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  • 2022-06-02 (xsd:date)
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  • Les sagas "Matrix" et "Terminator" plagiées de l'œuvre d'une scénariste afro-américaine? C'est faux, selon la justice (fr)
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  • Les sagas "Matrix" et "Terminator",  célébrissimes franchises américaines de science-fiction, trouveraient en réalité leur origine dans l'œuvre méconnue d'une scénariste afro-américaine, Sophia Stewart. C'est du moins ce qu'affirment plusieurs publications depuis juin 2021 sur Facebook, qui se désolent que cela ait été ignoré par les "grands médias". Attention: cette infox, qui est née d'un article publiée dans un journal étudiant en 2004, est une légende urbaine. Sophia Stewart a bel et bien attaqué en justice les sœurs Wachowski ("Matrix") et James Cameron ("Terminator"), entre autres, pour plagiat, mais elle a été définitivement déboutée en 2005."Les films +Matrix+ et +Terminator+ furent volés à une femme noire" nommée Sophia Stewart, affirment plusieurs publications sur Facebook, qui poursuivent même que "ses droits d'auteur" ont été  "finalement reconnus" en "septembre 2014" à l'issue d'un rocambolesque combat judiciaire.La justice américaine aurait ainsi officiellement reconnu que ces deux sagas de science-fiction des années 1980-1990 étaient basées sur un manuscrit de science-fiction écrit par Sophia Stewart en 1983.Tout cela dans le silence médiatique, accusent les internautes, alors même que la plaignante aurait été "conséquemment dédommagée", reconnue comme "détentrice des franchises des films +Matrix+ et +Terminator+" mais également de "tous les 4 Oscars remportés par ces films". Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 23 mai 2022Ces publications ont été partagées plus de 9.000 fois depuis juin 2021 sur Facebook en Côte d'Ivoire et au Cameroun (1, 2, 3, 4...). Attention cependant: cette rumeur est infondée. Si Sophia Stewart a bien attaqué en justice les réalisatrices et réalisateurs de "Matrix" et "Terminator" ainsi que d'autres personnes impliquées dans la production de ces films, elle n'a pas obtenu gain de cause et n'a pas été reconnue comme l'autrice originelle de ces œuvres. Qu'affirme Sophia Stewart?En 1983, Sophia Stewart "écrit une fiction qu'elle intitule +The Third Eye+ [Le Troisième oeil], une œuvre dans laquelle elle se projette dans un futur lointain et décrit la destruction de l'humanité par des robots, des machines et des aliens", relate le texte qui circule sur les réseaux sociaux. Un manuscrit qu'elle aurait ensuite rangé "dans son tiroir", faute d'éditeur.Trois ans plus tard, en 1986, elle aurait envoyé ce travail aux sœurs Wachowski, qui réaliseront plus tard les films "Matrix", en réponse à une petite annonce qu'elles auraient publié "invitant à [leur] soumettre des textes originaux de science-fiction", poursuit la publication virale. En 1999 sort le premier opus de la saga "Matrix"; en voyant ce film, la jeune femme aurait "[reconnu] son travail, son texte, sa fiction". Détentrice des droits d'auteur de son manuscrit, "Le Troisième œil",  elle aurait "saisi le FBI" et se serait battue pendant 14 ans avant d'être reconnue par la justice américaine "comme la vraie auteure de l'œuvre [...] qui a servi de ligne d'action pour les films +Matrix+ et +Terminator+" et "généreusement dédommagée". La scénariste a répété ces allégations dans plusieurs médias américains au fur et à mesure des années, comme on peut le voir sur la page consacrée à ses apparitions médiatiques sur le site qu'elle a créée pour défendre sa cause.  Capture d'écran du site de Sophia Stewart, réalisée le 31 mai 2022Affaire classée en 2005Le 24 avril 2003, Sophia Stewart engage des poursuites contre la Twentieth Century Fox, James Cameron et Gale Anne Hurd (qui ont travaillé sur le premier film "Terminator" sorti en 1984) ainsi que contre Warner Bros. Entertainment, Lana et Lilly Wachowski, Joel Silver et Thea Bloom (qui ont travaillé sur le premier film "Matrix" sorti en 1999). Elle les accuse d'avoir "délibérément violé les droits d'auteur [qu'elle détient] de ses œuvres littéraires" et demande à ce que cette violation soit reconnue par la justice. Or selon l'avis rendu dans le cadre de cette affaire le 14 juin 2005 par une cour californienne, Sophia Stewart n'a pas réussi à fournir de preuves suffisantes pour étayer son accusation de plagiat et prouver la ressemblance entre ses œuvres et "Terminator" et/ou "Matrix". L'affaire n'est d'ailleurs pas allée jusqu'au procès, les accusés ayant demandé (et obtenu) une motion pour jugement sommaire ("motion for summary judgment"). Ce mécanisme permet à un tribunal de statuer sur une affaire sans passer par un procès, s'il estime que les faits présentés ne permettraient de toute façon pas à un jury de trancher en faveur du plaignant.Aux Etats-Unis, "pour obtenir gain de cause dans une plainte pour violation du droit d'auteur, le plaignant doit démontrer qu'il est titulaire d'un droit d'auteur valide et que les éléments originaux de l'œuvre protégée ont été copiés", comme le rappelle cet avis de 2005."En l'absence d'une preuve directe de copie, une démonstration étayée de faits prouvant que l'accusé a eu +accès+ à la production du plaignant et que les deux œuvres sont +fondamentalement semblables+ est requise", poursuit-il. Et lorsqu'il n'a pu être démontré que les accusés ont eu accès à l'oeuvre, seule une "+similarité frappante+ peut donner lieu à la conclusion d'un plagiat éventuel".  L'équipe d'un cinéma installe un poster du film "Matrix Revolutions" à Pékin, le 5 novembre 2003. ( AFP / STR)Ni plagiat, ni accès aux manuscritsSophia Stewart a bel et bien fourni deux certificats de droits d'auteurs protégeant deux des œuvres qu'elle considère plagiées par les créateurs de "Terminator" et "Matrix". Mais sans pouvoir prouver que ces derniers ont plagié les "éléments originaux" contenus dans ces manuscrits.Rien ne prouve non plus que les équipes à l'origine des deux films ont eu accès aux œuvres de Sophia Stewart. Contrairement à ce qu'affirment les publications virales, la juge en charge de cette affaire a rejeté les allégations de Sophia Stewart au sujet de la petite annonce supposément publiée par les Wachowski à laquelle elle aurait répondu en 1986. Aucun document prouvant son existence n'a été présenté à la justice. A cette date d'ailleurs, Lana Wachowski avait 21 ans et était étudiante à Bard College, à New-York; sa sœur Lilly, fraîchement sortie du lycée, venait elle d'avoir 18 ans.  En ce qui concerne "Terminator", l'avis précise également que "la défense a présenté des preuves incontestables démontrant que les créateurs [du film] n'ont pas eu accès aux œuvres  littéraires de Stewart; [cette dernière] n'a présenté aucune preuve admissible qui contredise cette démonstration". "Une grande partie de sa plainte semble avoir échoué pour des raisons de procédure; pour obtenir gain de cause, [Sophia Stewart] doit montrer d'abord que les accusés ont eu accès à ses travaux, puis démontrer que les [films] sont bien sensiblement similaires", analyse pour l'AFP le 31 mai Andres Sawicki, professeur de droit à l'université de Miami, en Floride (Etats-Unis).Pour lui, le principal échec de Sophia Stewart et de ses avocats dans cette affaire vient de "l'absence de preuves que les créateurs [de "Matrix" et "Terminator"]" ont pu accéder à ses manuscrits.  Des gardes spéciaux de l'armée sud-coréenne passent devant un poster du film "Matrix 3" lors d'un exercice anti-attaque terroriste chimique dans le métro de Séoul, le 24 octobre 2003. ( AFP / KIM JAE-HWAN)FBILes publications virales mentionnent également un appel que Sophia Stewart aurait passé au FBI. La scénariste aurait saisi le service de renseignement américain "d'une action légale pour vol de son œuvre en dénonçant une violation de son droit d'auteure". "Stewart affirme que le FBI a développé des preuves qui +ont établi qu'elle était l'autrice des films Matrix et Terminator car +le FBI lui a expliqué en 2001 que les trilogies Terminator et Matrix étaient tirées de la même œuvre originelle+ et que +tous les personnages du film +Matrix+ ont été identifiés comme étant des personnages [des manuscrits] de Stewart+", note en effet l'avis de 2005. Cependant, comme précédemment, la Cour a estimé que "les prétendues déclarations du FBI à Stewart relèvent du ouï-dire et sont irrecevables". Le seul document fourni par ses avocats pour appuyer ses dires est décrit comme "un formulaire du FBI d'une page, non authentifié, qui ne fait aucunement référence aux allégations de Stewart". La réponse de Sophia StewartContactée par l'AFP le 1er juin, Sophia Stewart, qui vit à Las Vegas selon son compte Twitter, a affirmé par courriel qu'elle était bien "la détentrice [des droits d'auteur] et la créatrice des franchises de +Matrix+ et +Terminator+" en faisant suivre une dizaine de documents, dont des doublons. Aucun élément parmi ces textes consultés par l'AFP ne vient contredire l'avis rendu par la justice américaine en 2005.La scénariste a également mis en ligne sur son site des certificats de droits d'auteurs censés prouver ses affirmations; mais tous ont été délivrés à une date postérieure à 2005, date de classement de sa plainte."L'enregistrement de droits d'auteurs n'a de toute façon rien à voir avec l'existence ou non d'une violation des droits d'auteur", précise Andres Sawicki, de l'université de Miami. Sophia Stewart a  touché des dommages et intérêts quelques années après cette affaire, mais sans que ses prétendus droits sur "Matrix" et "Terminator" soient reconnus. En 2014, elle a obtenu à la suite d'une plainte contre les avocats qui l'avaient représentée ente 2003 et 2005 des dommages et intérêts de 316.280,62 dollars pour "rupture de contrat, faute professionnelle et violation de l'obligation fiduciaire", comme l'indique cette ordonnance. Plusieurs des documents qu'elle a transmis à l'AFP le confirment.Un journal étudiant de Salt Lake CityMais alors d'où vient cette rumeur tenace selon laquelle Sophia Stewart aurait remporté un procès et été "conséquemment dédommagée", malgré le silence des médias? Un article du Los Angeles Time, paru fin juillet 2005, retrace l'itinéraire de cette infox. Le 28 octobre 2003, raconte le quotidien américain, un journal étudiant de Salt Lake City (Utah), le Salt Lake Community College’s Globe, publie un des premiers articles relatant l'histoire de Sophia Stewart. Problème: l'autrice affirme à tort dans ces colonnes que la "mère de Matrix" a remporté un procès et qu'elle est sur le point de recevoir "l'un des plus gros dédommagements dans l'histoire de Hollywood". Capture d'écran d'une archive du journal Salt Lake City Community College's Globe, réalisée le 1er juin 2022Des informations corrigées une semaine après en toute fin d'article par le journal étudiant, qui reconnaît auprès du Los Angeles Times que l'autrice s'était fourvoyée au sujet des déclarations de la plaignante. Trop tard: le texte, souvent dans sa version non corrigée, a commencé à circuler sur plusieurs sites internet et son contenu à être débattu en direct sur les ondes de radios locales, raconte le quotidien américain. "L'histoire a alors commencé à faire son apparition dans les colonnes des journaux de la communauté afro-américaine, comme la Westside Gazette à Fort Lauderdale (Florida) ou le Columbus Times (Géorgie)", poursuit le journal. "La plupart de ces articles reprenaient à leur compte les fausses informations contenues dans l'article original. Dès avril [2004], un grand nombre d'Afro-Américains avaient lu ou entendu une version erronée de l'histoire de Sophia Stewart."Cette dernière s'étonnait déjà à l'époque de "l'effacement" de son histoire par les grands médias; un soupçon réitéré dans les publications que nous vérifions, et qui était déjà présent à l'époque parmi les communautés touchées par cette infox.Dès 2005, Todd Boyd, alors professeur d'études critiques du cinéma et de la télévision à l'Université de Californie du Sud, analysait pour le Los Angeles Times que cette affaire était révélatrice de la défiance des Afro-Américains face aux médias."Un grand nombre de personnes, quelle que soit leur couleur de peau, ont une compréhension très réductrice du système médiatique, mais c'est tout particulièrement le cas chez de nombreux Afro-Américains", déclarait-il alors. Une défiance qui vient selon lui de la couverture négative, voire de l'absence de couverture des médias américains en ce qui concerne leur communauté.2 juin 2022 Au 28e paragraphe, actualisation du nom d'Andres Sawick, professeur de droit à l'université de Miami - "Sawicki" et non "Sawciki" (fr)
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