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En pleine contestation sur le report de l'âge légal de la retraite à 64 ans, des publications relayées sur les réseaux sociaux soutiennent que la mise en place de la réforme des retraites était inscrite dans le Plan de relance post-Covid de l'Union européenne comme contrepartie au versement d'une aide financière de 40 milliards d'euros à la France. Mais cette conditionnalité ne figure pas dans les documents liés au plan européen, consultables en ligne, ce qu'a confirmé à l'AFP la représentation de la Commission européenne en France. Si Bruxelles a encouragé une réforme qu'elle juge "cruciale", les modalités des systèmes des retraites relèvent de la compétence des pays membres, ont expliqué plusieurs spécialistes à l'AFP.Alors que la mobilisation contre la réforme des retraites et le report de l'âge légal à 64 ans bat son plein, des publications partagées sur les réseaux sociaux soutiennent que l'adoption de cette réforme serait une contrepartie imposée par l'Union européenne à la France en échange de l'octroi d'une importe aide financière post-Covid."La réforme des retraites est exigée par l'Union européenne, c'est demandé dans les grandes orientations de politique économique tous les ans, mais c'est aussi demandé en face du plan de relance de 40 milliards d'euros qui a été décidé pendant le Covid. Il est écrit qu'il y aura une réforme des retraites (...) et dans ce cas-là, on aura l'argent du plan de relance", a affirmé l'économiste Philippe Murer le 14 janvier sur TV Libertés. Capture d'écran prise sur Facebook le 19/01/2023"Cette réforme des retraites obéit aussi à une injonction de Bruxelles. On a quand même fait comprendre à notre gouvernement qu'il fallait que ça passe avant l'été 2023 pour avoir l'argent du plan de relance", a également affirmé le 11 janvier sur CNews la députée du Rassemblement national Laure Lavalette. Un argumentaire repris par de nombreux internautes sur Twitter. Cette allégation n'est pas nouvelle, elle circulait déjà en septembre 2020, relayée par le député la France Insoumise Adrien Quatennens, ou encore par Marine Le Pen et Jordan Bardella, puis avait ressurgit en octobre 2021, mise en avant cette fois par Arnaud Montebourg, alors candidat à l'élection présidentielle.D'où viennent les "40 milliards" promis par Bruxelles ?En juillet 2020, les dirigeants des 27 pays de l'UE ont conclu un accord sur un plan de relance de 750 milliards d'euros, financé pour la première fois par des titres de dette émis par la Commission au nom de l'UE et avec l'objectif de réparer les ravages économiques de la pandémie de Covid-19. Baptisé "Next Generation EU" et étendu de 2021 à 2027, ce plan inédit prévoit le versement direct de 390 milliards d'euros aux Etats membres, auxquels viennent s'ajouter, si besoin 360 milliards disponibles sous forme de prêts. Chaque Etat membre a dû, pour bénéficier de ces financements, faire approuver par la Commission un plan de relance détaillant la manière dont seraient utilisés ces fonds et s'engageant à des réformes structurelles censées éviter une dégradation des finances publiques. "La France a proposé des investissements et des réformes pour mettre en œuvre les objectifs du plan de relance européen pour son enveloppe", a détaillé auprès de l'AFP le 18 janvier la porte-parole de la Commission européenne en France Adina Revol. Comme celui des autres Etats membres, ce "plan national pour la reprise et la résilience", dit "PNRR", présenté par la France a dû satisfaire plusieurs conditions: au moins 37% d'investissements dans la transition écologique et 20% dans le numérique, mais aussi des engagements sur des réformes réclamées de longue date par l'UE, comme le rapportait l'AFP en avril 2021.Après analyse, la Commission a accepté d'accorder à la France 39,4 milliards d'euros de subventions par tranches successives, à condition que plusieurs "cibles" et "jalons", définis dans le PNRR, soient atteints.Ces objectifs concernent des domaines variés comme l'écologie ou le numérique, avec par exemple un nombre d'aides à la rénovation énergétique "MaPrimeRénov" à atteindre : 400.000 fin 2021 et 700.000 fin 2022. "La France a déjà reçu 5,1 milliards de pré-financement au moment de l’adoption du Plan en juillet 2021, et 7,4 milliards au titre de la première demande de paiement le 4 mars 2022. Il reste environ 25 milliards à décaisser", a indiqué le 18 janvier la porte-parole de la Commission européenne en France.Une réforme des retraites qui ne figure pas comme conditionLa réforme des retraites figurait-elle explicitement parmi ces "cibles" et "jalons" à respecter pour toucher ces fonds ?Public et consultable en ligne, le PNRR liste l'allocation prévue des 39,4 milliards d'euros de fonds européens et les réformes que l'exécutif français s'engage à prendre pour y prétendre. A plusieurs reprises dans ce document, le gouvernement se dit "déterminé" à mener une "réforme ambitieuse des retraites" qu'il juge "nécessaire" mais ne s'engage sur aucune modalité ou calendrier, assurant seulement qu'elle pourra être menée à bien "lorsque les conditions le permettront".Dans son analyse qui a conduit à approuver le plan français, la Commission européenne prend acte de l'absence d'engagement concret du gouvernement sur le dossier des retraites et indique donc qu'aucun "élément livrable" - c'est-à-dire un versement au titre du plan de relance - ne lui est conditionné."La réforme du système des retraites n'est incluse dans aucune mesure du plan français et n’est donc associée à aucun élément livrable (jalon ou cible) au titre de la facilité pour la reprise et la résilience", écrivent les services de la Commission, tout en prenant acte du souhait des autorités françaises de "reprendre les discussions parlementaires suspendues sur la réforme des retraites dans le but de créer un système universel plus équitable". Capture d'écran prise le 19/01/2023"Compte tenu de son importance cruciale pour la mobilité de la main-d’œuvre et la productivité, la réforme des retraites prévue fera l’objet d’un suivi attentif, notamment au niveau de ses implications en termes d’équité et de viabilité", est-il ajouté.Dans les documents sur le plan français que la Commission a transmis au Conseil de l'Union européenne, la réforme des retraites n'est mentionnée ni dans le texte principal ni dans ses annexes, où est précisé le calendrier précis des réformes et des chantiers prévus par le plan de relance.Aux termes de ces documents, il apparaît donc que la Commission n'a pas explicitement conditionné ses versements à la mise en oeuvre d'une réforme des retraites, qui ne figure d'ailleurs pas dans les engagements pris par Paris. Mais Bruxelles a précisé que ce chantier ferait, à l'avenir, l'objet d'un "suivi attentif" de sa part."Il s'agit d'une fausse information, car mettre en place la réforme des retraites n'est clairement pas une condition pour recevoir le versement du plan de relance européen", a confirmé le 18 janvier la porte-parole de la Commission européenne en France.Une réforme qui relève de la compétence des Etats membresMême si Bruxelles a encouragé une réforme du système des retraites français, ce dossier relève de la compétence des Etats membres, ont pointé trois spécialistes interrogés par l'AFP."C'est le principe dit de 'subsidiarité', à savoir que chaque pays est libre de mettre en place les politiques sociales qu'il souhaite et qu'il n'a pas à suivre des directives qui seraient imposées à l'échelle de l'UE", a indiqué le 18 janvier à l'AFP Catherine Mathieu, économiste à l'OFCE et présidente de l'Association d'instituts européens de conjoncture économique."Il est inscrit noir sur blanc dans le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que l'UE n'a pas de pouvoir de contrainte là-dessus, elle ne peut que donner des recommandations", a abondé le 18 janvier à l'AFP Vincent Couronne, docteur en droit public et auteur de la thèse "La compétence procédurale des États-membres de l'Union Européenne", précisant que celles-ci se basent en outre sur des objectifs et projets de réforme établis par chaque pays membre.Dans des recommandations datant de 2019, le Conseil de l'UE, l'instance qui représente les 27, appelait ainsi la France à "réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes"."Avec ces recommandations, Bruxelles explique qu'il est important que les pays fassent attention à l'endettement en maintenant les plafonds de dette à 60 % du PIB et de déficit publics à 3 % du PIB, mais ce ne sont que des recommandations non-contraignantes, et qui ont en outre été mises entre parenthèses pour la crise du Covid et la guerre en Ukraine", a relevé le 18 janvier auprès de l'AFP Patrick Martin-Genier, spécialiste des questions européennes. "Dans ces recommandations, il est bien précisé en revanche que les investissements des pays de l'UE doivent être conforment aux orientations budgétaires sur la période 2021 - 2027 qui ont été fait au niveau du Conseil de l'union européenne et qui ont été approuvées par les chefs d'Etats et de gouvernement", souligne le politologue.Pour la première fois en décembre 2022, le Conseil de l'Union européenne, institution représentant les Etats membres, a, suivant ce mécanisme de "conditionnalité", décidé de suspendre 6,3 milliards de fonds de cohésion qui devaient être versés à la Hongrie dans le cadre du budget 2021-2027, au motif que le pays n'avait pas mis en œuvre suffisamment des réformes demandées par la Commission européenne en matière de respect de l'État de droit.
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