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Une "frappe de retour à l'envoyeur", en représailles au bombardement ukrainien meurtrier la nuit du Nouvel an sur Makiïvka, aurait tué "jusqu'à 120 militaires ukrainiens" et détruit du matériel militaire à Droujkivka, dans l'est de l'Ukraine, selon une page Facebook localisée au Mali. Attention: il est très improbable que la frappe russe du 2 janvier sur cette localité ait occasionné un tel bilan. Certaines sources font état d'un mort, tandis que d'autres ne mentionnent que quelques blessés. Plusieurs vidéos et sources locales confirment que la gare a été touchée et une patinoire détruite, sans qu'aucun matériel militaire n'ait été découvert en leur sein. "Jusqu'à 120 militaires ukrainiens ont été tués lors de cette frappe de l'armée russe sur les positions ukrainiennes de Druzkhkovka (...). Du matériel militaire a également été détruit, dont 2 HIMARS, 4 véhicules de combat RM679 Vampire, ainsi que plus de 800 roquettes, 6 véhicules", affirme la page Facebook Groupe des patriotes du Mali, en partageant une vidéo montrant les conséquences d'un bombardement dans une patinoire. Plafond éventré, canalisations détruites, débris calcinés: cette vidéo de 27 secondes rend compte de l'étendue de cette frappe. Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 13 janvier 2022Ces images cumulent plus de 150.000 vues depuis leur publication en ligne le 4 janvier, et ont été également partagées sur Twitter, Telegram et YouTube. Le bilan mis en avant par les internautes a quant a lui été repris sur le réseau social russeVKontakte et par des blogs soutenant le Kremlin. La veille, la Russie avait admis que 89 militaires avaient perdu la vie lors de la frappe ayant visé dans la nuit du Nouvel an des soldats russes à Makiïvka, une ville sous occupation russe de la région ukrainienne de Donetsk (est), dont Moscou revendique l'annexion. Un aveu rarissime qui a ravivé en Russie les critiques envers la mobilisation et souligné le manque de confiance généralisé envers le commandement militaire, près d'un an après le déclenchement de l'offensive.Frappes sur DroujkivkaRevenons d'abord sur ce qu'il s'est passé le 2 janvier à Droujkivka, à une quinzaine de kilomètres au sud de Kramatorsk, capitale administrative de facto de la région de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine."La première frappe a touché la gare, qui se trouve très près du Man-Hotel où séjournent la plupart des journalistes", détaille le 7 janvier à l'AFP le correspondant Björn Stritzel, du quotidien allemand Bild, présent sur place. Un bombardement qui a été filmé par la chaîne de télévision française TMC, dont l'équipe se trouvait à quelques dizaines de mètres de l'explosion.Un second missile est ensuite tombé sur la patinoire Altair, à un peu plus d'un kilomètre au sud-ouest de la gare, comme l'ont rapporté plusieurs médias (1, 2...) et comme l'a officialisé le club de hockey sur glace de Donetsk, HC Donbass, sur son site.Les autorités régionales ukrainiennes ont fait état sur Twitter de "deux missiles" à Droujkivka et Yakovlivka et annoncé un bilan de 2 blessés. Le ministère russe de la Défense a quant à lui déclaré le 3 janvier avoir détruit dans ces frappes "deux systèmes HIMARS de fabrication américaine, quatre systèmes RM-70 Vampire de fabrication tchèque, plus de 800 roquettes, six véhicules et [tué] jusqu’à 120 militaires ukrainiens", des éléments repris à l'identique par les publications que nous vérifions.Les bilans dressés par les autorités ukrainienne et russes diffèrent donc fortement. Néanmoins, plusieurs témoignages et vidéos mettent en doute les affirmations de Moscou. "Aucun équipement militaire ni victime"Premièrement, le démenti du HC Donbass cité ci-dessus ne mentionne aucune perte liée au bombardement, précisant simplement que "la patinoire d'Altair a été détruite" après que "la Russie a lancé deux frappes de missiles sur la ville de Droujkivka". Les similitudes entre la vidéo mise en ligne par le club de hockey et celle qui circule pour accompagner les affirmations que nous vérifions nous permettent de nous assurer qu'il s'agit bien là du même endroit et que l'intervalle entre ces deux prises de vue est relativement bref, au vu des dégâts quasiment identiques observables dans la vidéo.On distingue dans la vidéo virale les mêmes éléments à l'arrière-plan (en rouge), la même palissade abîmée (en rose), les mêmes cartons entreposés dans un coin (en bleu) que dans la vidéo publiée par le HC Donbass. On aperçoit même très rapidement les bouteilles d'eau entreposées au sol (en vert), bien visibles sur la vidéo du club. Capture d'écran d'une vidéo sur Facebook, réalisée le 12 janvier 2023 Capture d'écran d'une vidéo sur YouTube, réalisée le 12 janvier 2023 Pourquoi ces bouteilles d'eau se trouvaient dans cette enceinte sportive ? Indiquent-elles, à l'instar de ce qui ressemble à des matelas en partie brûlés visibles dans ces images, que "de nombreux soldats ukrainiens y étaient installés", comme l'affirment plusieurs internautes partageant la rumeur que nous vérifions ?En réalité, selon Gherardo Vitali, journaliste de la chaîne de télévision italienne Rai, interrogé par l'AFP le 6 janvier, ces bouteilles faisaient partie de stocks appartenant à des organisations humanitaires. Arrivé sur place au matin, quelques heures après l'attaque, il précise avoir vu "des centaines de bouteilles d'eau, des couvertures, [mais] aucun signe de victimes", assurant même avoir entendu dire que "personne n'était là au moment de l'explosion".Par ailleurs, il précise n'avoir "vu aucun matériel militaire", en contradiction avec le bilan dressé par Moscou. Selon le président ukrainien qui a réagi à cette attaque, la patinoire avait précédemment servi à accueillir de l'aide humanitaire. Un élément également évoqué parcertains médias. Sur Facebook, de nombreuses voix locales se sont émues de la destruction de cette patinoire, la cinquième à être détruite depuis le début des bombardements russes dans cette région, selon le site de la Fédération ukrainienne de hockey sur glace."Cette patinoire est plus qu'un bâtiment", a commenté sur Facebook l'un des gestionnaires du HC Donbass, Fedor Ilyenko, au lendemain du bombardement. C'était "la seconde maison du club depuis 2014, où se sont déroulées des centaines de compétitions junior, des dizaines de tournois internationaux, un endroit où les enfants souriaient", a-t-il poursuivi, visiblement ému. Se décrivant comme "sous le choc émotionnellement" depuis cet événement, le manager s'interroge dans une autre publication datée du même jour: "Chers Russes, de quoi êtes-vous venus nous libérer ? De la vie ? Du futur ?", les enjoignant à "quitter [l'Ukraine] et à vivre leur vie chez [eux]".Une réaction à laquelle fait écho le président ukrainien, qui voit dans l'attaque de la patinoire "un nouvel aveu d'un Etat terroriste". Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 12 janvier 2023Avant cette frappe sur la patinoire, une première frappe a touché la gare de Droujkivka selon Björn Stritzel, de Bild, qui s'est rendu sur les lieux de cette première attaque quelques minutes après l'impact. "Aucun équipement militaire ni de victime", a-t-il confirmé à l'AFP, précisant avoir seulement vu "quelques secouristes qui ont sorti un chien des décombres".Ce premier bombardement a d'ailleurs été capturé en direct par l'équipe de la chaîne de télévision française TMC : dans ces images, on voit le reporter Paul Gasnier se préparer à répondre aux questions du présentateur de l'émission Quotidien avant d'être projeté à terre par l'explosion, quelques dizaines de mètres derrière lui, avant de quitter l'endroit avec son équipe. Toujours selon le journaliste de Bild, seuls deux bâtiments ont été endommagés par la frappe, "mais rien d'important ne se trouvait sur ce site à part des déchets et deux bouteilles de propane", qui n'ont pas explosé immédiatement. De retour sur la scène le lendemain, le correspondant de Bild a de nouveau constaté qu'il n'y avait rien sur place "à part des déchets et des décombres". Côté ukrainien, si le nombre de blessés constatés varie pour cette nuit du 2 janvier, aucun bilan ne se rapproche de celui avancé par Moscou. Le directeur adjoint du bureau de la présidence ukrainienne Kyrylo Timochenko a fait état de deux blessés en plus des dégâts matériels évoqués ci-dessus sur Telegram ; le chef de l'administration militaire de la région de Donetsk, Pavlo Kyrylenko, a quant à lui précisé sur la même plateforme que Droujkivka avait été bombardée trois fois et qu'un blessé était à déplorer.De manière générale, il est très difficile de se faire une idée précise du nombre de soldats des deux pays tués depuis le début de l'invasion russe en Ukraine en février 2022, dans un contexte très volatile et d'extrême insécurité. Kiev et Moscou avancent généralement des chiffres à leur avantage. A titre d'exemple, le dernier bilan fourni côté russe date de septembre, lorsque le ministre de la Défense Sergueï Choïgou avait évoqué un total de 5.937 morts. Dans les rangs de l'armée ukrainienne, un maximum de 13.000 militaires ont été tués depuis le début du conflit, avait affirmé en décembre un conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky.Des chiffres très éloignés des estimations faites par les Etats-Unis: le chef d'état-major américain, le général Mark Milley, a estimé en novembre que plus de 100.000 militaires russes avaient été tués ou blessés depuis l'invasion et que les pertes étaient probablement du même ordre côté ukrainien."Propagande"Dans un threadpublié sur Twitter après l'attaque, Björn Stritzel affirme par ailleurs que "des nazis pro-russes affirment que les frappes russes ont détruit 'deux HIIMARS et 4 lance-roquettes Vampire'", des éléments qui ressemble aux affirmations que nous vérifions et qu'il qualifie de "propagande ridicule". Pro-Russian Nazi claims that Russian strikes destroyed “2 HIMARS and 4 Vampire” MLRS systems.It’s ridiculous propaganda of course; I’ve been at the scene before Ukrainian authorities cleaned it up, there was nothing close to a military facility or weapon systems there. pic.twitter.com/EWsxbE5aoy — Björn Stritzel (@bjoernstritzel) January 3, 2023 Une version corroborée par Guillaume Ptak, le correspondant en Ukraine pour le quotidien français Les Echos, contacté par l'AFP le 9 janvier. "[Ce bilan] me paraît extrêmement improbable", a-t-il analysé, "les Ukrainiens ont tendance à disperser leurs troupes justement pour éviter ce genre de soucis".Pour lui, les déclarations russes naissent d'une tentative de "manufacturer des 'représailles' efficaces pour calmer l'opinion publique et rassurer la population sur les capacités militaires de la Russie", après la frappe ukrainienne extrêmement meurtrière sur Makiivka. "D'ailleurs, il est intéressant de noter que le nombre initial de soldats ukrainiens supposément tués par les Russes [à Droujkivka] correspond aux estimations les plus hautes du nombre de conscrits russes tués à Makiivka", indique le journaliste.Guerre à l'estAu 13 janvier, les combats continuaient dans l'est de l'Ukraine, notamment à Soledar et Bakhmout, deux villes que la Russie veut conquérir coûte que coûte pour changer le cours du conflit. La situation à Soledar est depuis quelques jours "difficile" pour l'armée ukrainienne et "les combats les plus acharnés et les plus violents se [poursuivaient]" le 12 janvier, avait indiqué à cette date la vice-ministre de la Défense, Ganna Maliar.Pour l'analyste militaire Anatoli Khramtchikhine, la prise de Soledar, petite ville d'environ 10.000 habitants avant guerre, aujourd'hui complètement détruite, permettrait à Moscou de brandir enfin une victoire militaire, après une série de revers humiliants. "Toute victoire est importante, surtout parce qu'il n'y a pas eu de victoire depuis un moment", souligne-t-il. Carte d'Ukraine localisant les villes de Soledar et Bakhmout, le front de guerre, ainsi que les dégâts à Soledar visibles sur deux photos satellites de Maxar Technologies datant du 10 janvier ( AFP / SABRINA BLANCHARD, PATRICIO ARANA, SYLVIE HUSSON)Le 11 janvier, le chef du groupe de mercenaires russes Wagner, Evguéni Prigojine, avait revendiqué la prise de Soledar, avant d'être rapidement contredit non seulement par Kiev, mais aussi par le ministère russe de la Défense avec lequel il entretient des relations de rivalité. Sur une carte de l'est de l'Ukraine publiée jeudi par le ministère russe de la Défense, Soledar n'apparaissait pas sous contrôle de l'armée de Moscou."Nous tenons bon", a martelé de son côté la vice-ministre ukrainienne Ganna Maliar, vantant "la résilience et l'héroïsme" des forces armées de son pays. Sans présenter de chiffres, elle a indiqué le 12 janvier que les troupes russes qui combattent à Soledar "subissent de lourdes pertes (...) en essayant sans succès de percer [la] défense [ukrainienne]".
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