page 33 du rapport, BioNTech explique de plus que les autorités sanitaires des pays "pourraient changer les conditions requises pour obtenir une autorisation [de mise sur le marché]" : dès lors, les niveaux d'efficacité ou d'innocuité demandés ou les conditions des essais pourraient théoriquement évoluer.Une pratique habituelle Cette liste relèverait en fait d'une pratique courante des entreprises pharmaceutiques pour se protéger.Dans un email daté du 6 mai, la société explique : "[Cette section sur] les facteurs de risque [doit] informer pleinement sur les risques potentiels que les investisseurs considèreraient comme fondamentaux pour leurs décisions d'investissements ou de vote. [Elle] ne décrit pas les événements qui se sont réellement produits ou se produiront."Dans cette section, longue de 69 pages, la concurrence avec d'autres fabricants de vaccins contre le Covid-19 est aussi mentionnée comme un facteur de risque, tout comme les conditions de stockage et de livraison de son vaccin, ou d'éventuelles catastrophes naturelles qui pourraient nuire à son activité. Des risques théoriques très variés, qui ne se bornent pas du tout à la seule efficacité du vaccin. Capture d'écran du formulaire remis par BioNTech aux autorités américaines effectuée le 17 mai 2022 Capture d'écran du formulaire remis par BioNTech aux autorités américaines effectuée le 17 mai 2022 L'objectif du formulaire est donc plutôt d'indiquer les risques financiers qui pourraient survenir lors de scénarios poussés à l'extrême. De ce fait, les sociétés cotées comme BioNTech sont légalement tenues de lister les risques commerciaux les plus pertinents dans leurs rapports annuels, pour informer de potentiels investisseurs. Selon Gunther Friedl, BioNTech est dans l'obligation de lister tous ces risques et de les déclarer de manière prospective, y compris ceux ayant une très faible probabilité de survenir. "Un risque qui aurait été omis donnerait la possibilité aux investisseurs de poursuivre l'entreprise" en justice, a expliqué le professeur à l'AFP le 5 mai. Ce rapport est donc une forme de garantie juridique pour BioNTech vis-à-vis de ses investisseurs.La question de l'autorisation du vaccin est centrale, comme l'a expliqué à l'AFP Jannis Bischof, professeur de gestion et de comptabilité d'entreprise à l'université de Mannheim en Allemagne. "Même si cet examen, comme dans le cas de BioNTech, se révèle en faveur de l'autorisation du vaccin, cela ne signifie pas que disparaît tout risque financier lié à la vente du vaccin et aux responsabilités ultérieures".Selon Jannis Bischof, "la forme et le contenu du rapport sont à tous égards conformes à la pratique de nombreuses entreprises européennes présentes sur le marché américain des capitaux". Les firmes du secteur de la santé rendent d'ailleurs compte abondamment des risques dans ce genre de formulaire. Selon Jannis Bischof, il s'agit d'une forme de protection juridique habituelle pour les sociétés cotées : l'autorisation de médicaments ou de vaccins qui peuvent avoir des effets secondaires est toujours associée à des risques financiers qualifiés d'extrêmes (en anglais "tail risks"), dont la probabilité d'occurrence est faible, mais dont les conséquences financières peuvent être importantes.Et pour Jannis Bischof, rien n'indique dans ce document que les facteurs dits de "tail risks" du vaccin de Pfizer et BioNTech sont "inhabituellement élevés ou réellement projetés", ni sur le fond, ni sur la forme. Lorsqu'on se penche par exemple sur les formulaires remplis par d'autres géants pharmaceutiques, les mêmes formulations précautionneuses sont présentes. Leader dans le domaine des médicaments contre le VIH, le laboratoire Gilead explique par exemple qu'en cas de graves problèmes concernant la sécurité de ses médicaments, leur vente pourrait être "limitée ou stoppée" par les autorités sanitaires, ce qui aurait mécaniquement des conséquences pour son activité."Cela indique que ces propos sur les risques sont davantage destinés à apporter une protection juridique (vis-à-vis des investisseurs, NDLR) plutôt qu'à fournir de nouvelles informations véritables sur les risques associés aux vaccins", en conclut Jannis Bischof.Les autorités sanitaires confiantes malgré l'apparition de nouveaux variantsEn France, la structure Epi-Phare, qui associe l'Assurance maladie et l'ANSM, a mené deux études en vie réelle sur la vaccination contre le Covid-19 des plus de 50 ans. "Les résultats de ces deux études sont très concordants", explique Epi-Phare. "Ils mettent en évidence l’efficacité importante des trois vaccins Pfizer, Moderna et AstraZeneca, contre les formes graves de Covid-19 (hospitalisation, et décès au cours d’une hospitalisation), avec une réduction du risque d’hospitalisation à partir du 14ème jour après l’injection de la seconde dose supérieure à 90% dans les deux cohortes et pour chaque vaccin."Et Epi-Phare de conclure que "tous les vaccins contre la Covid-19 sont hautement efficaces et ont un effet majeur sur la réduction des risques de formes graves de Covid-19 chez les personnes âgées de 50 ans et plus en France en vie réelle.""Dans sa formulation pédiatrique adaptée, le vaccin présente une très bonne efficacité contre les variants majoritaires circulant actuellement et sa capacité à prévenir les formes sévères est excellente", a également déclaré la Haute autorité de santé (HAS) en décembre 2021. Elle propose à ce titre que les parents qui le souhaitent puissent faire vacciner leurs enfants âgés de 5 à 11 ans. Tableau montrant les cinq vaccins contre le Covid-19 autorisés en France ( AFP / Emmanuelle MICHEL, Valentina BRESCHI)Selon l'Institut allemand Robert-Koch, les mutations du SARS-CoV-2 peuvent cependant influencer l'efficacité de la protection vaccinale. Le 27 avril, l'institut écrivait que les premières études montraient une moindre efficacité de la protection conférée par les vaccins contre le variant Omicron. "Cependant, les données des premières études montrent également qu'une bonne protection contre le variant Omicron peut être obtenue avec un rappel vaccinal". Quant à l'innocuité du vaccin à ARN, l'ANSM expliquait le 13 mai que "la majorité des effets indésirables [du vaccin de Pfizer et BioNTech] sont attendus et non graves", comme des céphalées ou des douleurs au niveau du site d'injection, détaille l'agence dans ses enquêtes de pharmacovigilance. Néanmoins, les vaccins Pfizer/BioNTech et surtout Moderna accroissent légèrement le risque de survenue de myocardites et de péricardites – des inflammations du coeur - chez les jeunes dans les 7 jours suivant la vaccination, selon une étude d'Epi-Phare de novembre 2021, confirmée en avril 2022. Une observation qui a poussé la HAS à déconseiller le vaccin Moderna aux moins de 30 ans, au profit du produit développé par BioNTech, estimant que ce dernier présente des "risques plus faibles de myocardite, en particulier pour les personnes de moins de 30 ans". Par ailleurs, les cardiologues interrogés par l'AFP rappellent que les cas de myocardites post-vaccinaux, notamment détectés chez les adolescents et jeunes adultes, surtout masculins, sont très rares.L'institut médical Paul-Ehrlich, qui conseille le gouvernement allemand, se veut de son côté rassurant et affirme qu'il ne faut pas s'attendre à découvrir "des effets secondaires qui ne surviendraient que des années après la vaccination". "Ce n'est pas [un phénomène] connu dans le cas des vaccins", affirme l'institut.
(fr)
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