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Le 24 octobre 2022, le Conseil de l'Union européenne a adopté deux règlements visant à améliorer les capacités de l'UE à réagir face à de futures pandémies et à d'autres crises sanitaires transfrontalières. Depuis, des publications partagées plus de 5.000 fois sur les réseaux sociaux soutiennent que ces textes permettent à la Commission européenne "de remplacer les États membres dans les réponses aux pandémies", et donc d'instaurer un "passe vaccinal" en France. C'est faux. Les mesures prévues par cette nouvelle législation doivent essentiellement permettre une meilleure surveillance épidémiologique et une meilleure coordination entre les États membres, mais rien ne permet à la Commission européenne d'outrepasser la souveraineté des pays en matière de santé et d'imposer un passe vaccinal en France ou ailleurs, comme le confirment à l'AFP les institutions concernées et des experts en droit européen."ALERTE : un nouveau règlement confie à von der Leyen le pouvoir d'instaurer un passe vaccinal en France", affirment des internautes dans des publications partagées plus de 5.000 fois sur Twitter et Facebook (1, 2, 3). Tous citent comme source une note écrite par Eric Verhaeghe le 26 octobre sur son blog "Le Courrier des stratèges". "Un nouveau transfert de souveraineté vient d'avoir lieu en toute discrétion au profit de la Commission européenne. Et il ne s'agit pas de n'importe quel transfert ! En l'espèce, le Conseil vient d'adopter deux nouveaux règlements (d'application directe, donc) qui permettront à la Commission européenne de remplacer les États membres dans les réponses aux pandémies. Concrètement, c'est donc Ursula von der Leyen, à l'avenir, qui décidera de mettre en place un passe vaccinal en France", affirme-t-il. Capture d'écran d'une publication Twitter réalisée le 03/11/2022 Capture d'écran du blog "Le Courrier des Stratèges" réalisée le 03/11/2022 Les deux nouveaux règlements dont il est question ont été adoptés par la Conseil de l'UE le 24 octobre 2022.Le premier est une révision modifiant le règlement (CE) n° 851/2004 instituant un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). Il prévoit notamment "la création d'une task-force de l'Union dans le domaine de la santé afin de soutenir les réactions au niveau local face à l'apparition de maladie, ainsi que la fourniture d'une expertise aux États membres de l'UE et à la Commission européenne, par exemple en ce qui concerne l'élaboration, l'examen et la mise à jour des plans de préparation. L'ECDC sera également chargé de développer des plateformes numériques pour la surveillance épidémiologique", peut-on lire dans le communiqué de presse du Conseil de l'UE publié le 24 octobre.Le second, dont il est davantage question sur le blog "Le Courrier des Stratèges", concerne les menaces frontalières graves pour la santé, et abroge la décision n°1082/2013/UE. Comme écrit dans le communiqué de presse, cette nouvelle législation prévoit "l'établissement d'un plan de l'UE contre les crises sanitaires et les pandémies, qui comprendra des dispositions relatives à l'échange d'informations entre l'UE et ses États membres. Lors de l'élaboration de leurs plans nationaux, les États membres se concerteront entre eux et avec la Commission afin de veiller à la cohérence avec ce 'plan de prévention, de préparation et de réaction' au niveau de l'UE".Autres mesures instaurées par ce règlement :- "La Commission peut, sur la base d'avis d'experts tels que ceux émis par un comité consultatif spécial, déclarer une urgence de santé publique au niveau de l'UE. Le comité consultatif, composé d'experts indépendants compétents, notamment de représentants des professionnels de santé, de travailleurs sociaux et de représentants de la société civile, contribuera à la formulation de mesures de réaction.- La Commission facilitera l'organisation de tests de résistance pour veiller à la mise en œuvre du plan de prévention, de préparation et de réaction de l'UE et pour mettre à jour ce plan si nécessaire.- Sur la base de contributions des États membres, la Commission élaborera des rapports sur la planification et la mise en œuvre par les États membres de la préparation et de la réaction au niveau national. Un aperçu des recommandations figurant dans les rapports sera rendu public".C'est de ces mesures qu'Eric Verhaeghe déduit que la Commission européenne aura "le pouvoir d'instaurer en passe vaccinal en France". Sur son blog, il écrit : "Ainsi, la mise en place d'un passe vaccinal européen (déjà pratiqué au début de la pandémie) pourra être imposée dans chaque plan national par la Commission, au titre de la coordination européenne." Aucune valeur contraignanteCependant, cette interprétation est fausse, comme le confirment à l'AFP la Commission européenne, le Conseil de l'UE, le Quai d'Orsay et deux spécialistes du droit européen.En effet, ce règlement ne permet pas d'instaurer un passe vaccinal dans un des pays de l'UE, et n'a, de toute façon, pas de valeur coercitive. "Les États membres ne doivent que se concerter et se coordonner avec la Commission dans le but de rechercher la cohérence avec le plan de l'Union. Cette formulation non-contraignante a été choisie à dessein afin de préserver les compétences des États membres dans le domaine de la santé", a indiqué par mail à l'AFP le 28 octobre 2022 une source du Conseil de l'UE.De même, Loïc Azoulai, professeur de droit européen à Sciences Po, confirme à l'AFP le 2 novembre 2022 concernant la possibilité d'instauration d'un passe vaccinal en France qu'il n'y a "évidemment rien de tel dans ce texte". Il explique : "Dans ce texte, il est clair que les institutions et organes de l'UE n'ont qu'un rôle de coordination, de consultation, d'expertise, d'avis et de recommandation. Rien de plus. La Commission reçoit la tâche de coordonner et de définir les paramètres de la crise, de mettre en place des instruments de surveillance et de coordination mais elle ne peut rien imposer aux États membres et certainement pas un passe vaccinal." Les États souverainsPour justifier ses propos, Loïc Azoulai cite notamment le considérant 7 du règlement qui précise que "l'ensemble des recommandations, conseils, orientations et avis figurant dans le présent règlement sont intrinsèquement non contraignants pour leurs destinataires" ; ainsi que la base juridique du règlement, l'article 168 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne précisant, en son paragraphe 7, que "l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé". Capture d'écran du considérant 7 du règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les menaces transfrontalières graves pour la santé, réalisée le 03/11/2022 Capture d'écran de l'article 168 paragraphe 7 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, réalisée le 03/11/2022 "L'adoption de ce règlement n'affecte en rien la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres en matière de santé, et ne donne pas à l'Union européenne la faculté d'imposer la vaccination ou le passe vaccinal", confirme également une source du Quai d'Orsay à l'AFP le 4 novembre 2022.Pour Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherche de Versailles Saint Quentin institutions publiques (VIP), contacté par l'AFP le 2 novembre 2022, "les mesures prévues sont essentiellement de la surveillance épidémiologique et de la coordination entre les États membres", et "ne permettent pas à la Commission d'imposer un passe vaccinal".En effet, les conditions pour que la Commission européenne déclare une situation d'urgence de santé publique sont expliquées dans l'article 23 du règlement. Les effets juridiques de cette reconnaissance sont détaillés dans l'article 25 et concernent essentiellement "la coordination en cas de crise ou la surveillance de données, par exemple si on fait face à une pénurie de médicaments", précise Vincent Couronne. Cependant, cette liste n'est pas "exhaustive", comme l'annonce l'article 25. "On peut imaginer que la Commission souhaite prendre des mesures plus contraignantes comme un certificat sanitaire européen (...) comme cela a été fait pour la pandémie de Covid-19. Mais dans un tel cas, la Commission ne pourrait agir seule, il faudrait, comme en 2021, qu'elle fasse une proposition législative au Parlement européen et au Conseil, qui sont les seuls à pouvoir adopter le texte (éventuellement après l'avoir amendé). Car le Règlement ne dit pas que la Commission peut adopter elle-même de tels textes, mais seulement qu'une situation d'urgence pourrait justifier l'adoption de ces textes. Et pour les adopter, il faut suivre la procédure normale", détaille Vincent Couronne. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Bruxelles le 3 novembre 2022. ( AFP / JENS SCHLUETER)Le certificat Covid UEPour rappel, le certificat Covid UE (qualifié de "passe vaccinal" dans les publications étudiées) - attestant d'une vaccination contre le Covid-19, d'un test négatif ou d'une infection dans les six derniers mois - a été voté via ce règlement européen, daté du 14 juin 2021, et est entré en vigueur le 1er juillet 2021.Le 13 juin 2022, le Parlement européen et les États membres se sont mis d'accord pour le prolonger d'un an, jusqu'en juin 2023. De nombreux États membres ont cessé de l'exiger pour entrer sur leur territoire. Mais "les législateurs européens veulent garantir que les citoyens européens puissent circuler librement au cas où émerge un nouveau variant préoccupant", explique le Parlement dans un communiqué. Cependant, "le règlement sur le certificat numérique COVID de l'UE ne couvre que l'utilisation du certificat pour les voyages au sein de l'UE pendant la pandémie de Covid-19. En conséquence, l'utilisation au niveau national des certificats Covid-19 n'entre pas dans le champ d'application du règlement", rappel un officiel de la Commission européenne contacté par l'AFP le 28 octobre 2022.Concrètement, si les États membres doivent accueillir tout citoyen qui dispose de ce certificat européen, ils peuvent en revanche l'empêcher d'accéder à certaines activités si son certificat ne correspond pas aux règles du pays où il se trouve. Autrement dit, l'usage que les pays membres peuvent faire du certificat Covid au niveau national pour l'accès aux restaurants, transports ou autres relève de leurs lois nationales, comme nous l'expliquions dans ce précédent article de vérification du 17 mars 2022.Par exemple, c'est bien la législation française qui a conditionné l'accès à certains lieux au passe sanitaire (vaccin, test ou rétablissement) puis au passe vaccinal.Concernant le règlement sur les menaces frontalières graves pour la santé, la Commission européenne précise qu'il n'y a "pas de mention de passe de vaccination dans les régulations adoptées"."Il n'est pas prévu d'introduire un nouveau laissez-passer pour les vaccins", confirme la Commission. Au contraire, "au sein de l'UE, l'absence de restrictions à la libre circulation devrait rester la norme. Les États membres ne pourraient réintroduire de telles exigences que lorsque la situation épidémique s'aggrave".Le certificat Covid européen a déjà fait l'objet de plusieurs fausses informations vérifiées par l'AFP ici ou ici.
(fr)
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